Méthode Thys

TD16

Je voudrais passer maintenant à la Question 71 qui m’a frappée aussi.

J’ai l’impression que c’est un peu la suspension du prononcé, la suspension du jugement qui marque le type de solidarité à l’intérieur de l’espace de jeu, d’improvisation, d’atelier etc.

Et que donc alors la réponse arrive de façon assez logique : l’important c’est justement la non-effectuation du jugement de valeur, c’est cela qui est important, c’est à dire ne pas chercher à dire on va la refaire, comme quand on fait des prises de vue, des tournages, on va la doubler, il faudrait la refaire mais un peu plus vite au début... non, pas du tout et c’est justement tout à l’opposé du discours d’apprentissage de la musique : c’est bien, on va la reprendre, vous essayez de respirer un peu plus profondément à cet endroit là, pour ne pas respirer plus loin...

Cela c’est typiquement le style cours de chant : et vous appuyez un peu, à cet endroit vous dégagez les épaules... il y a une reprise permanente et chaque production sonore est sanctionnée. Et dans cette logique ce qui est important c’est cela, donc le bon professeur c’est celui qui reprend, qui ne laisse rien passer, on annote la partition, on note des signes cabalistiques pour dire là je dois faire attention à bien prononcer le "s", là on se tait, là on prend sa respiration.

Or dans ce dispositif-ci, l’important c’est justement de ne pas produire de jugement de valeur, c’est à dire de ne pas prendre la production comme un objet fini qui va devoir s’échanger, fonctionner indépendamment de son... au fond quitter son énonciation, c’est à dire quitter l’instant historique de sa production pour être évalué à l’aune de quelque chose qui lui est extérieure. Cela vaut au moment où s’est produit.

En cela il y a une grande marque de respect par rapport au sonore qui est cela avant tout. Comme il l’est avant tout, il peut après être autre chose, mais avant tout il est une énonciation, il est comme une bulle qui apparaît et même plus vite qu’une bulle : une bulle cela explose mais le son cela explose encore plus vite après son apparition.

J’aurai tendance à dire que c’est précisément cela qui est important, c’est presque un postulat : on disait que ce qui est important était de ne pas prendre en compte le jugement ou le perfectionnement de ce qui vient d’être produit.

Mais je reviens alors avec l’idée que j’ai introduis dans la 19 bis, on n’échappera pas au jugement. Il faut envisager : et qu’est-ce que cela va devenir - pas forcément qu’est-ce que tel son que l’on a produit va devenir, comment l’améliorer, ce n’est pas cela. Mais comment va-t-on finalement intégrer ce qui s’y sera passé à... faire un sens, à construire un sens qui va plus loin que le temps et le lieu où cette production a eu lieu sinon... c’est asilaire, c’est un asile. A l’asile il est normal d’être fou...

I.S. Mais avec... enfin c’est un peu corrélé aux questions Stern mais ce n’est pas "sternien", on ne peut pas s’empêcher quand on a affaire avec un petit enfant que tout moment réussi avec lui où il y a eu une vraie entente, un vrai jeu etc. est quelque chose... une ressource qui sera sienne mais dont on ne sait pas ce qu’il en fera... c’est une impression quasi irrépressible que tout petit enfant donne qu’on lui donne là quelque chose quand quelque chose est réussi mais qu’est-ce que cela va faire dans sa vie... mais on est heureux...

Oui, et justement le respect de son enfance c’est renoncer autant que possible d’en faire un projet pour son avenir, c’est renoncer à vouloir prolonger son existence qui finira bientôt, mon existence propre, par la sienne.

D’en faire finalement le délégué de ma vie - ce qui est à mon avis une forme de pédophilie beaucoup plus grave que les pédophilies scandaleuses que l’on trouve dans les journaux - c’est à partir du moment où je ne suis plus capable de vivre moi-même, où j’ai besoin de vivre en appuis sur des enfants que véritablement je mets sur leurs épaules des choses qu’ils ne peuvent pas porter et qu’ils ne doivent pas porter.

Et c’est aussi cela le paradoxe, alors que la notion d’éducation semble plutôt être de l’ordre de la préparation à, elle ne réalise sa véritable nature qu’à partir du moment où c’est déjà réussi maintenant. Et on espère, on suppose que quelque chose a été acquis qui pourra servir, jouer, revenir à un autre moment quand on n’y sera plus.

Mais c’est vrai que l’on ne peut pas tomber - c’est ce que je disais l’autre jour en parlant de stratégie - échapper à la stratégie éducative, ne pas se voir comme un stratège qui va diriger le trajet d’une boule. Travailler sur le virtuel, c’est à dire faire des choses dont on renonce d’anticiper sur le développement actuel - au sens de l’anglais - réel, je ne sais pas comment il faut dire, dans le futur.

I.S. Donc le jugement qui viendra finalement devrait lui aussi être ouvert... cela ne devrait pas être ce qu’il faut en penser...

Oui, exactement. Et pourtant le susciter !

Je reviens toujours avec mon idée : je vois autant de danger à dire voilà il n’y aura plus jamais de jugement, plus rien etc.

Je crois justement que le jugement comme lieu de mise à l’épreuve mais aussi comme lieu d’incarnation du désir... est une chose absolument essentielle.

Sinon, c’est le désir de la mort, le désir de plus rien, c’est le désir de plus de désir et alors à ce moment là je trouve que l’on entre dans la douleur totale.

Donc, c’est aussi allumer l’envie d’opter, de choisir, de préférer, de vouloir etc. qui, à mon avis, est une chose bien plus importante que toutes les capacités concrètes que l’on peut donner de savoir réussir un Do dièse ou un accord, etc.

C’est l’envie d’avoir envie qui, à mon avis, est importante... donc on pourrait dire aussi que la suspension du jugement ne le rend que plus lourd. Mais c’est cette façon de le maintenir en l’air qui est intéressante...

Cela n’empêche que peut-être on devrait réfléchir un peu plus pour savoir comment à un moment donné ce jugement peut se retrouver, peut être réincorporé. Et comment on peut quand même aussi manifester à l’enfant l’idée à laquelle personnellement je tiens que il ne faut pas vouloir tout dire mais que plus on arrive à établir de liens entre les différents niveaux de l’expérience, plus fort on vit. Plus riche devient la vie...

Bref, que le cloisonnement, la négation, la séparation est toujours quelque chose que l’on ne peut faire que quand vraiment on n’a pas réussi à intégrer - pas intégrer au sens homogénéiser, mais mettre en lien, est toujours une chose qui est un enrichissement...

I.S. Donc restreindre les expressions et mettre en liens...

Exactement, mettre en liens...

On peut prendre des métaphores informatiques, parce qu’alors on a moins de choses à prendre en compte et on peut plus essayer d’aller vers justement ce qui aiguise l’intérêt, le désir, ce qui semble manipulable...

On vient un peu de parler de la Question 70

Question 73 Je pense que la réponse va assez bien de soi, je pense que "n’aie pas peur" n’est pas du tout équivalent à "ne sois pas effrayé".

Si on rend positifs ces deux termes on pourrait dire... "n’aie pas peur" rendu positif cela pourrait dire "ne sois pas trop obsédé" et "ne sois pas effrayé" deviendrait "ait quand même des choses qui t’attirent"... cela serait l’inverse de la proposition qui la maintient.

Au fond, il y a une distinction la peur serait on pourrait dire le pouvoir inhibiteur de l’envie de vivre, de l’envie de tenter, de l’envie d’expérimenter mais cela ne veut pas dire "abandonne toutes tes défenses". Le monde est difficile, le monde blesse, tu peux aussi blesser, nous sommes tous potentiellement dangereux et en danger...

Et donc je crois qu’être effrayé c’est une réaction assez saine devant le danger, d’identification du danger et de retenue.

C’est très intéressant de donner aux enfants l’occasion d’expérimenter et d’utiliser la frayeur comme une technique d’appréhension d’une situation. Tout comme la même chose pour leur envie, qui serait comme une frayeur dans l’autre sens : être attiré par, avoir envie...

Tandis que la peur, si on la comprend dans son opposition ici, serait justement cette inhibition qui paralyse et qui fait que chacun reste enfermé dans ses obsessions angoissantes ou positives. Un des enjeux serait que le message soit plutôt : "n’aie pas peur mais sois prudent". On ne sera pas là pour voler à ton secours ; oui, tu peux toujours faire un pas hors du cercle... mais justement le cercle n’est pas total. Si tu vas trop loin tu pourrais avoir des ennuis tout à l’heure pour ce que tu as fait à quelqu’un.

Tout n’est pas garanti par le cercle... on est de nouveau sur la vérité de cette perméabilité de l’enceinte.