Méthode Thys

TD15

Alors, dans les questions que je n’ai pas encore abordées, je m’étais un peu arrêté en préparant la précédente sur la Question 41 .

J’ai l’impression que cela touche sous une autre formulation la même chose que la précédente. Ici on fait porter la question sur le concept d’œuvre... mais je pense que l’œuvre on peut dire simplement que c’est ce qui s’est déroulé à l’intérieur d’un cadre.

Donc le cadre est le marqueur de l’œuvre : de ce point vue, ce que produisent les enfants dans l’atelier se sont des oeuvres.

Ce qu’il y a aussi c’est le refus d’utiliser différentes techniques en tous cas dans un premier temps pour les matérialiser, pour les réifier et donc on veut les laisser voler, et jouer toute leur nature sonore, c’est à dire évanescente et bien plus tard dans l’atelier amener à écrire, à faire des tentatives, et donc à entrer dans une certaine réification, qui se poursuit quand il y a la séquence où les enfants s’enregistrent eux-mêmes, où ils reçoivent une cassette etc.

Ce sont fondamentalement, je crois, des choses qui contredisent le point de départ de l’atelier, mais peut-être est-ce justement une façon de poursuivre l’expérience, la réflexion sur les différents modes culturels sous lesquels une oeuvre, une production sonore peut petit à petit accéder au rang d’objet, c’est à dire faire l’objet d’une compréhension, d’une appréhension, d’une reprise, d’un échange etc. Cela s’inscrit un peu dans la logique de la méthode...

I.S. Cela reprend un peu... il y a tout une série de questions qui sont connectées en fait avec l’idée que l’on ne peut plus selon certains musicologues faire croire aux jeunes qu’ils peuvent encore composer... la définition de l’œuvre que vous avez donnée est post-moderne au sens où c’est le cadre qui fait l’œuvre...

Je pense, oui. Je crois que c’est vraiment l’option que l’atelier prend et que c’est une bonne option.

De nouveau en cela - et

on peut le mettre tout aussi bien à son débit qu’à son crédit - l’atelier est bien de notre époque, il est bien post-moderne et peut-être qu’il convient encore d’avantage à des plus jeunes qu’à nous qui sommes encore fort modernes justement.

Mais ce qui m’intéresse ce n’est pas que l’atelier soit de son époque mais que peut-être il mature l’expérience que des jeunes vont en avoir et donc que peut-être il leur permette de prendre position plus vite par rapport à ce processus pour que - là, je suis un peu idéaliste - quand même ils aient leur mot à dire dans ce développement historique, et qu’ils puissent entre guillemets avant qu’il soit trop tard choisir le type d’institutions auxquelles ils souhaitent adhérer et qu’ils ne vivent pas justement l’entrée dans la post-modernité comme quelque chose d’inéluctable.

Je pense que c’est quelque chose qui a été fort dicté par des développements de type économique qui ont suivi plein d’événements idéologiques, culturels, historiques, technologiques etc. mais je trouve, quand je réfléchis à ce qu’est la post-modernité, je trouve que c’est tellement... c’est un modèle tellement curieux à mes yeux et finalement tellement difficile à vivre que je pense qu’il est bon d’en faire la gymnastique à l’école.

Au sens de s’y exercer, d’arriver le mieux possible à pouvoir déterminer si on l’aime, si on s’y plaît, si on le supporte et qu’à partir de ce moment là dès que possible les jeunes puissent s’exprimer, opter, choisir, adhérer à certaines choses plutôt qu’à d’autres... parce que nous avons encore beaucoup de garde-fou, des rails dans lesquels nous resterons jusqu’à notre mort mais je pense qu’il y a un basculement quand même très fort dans ces valeurs post-modernes.

Et donc l’idée d’une pédagogie qui inclue des espaces d’exploration de la post-modernité - ce qui est encore une façon de formuler le projet de l’atelier - je crois que c’est assez bien venu... le danger c’est que l’école reste tellement moderne qu’elle diverge totalement...

Et je crois que beaucoup de jeunes en font l’expérience, les vrais jeunes post-modernes c’est à dire les jeunes dans les milieux qui n’ont pas tout cet attirail de références que l’on a dans les classes plus aisées à commencer par la fortune, une tradition, une éducation etc. je pense que eux expérimentent de manière extrêmement forte le dualisme qu’il y a entre le monde tel qu’à l’école et le monde tel que dehors.

Et cet atelier, je crois qu’il est bien à sa place dans ce sens là. Je ne voudrais pas... enfin j’aurai quand même des réticences à dire qu’il devrait leur apprendre à vivre bien dans la société post-moderne parce que c’est une société qui personnellement m’inquiète beaucoup et dont je suis content personnellement de n’avoir pas à y vivre longtemps encore.

I.S. Pour les adultes, surtout nous autres qui avons reçu une éducation bourgeoise, cela peut être un "n’aie pas peur" au sens c’est pas parce que notre idée d’œuvre s’efface que ce qui suit est du n’importe quoi...

Tout à fait. J’ai déjà souligné souvent cette qualité, à mes yeux, de la méthode en ce qu’elle apporte à l’adulte qui en est agent, témoin etc. Je trouve que effectivement

il y a quelque chose de très rassurant... et d’étonnant à la fois.

Et cela montre que l’histoire n’est pas finie.

Un certain type d’histoire effectivement se termine - que l’on en soit nostalgique ou pas de toutes façons on ne sera plus longtemps là pour le regretter.

Il y a une question... en même temps je ne l’aime pas mais c’est la Question 63

.

Moi, je n’ai pas tellement un problème de confiance etc.

On est là, avec ou sans confiance on est là.

Par contre, je trouve que les bandes vidéos que j’ai vu sur l’atelier... je ne dis pas me font faire confiance... mais comment dire : me donnent l’idée qu’il reste des choses à faire, qu’il y a moyen de vivre encore quelques jours là-dessus.

Cela pour moi, c’est très bon parce que l’une des crises contemporaines fortes que je sens c’est qu’à partir du moment où on peut imaginer vivre un peu au-dessus de l’extrême nécessité vitale, cela veut dire ne pas avoir ni trop froid, ni trop faim, ni être trop mouillé par la pluie qui passe par les trous du toit... à partir du moment où on se dit nous devons constituer un espace européen sans ennemis, et bien paradoxalement je crois que la vie devient très difficile.

Je crois que l’on est en train de vivre… j’en ai l’impression parfois - les premières années d’une espèce où il faut arriver à vivre sans pouvoir se constituer un statut personnel sur le dos d’un méchant que l’on peut désigner à tous moments comme la source de tous nous maux, sur lequel on peut rejeter tout ce qui ne va pas.

Donc je crois qu’une des difficultés majeures si on se dit que la paix est un objectif, on doit réaliser ou essayer de réaliser une société de paix où il n’y a pas trop de violence, ou en tous cas la violence trouve des formes d’expression qui ne conduisent pas à l’extermination, au génocide, au massacre, ni au pouvoir systématique d’un homme sur un autre...

Donc si on veut faire cela il faut aussi savoir que c’est un projet dont je trouve qu’il correspond assez mal à l’être humain. On a nous humains, peut-être même plus les hommes que les femmes, une propension assez naturelle à avoir besoin de l’autre pour se constituer et cet autre prend souvent le visage de l’ennemi, du mauvais, du méchant etc. C’est un des ferments du fascisme historique.

Et donc comment pouvoir fonder un projet de vie, un projet de contrat, de constitution de mon statut, de mon identité, de mon groupe etc. qui ne serait pas à la désignation obsessionnelle d’un mauvais grâce auquel nous faisons la paix ou tout au moins nous nous mettons d’accord pour refouler sur son groupe, sur son esprit, sur son genre etc. tout ce que nous avons des difficultés à vivre ?

Peut-être que dans une certaine mesure on pourrait imaginer que des choses, des rencontres du type de celles qui se produisent à l’intérieur de la méthode peuvent être des lieux de recherche en tous cas...

I.S. Ce que vous dites rejoint la question qui préoccupe les musicologues : jusqu’ici l’innovation avait pour but, non pas pour but comme ressort, une négation. Dépasser une portion du passé, se produire original contre... contre la musique tonale, contre... Donc comme flèche de la créativité armé d’une opposition...

Oui... mais je partage ce point de vue de musicologue, je pense que ce n’est pas fini.

C’est à dire que toute démarche d’expression s’enrichit quand elle se mutile.

C’est à dire que le meilleur contact n’est jamais un contact total. Je le vois un peu à partir d’un point de vue inspiré des théories de communication : j’ai l’impression que c’est toujours à partir du moment où on renonce à un certain type de langage, un certain type de contact que paradoxalement la liberté augmente alors que cela devrait être l’inverse. Quand vous vous restreignez, forcément vous avez moins de liberté ?

Et bien paradoxalement il me semble que c’est souvent le mouvement contraire, à partir du moment où on dit nous voulons trouver le langage total, utilisant une infinité de signes par exemple, n’importe lesquels, il est beaucoup plus difficile de construire un discours. A l’inverse c’est en se mutilant, en renonçant à la parole par exemple en n’utilisant que de l’écrit, ou en renonçant à la parole et en utilisant rien que des gestes.

On peut aussi voir beaucoup de gens dirent à travers Internet on est contact avec beaucoup de gens, c’est très grave... mais quand on regarde les contacts à travers Internet ce sont des contacts très lointains pour le moment, c’est seulement des petites touches, des petits claviers que l’on peut taper, c’est une communication extrêmement ténue...

Et moi j’aurai tendance à dire que c’est là son avantage. On voit par exemple dans le domaine du cinéma que plus on a agrandi l’écran, plus on a augmenté le nombre des haut-parleurs, moins le discours cinématographique a pu exister. Et il a fallu peut-être maintenant l’idée - cela nous engage peut-être trop loin d’en parler : j’ébauche juste - l’idée d’un environnement cinématographique total va tuer le cinéma. En tous cas, va tuer un certain type de langage cinématographique qui devait justement sa pertinence à la limite du bords du cadre et que l’écran ne soit pas trop grand, et qu’il n’y ai pas trop de haut-parleurs, et que l’on ne puisse pas faire trop fort etc.

Je crois aussi donc que l’expression de la liberté de communiquer, de s’exprimer se réalise particulièrement bien quand il y a une convention visant à dire nous allons nous limiter... comme une pièce de théâtre, on ne peut pas faire une pièce de théâtre de trois jours, la notion même c’est nous n’avons que quelques minutes pour la faire, tout doit tenir dans ce gabarit, et on ne peut pas faire une pièce de théâtre qui se déroule sur un champ d’aviation par exemple, il faut un espace scénique que l’on peut traverser en quelques pas, et l’enjeu c’est justement de faire tenir dedans. Idem pour les tonalités, les gammes etc.

L’idée de la clôture montre aussi que c’est un champs, un labyrinthe intérieur si on veut, on renonce à la totalité de l’univers en disant nous ne sortirons pas de là mais c’est là que cela va se passer. Et, pour moi, cela ne donne pas vraiment de rupture par rapport à la production traditionnelle de la musique qui a toujours fait cela, et à chaque mouvement d’ouverture vers par exemple un instrumentarium ou un système tonal etc. à correspondu très vite un système de réduction comme si justement un langage ne pouvait être qu’un langage auto-limitatif et alors susceptible d’être vraiment investi par un désir de communiquer, d’exprimer, d’inscrire etc.

Donc par rapport à cette question musicologique la restriction volontaire reste présente dans l’atelier, dans la méthode. C’est presque même, au fond, le premier message que reçoivent les enfants en découvrant le dispositif : il est tout petit, cela va se dérouler à l’intérieur de cela, on leur suggère déjà que l’on ne pourra pas courir partout, que l’on ne pourra pas tout faire... non, c’est là.

I.S. Et on ne pourra pas avoir ce mode de socialisation qui est... recourir à l’adulte pour juger, déterminer, couronner...

Et alors surprenant : ils pigent !

Ils comprennent cela très vite, on n’en voit pas sortir immédiatement, lancer des appels désespérés, essayer de provoquer l’implication, apparemment ils comprennent... enfin moi je n’ai jamais été témoin vraiment, je n’ai jamais pu voir le genre de posture... la caméra ne filme jamais cela, elle filme toujours les enfants, j’aimerai bien voir comment apparaissent les adultes, peut-être qu’ils prennent justement une "attitude de sachem"... qui ne desserrent pas les lèvres - c’est dans les directives, je crois - pas d’assentiments, ne pas bouger, rester de marbre... apparemment le message passe bien.