Question 47 j’avoue que je ne perçois pas vraiment le lien, cela me paraît assez éloigné de ce que font les enfants dans l’atelier : en fait ils ne composent pas.
La composition c’est déjà la préparation d’une écriture musicale dans notre tradition occidentale, on n’a pas composé tant que l’on n’avait pas pu écrire.
Cela ne veut pas dire que l’on ne créait pas, que l’on n’inventait pas, mais ce moment dans lequel je fais sortir un matériau que je garde en mémoire le temps suffisant pour l’évaluer et pour dire : je garde et je l’écris etc. cela c’est la composition au sens moderne, au sens de la tradition musicale.
Mais je ne pense pas que les enfants fassent cela, justement il y a un refus de les amener à la composition... sauf qu’à un moment donné, bien plus tard, on leur dit : si vous essayiez de programmer une production musicale sur la base d’un signe et pour cela vous avez un papier en deux dimensions, mettez des flèches dans les axes qui vous plaisent, ou retournez-le etc. Mais je pense que l’on est assez loin des questions de compositions et d’interprétations...
D.D. Pour Hervé le fait de commencer à travailler avec des partitions c’est pour les amener à la composition...
Oui, mais ce que je trouve intéressant, c’est que la méthode veut les faire partir d’une espèce de perspective imaginaire de l’histoire de l’expression sonore... le Tohu-bohu, les premières formes etc.
Il y a comme une volonté de faire ce que l’on pourrait imaginer - mais je pense que cela n’a jamais existé historiquement - mais ce que l’on pourrait croire être la genèse des technologies de la fixation, de la graphie etc. mais... ce n’est pas... cela peut marcher sans être correct, cela ne me dérange pas du tout.
I.S. Mais, au fond, est-ce que tout chemin pédagogique n’est pas un fantasme de genèse ?
Exactement, tout à fait... Et même il paraît que l’évolution de l’embryon ressemble... on dit cela parfois que l’on retrouverait les formes prototypiques de l’animal préfigurant l’être humain, bon...
C’est vrai qu’Hervé a une préoccupation sur ce que pourrait être l’être humain sans l’ensemble des limites, des identifications tribales qu’il considère comme des choses du passé... donc justement il y a cette idée : qu’est-ce que serait une genèse sans normes ?
Je dois dire que c’est une question qui me taraude assez peu, mais je trouve qu’elle anime bien la réflexion sur l’atelier, sur une méthode... donc je crois qu’elle n’est pas nuisible.
Mais moi elle ne me taraude pas tellement parce que je ne sais pas très bien où se situe cet univers sans quelque chose... mais bon c’est une question de point de vue cela.
Question 57 c’est un petit peu ce que je disais tout à l’heure : la découverte du sonore en tant que matériau techniquement maîtrisable et du coup une prise de recul, et - là, interprétation personnelle - un report d’une partie de quelque chose qui était encore dans une situation de concert, dans l’interprétation même d’une musique écrite vers - puisque nous pouvons reproduire - un report vers l’expérience de l’auditeur qui lui à ce moment là peut revoir, réécouter, autant de fois qu’il veut et qui donc commence à être le témoin de sa propre itinérance dans l’écoute d’une oeuvre.
Ce qui est une chose que l’on ne pouvait évidement pas faire tant que tout bougeait. C’est exactement le paradoxe quand on parle des peuplades dites "primitives" qui n’ont pas d’écriture : ils ont donc une musique qui est traditionnelle ; elle est traditionnelle mais peut-être que ce qui la caractérise le plus c’est le changement.
N’étant pas fixée par quelque chose elle est traditionnelle mais elle pourrait être perpétuellement fluctuante... on est déjà - j’ai lu deux, trois choses là-dessus - retourné après de longs intervalles de vingt ou trente ans aller voir si des musiques dites traditionnelles s’étaient perpétuées ou changées et effectivement on a vu qu’elles dérivaient.
La tradition n’est pas... c’est peut-être une répétition mais ce n’est pas forcément la répétition du même, mais c’est la répétition de choses qui changent parce qu’elles ne sont pas fixées...
I.S. Normalement personne n’a les moyens de vérifier sur vingt ans qu’elles ne changent pas...
C’est cela, à l’intérieur... totalement impossible, même d’un dimanche à l’autre.
J’ai déjà fait de la musique avec des copains africains, même très occidentalisés, et pourtant la question de se mettre d’accord avec cette guitare, tel motif à tel endroit tu le joues trois ou quatre fois, parce que depuis deux fois que l’on répète tu l’as fait une fois trois, et une autre quatre... combien ? Et le regard de l’autre me regardant comme si j’avais posé une question d’une stupidité totale, il ne sait pas combien de fois mais cela n’a pas d’importance on verra bien quand on y sera si il faut faire deux ou trois fois...
Or cela dans ma perception, dans mon éducation musicale si on joue ensemble il faut un minimum de comptage sinon forcément il y aura tout le temps des hésitations. Mais si ces hésitations ne conduisent pas à être détectées pendant l’enregistrement, elles ne posent aucun problème, c’est seulement quand on écoute pour la douzième fois on se dit que c’est quand même embêtant qu’il y en aie un qui propose une répétition et que l’autre pas, mais pour le savoir il fallait enregistrer, ou noter pour déposer à la Sabam, là, vous reprenez deux fois ou trois ?
Peut-être pouvons nous passer à la partie Stern ?
Question 75 ; Question 76 ; Question 77 ; Question 78 ; Question 79 ; Question 80 ; Question 81
J’avoue que par rapport aux questions de Stern, enfin remarques du dispositif ancestral que je trouve très intéressant et je trouve intéressants les travaux de Daniel Stern sur les rapports mère/enfant, l’identification des premières formes à la fois d’échanges et de distinction entre même, différent, thème et variation...
Mais spontanément je ne me sens pas enclin à faire des rapprochements entre cette situation et celle de l’atelier parce que justement j’interpréterai les descriptions et les remarques faites par Stern sur l’interaction mère/enfant comme une manière de gérer la prise de conscience sur justement la séparation entre l’enfant et sa maman, ou l’enfant et le monde.
Et donc on est là dans une phase particulièrement importante et critique du développement de l’enfant ; les enfants qui arrivent à l’atelier ont déjà fait cette expérience depuis longtemps.
D’ailleurs on peut trouver même sur la période même de la petite enfance et de l’existence prénatale des visions très différentes... Si on trouve chez Freud l’idée de l’assignation de la naissance à un bouleversement traumatique qui va donner cette séparation brutale de l’unité primitive. On peut trouver d’autres conceptions : je pense en particulier à celle de Catherine Dolto, qui est venue il y a cinq, six ans maintenant, dans un petit colloque que l’on avait organisé avec Hervé justement sur le son et l’enfant qui elle disait qu’à travers de son expérience de l’aptonomie - cette technique du touché qui permet à de futurs parents, et aux mamans en particulier, de prendre conscience de l’altérité de l’enfant dans leur corps - elle dit qu’elle envisage l’enfant - c’est les mots qui m’avaient frappé - comme un "guetteur joyeux".
C’est à dire que l’enfant déjà à l’intérieur du sein de sa mère est déjà à l’affût - c’est l’expérience de Françoise Dolto, elle les sent comme cela - c’est à dire à l’affût de l’expérience intéressante, de venir se blottir quelque part, de répondre, de réagir etc.
Donc cela impliquerait une forme de dissociation qui renverrait justement la vision freudienne de nouveau au catalogue des vues de l’esprit, encore une fois pas fausses, pas inutilisables mais pas forcément identifiables à tel ou tel moment de l’existence.
Donc on pourrait très bien dire que, effectivement, il y a bien, incontestablement, une séparation de l’enfant d’avec sa maman le jour où il naît, il doit de toutes façons réorganiser quelque chose... qu’il semble quand même avoir déjà organisé avant de naître, il ne commence pas à vivre le lendemain de sa naissance.
Mais pour des gens qui approchent la relation mère/enfant comme Dolto il y a quand même des formes de différenciation, un certain type de distinction, un certain type de productivité, de créativité, d’attente, de désir qui nous propose quand même un modèle très différent de celui de Freud.
Et je dois dire que cette approche de Dolto me plaît parce que je la soupçonnerai moins de parler des choses avant de les éprouver que Freud à ce niveau là, dans ce domaine là de l’existence. Je pense qu’il a rencontré beaucoup de monde... c’est une pensée forte. Mais je crois quand même que pour des besoins de concordance avec son schéma mental il a fabriqué des horizons qu’il ne s’est pas beaucoup donné la peine - dans l’époque aussi je crois - d’aller mettre à l’épreuve.
Et je trouve aussi intéressant de peut-être ne pas entretenir trop l’idée que l’enfant forme un tout initial avec sa mère, pourquoi pas une différenciation assez rapide même avant la naissance.
Alors tout ceci pour dire que malgré tout, il y a quand même une séparation et que je crois que la gestion, l’évolution de cette séparation s’inscrit directement dans le processus de relation sonore mère/enfant, d’autant plus qu’il est absolument incontestable - aussi bien lors d’expériences cliniques que lorsque l’on fait des recherches culturelles - que l’enfant entend avant la naissance. Donc en fait il est au monde avant d’être au monde par le son, par les positions, par les températures aussi, il sent le chaud, le froid... Mais on peut dire que par le son en tout cas déjà beaucoup de choses traversent la membrane du corps de la maman.
On a fait des expériences : il retient même des motifs musicaux, les expériences de Jean Fégaux où les enfants qui ont grandi près des aéroports... mais on trouve aussi indépendamment de notre culture bien des épisodes dans les récits traditionnels qui racontent l’histoire d’enfants qui ont réalisé quelque chose dont ils avaient entendu parler avant leur naissance ou qui ont su le mot qu’il fallait dire... Je pense qu’il y a une espèce de sagesse - il n’a pas fallu attendre des expériences en laboratoire pour se rendre compte que l’enfant était structuré par des choses entendues.
Je crois que la différenciation entre le même et le différent, le thème et sa variation s’inscrivent vraiment dans l’apprentissage de cette distance, de ce détachement ou, comme je le disais tout à l’heure, on peut voir les choses en terme de séparation ou en terme d’approche, c’est pareil finalement. De toutes façons on pourrait dire que c’est une gestion de la distance, soit en terme de proximité, soit en terme de prise de distance. Alors je crois qu’il y a peut-être un certain prolongement dans ce que décrit Stern dans le rapport mère/enfant, mais je ne crois pas qu’il y ait sa réplication.