Méthode Thys

TD14

Donc la Question 19bis que je propose, pourrait se formuler de la façon suivante : quel type de perméabilité doit-il exister entre l’enceinte close de l’atelier et l’extérieur de cette enceinte ? C’est à dire l’avant, l’après, l’ailleurs... spatial, temporel, langagier parce que...

C’est vrai qu’ils utilisent un langage sonore ; lequel, est-ce que c’est un vrai langage ?

Mais en tout cas cela passe par du son, des postures etc.

Il y a comme la directive qu’à l’intérieur de ce cercle il n’y a pas de discours, on n’écrit pas... ou alors on écrit en faisant une espèce de genèse de la graphie.

J’explique maintenant un peu la question : il me semble qu’il est trop simple de dire que ce qui se déroule à l’intérieur de l’espace temps langage de l’atelier ne doit pas faire dossier. C’est une bonne approche parce que l’on dit qu’il faut une discontinuité, il faut une rupture, un saut à passer... mais je pense que l’on ne peut pas se satisfaire de cette définition trop simple de la clôture, parce que vivre c’est intégrer.

Je reviens à mon idée d’associer. Une chose qui n’est pas associée à une autre... c’est, je crois, une difficulté vitale et si on n’arrive pas à associer, si on n’arrive pas à établir un lien quelconque entre une expérience et une autre, entre un niveau de perception, de sensation et un discours etc. d’une certaine façon on reste étranger à soi-même.

Je pense que aussi bien dans un processus éducatif avec des jeunes que dans une manière de vivre, il est bon d’établir des liens. Donc, après avoir dit que quelque chose d’original se déroule à l’intérieur de cette enceinte, on doit en même temps se poser la question - c’est pour cela que c’est une question suscitée par le dispositif - comment peut-on envisager l’une ou l’autre forme de liaison, de continuité entre l’expérience et l’extérieur de l’expérience ?

Cela me semble d’autant plus important que j’ai l’impression qu’une des missions de l’école est de rendre les jeunes capables justement de verbaliser, de signifier, d’intégrer, de mener une réflexion qui leur permette d’organiser l’ensemble de ce qu’ils perçoivent, de leurs expériences etc.

Je crois que l’on ne peut pas être complètement satisfait de dire : nous disons une chose définitive, ce qui se passe ici ne doit plus avoir d’avenir, ne doit plus être récupéré. D’abord on voit que de séances en séances les enfants le récupèrent, ils établissent eux-mêmes une espèce d’enfilade, de récupération de ce qu’ils font de séances en séances.

C’est frappant de voir quand les séquences vidéos sont montées par enfants de séances en séances que l’enfant semble poursuivre quelque chose, il fait un itinéraire expérimental, expérenciel plutôt, de quelque chose.

Je crois que l’on a peut-être insuffisamment réfléchi au type de pédagogie ou au type d’intégration que l’on pouvait quand même imaginer entre l’espace atelier, l’espace méthode Thys, et l’espace extérieur.

Je crois que l’on ne pourra pas économiser un effort pour essayer de voir malgré tout comment un enfant pourrait réfléchir et parler de ce qu’il a fait. Pas forcément pour un faire un discours qui clôt, pas forcément pour en faire un programme pour les prochaines fois, mais en tous cas, ne fusse que par exemple pour être capable d’émettre un jugement critique à un moment donné, accéder à une prise de parole sur sa volonté de participer ou pas à cette expérience.

Aussi pour apprendre lui-même à socialiser cette expérience intime qu’il a vécu dont un moment donné, je crois, il ne pourra vraiment prendre conscience qu’à condition d’avoir l’occasion de dire quelque chose à ce propos... ou de se dire quelque chose.

Je ne sais pas si il doit rendre des comptes à quelqu’un - j’aurai tendance à dire que là on part sur une mauvaise voie - mais malgré tout il doit être capable de voyager dans les différents niveaux de compréhension, les différentes manières de vivre la situation de l’atelier. Pas la première semaine, mais à un moment donné quand même il doit être capable de se prononcer et de formuler quelque chose, mais aussi de mettre en question toutes tentatives de rationalisation par un jeu qui échappe éventuellement au langage... mais dire ce jeu échappe à toutes explications, à toutes définitions c’est quand même dire quelque chose, c’est quand même d’une certaine façon contrôler un processus et se l’approprier.

Je crois donc que la clôture est très certainement une position théorique indispensable et valable mais à un certain moment on ne peut plus se contenter d’une périphrase qui dit : voilà il y a une clôture.

Je crois d’ailleurs que l’on peut élargir cette idée : si on compare par exemple le langage ou le projet artistique du reste de la vie, c’est vrai que dans nos sociétés l’œuvre d’art est souvent matérialisée par un cadre, un créneau horaire. Le spectacle commence à telle heure, il finira à telle heure... c’est cela qui le rend supportable. C’est cela qui permet d’identifier un certain nombre de... je parlais l’autre fois que l’on peut se promener tout nu sur une scène dans un certain projet théâtral mais pas dans d’autres conditions, cela veut dire qu’il y a des marqueurs sociaux d’un espace où le statut de l’expression, du langage que l’on utilise, les propos que l’on tient ont une certaine portée qui n’est pas exactement la même que dans le reste de la vie.

Cela n’empêche que l’on ne peut pas non plus promouvoir une imperméabilité totale, je crois que l’art remplit une fonction sociale justement dans la mesure où il peut être à la fois un terrain d’expression de l’indicible ou d’un certain type de pensée prélogique ou un certain langage de l’inconscient... c’est toutes des façons de dire ce dont l’art peut espérer être un lieu d’expression.

Mais il faut aussi réfléchir à ce que j’appelais les perméabilités, c’est à dire que si l’art devient un pur jeu fermé, tout ce qu’il peut produire n’a plus de portée non plus. D’ailleurs cela peut arriver : s’enfermer dans l’esthétique... on peut imaginer on pourrait dire des "déviances artistiques", c’est à dire des situations où la clôture fonctionne tellement bien que l’art ne remplit plus de fonction, ne permet plus, ne questionne plus... on peut tout dire, tout est possible, et si vous voulez dites encore autre chose... de toutes façons personne n’en tient compte puisque l’on est dans l’espace artistique.

A mon avis, quelque chose se perd à ce moment là. Je pense donc que l’on peut réfléchir de manière intéressante sur la méthode ou sur l’art de façon parallèle à partir de la réflexion sur le type de clôture et le type de perméabilité. Moi personnellement je la pose comme question parce qu’elle est simplement... j’ai simplement illustré ma question, je n’ai pas apporté de réponse.

Mais en tous cas, je crois qu’au fond j’ai été mis à l’épreuve par le questionnaire pour y penser et en y pensant j’ai découvert que c’était un chemin qui devait être poursuivi parce que pour le moment il y a un implicite malpropre, je dirai, dans la façon dont je le perçois...

I.S. Cela soulève deux questions : la première c’est celle de la formation de ceux qui seraient dans cette perméabilité parce que c’est encore plus exigeant que d’être régisseur... on quitte le boulot de régisseur. Et la seconde : l’exemple de l’art le rend encore plus difficile, parce que si il est quelque chose très notablement difficile c’est cette perméabilité... en ce qui que concerne l’art. Le oui c’était bien, c’était beau, j’ai été interpellé quelque part, j’ai été beaucoup touché...

Oui, et maintenant, et après...

En général, le silence règne...

Oui, c’est cela. Mais moi j’aime bien l’idée que le dispositif soit proposé à des enfants avec sa valeur interrogative, c’est à dire... peut-être que justement que cette question n’a-t-elle pas de réponse claire, peut-être que c’est une réflexion éminemment politique de voir quel genre de perméabilité on peut imaginer ou que cette perméabilité est à construire ou à faire, on peut imaginer tout un tas de choses.

Mais je trouve sympathique l’idée que des adultes, finalement pas très sûrs de leur coup, relativement modestes quant à leur capacité à répondre à la question, se disent : en tous cas, faisons confiance aux enfants aussi, en leur disant : voilà, on vous cède une culture avec toutes ces ambiguïtés aussi, avec éventuellement ces insuffisances... mais de toutes façons bientôt nous aurons disparu, vous allez continuer, cela sera votre affaire.

Il y a quelque chose que je trouve intéressant à peut-être ne pas tout à fait épuiser cette question de la clôture et de la livrer comme une question.

Le danger évidemment c’est d’être trop vite content d’avoir posé une question sans réponse et de se dire aussi qu’il y a peut-être des choses dangereuses justement.

C’est aussi parce que j’ai réfléchis à cette autre compréhension de la question relative à Auschwitz, c’est un peu elle qui m’a poussée à cela : tout le monde était là pour faire de l’art et pendant le temps de l’exécution de la musique c’est comme si le reste du monde s’était arrêté, accepte-t-on cette imperméabilité ?

On voit que dans ce cas, elle est absolument perverse : il y a un rapport de pouvoir absolument scandaleux entre des personnes et, rentrant dans cette enceinte artistique, pendant un temps ils suspendent ces rapports, il n’est plus l’objet de rien, alors que justement ils sont confrontés et que l’on pourrait peut-être faire quelque chose ou bien peut-être ne pourrait-on faire que de l’art à ce moment là.

On voit bien que la question de l’encadrement, même au sens matériel, de l’œuvre d’art, c’est à dire ce qui la détermine, ce qui en montre la limite sociale et aussi son champs interprétatif, est une chose essentielle.

Et cette question on la retrouve au fond dans le dispositif qui ne peut pas se satisfaire de dire voilà il y a un espace... parce que c’est aussi un peu de l’ordre du sacré, le sacré aussi c’est ce qui échappe au monde, ou ce qui est dans un autre ordre des choses - ce sont toutes des façons de dire peut-être la même idée : on a deux logiques qui sont différentes. Mais on ne peut pas maintenir deux logiques fondamentalement différentes sans à un moment donné envisager leur contact, leur échange, leur opposition... c’est insatisfaisant, moi cela ne me satisfait pas.

C’est un peu sous l’influence de ces questions que j’en suis venu à me dire que l’on avait un chat à fouetter là-dessus. I.S. Un gros chat...