Méthode Thys

TD11

I.S. Mais même dans le "Jeu des Parties et du Tout" l’idée du préférable comme vous dites continue puisque... comment écrire ?

Oui, je suis obligé de formuler mon préférable, je dois opter entre différentes perspectives et donc mon trait va avoir valeur de programme.

Et je dois accepter le regard de l’autre sur ce programme qui va éventuellement me dire : tu feras cela avec quelqu’un d’autre, je ne veux pas le faire avec toi, il est moche ton truc...

C’est pour cela que malgré tout je pense qu’il fallait mettre de l’écriture dans l’atelier, nous sommes dans des sociétés de l’écriture et le registre de l’écrit est un registre très important, c’est celui qui fait que tant que l’on n’a pas retrouvé mon corps, si mon identité dans un fichier quelque part dit que je suis toujours vivant, on peut mobiliser des millions pour me rechercher parce qu’il faut trouver où je suis, on ne peut pas échapper à la société civile aujourd’hui... avec les systèmes plus informatisés cela va peut-être changer, je ne sais pas, on aura des existences virtuelles...

Pour cela on est encore dans l’ancien régime, dans le régime moderne, mon identité est définie par une inscription à la commune qui doit être toujours en conformité avec ma situation physique. C’est peut-être la survivance de l’ancien système...

I.S. Moi, je me sens plus moderne que post-moderne je dois dire, parce que solidement inscrite... Et peut-être que je suis plus solidement inscrite... je suis une fille de l’écriture avant tout, plus que l’écriture de l’imprimerie même...

Ah, mais certainement... ici, on passe dans autre chose...

Il y a une question sur le dispositif que permet le Web qui est aussi une sortie de l’imprimerie...

Tout à fait... je pense que justement cela justifie aussi un intérêt pour la méthode parce que je me sens tout autant moderne...

JJe repère des fragments de post-modernité, des fragments, mais je me rends en tous cas compte que nous sommes dans un système qui va dans ce sens là et que donc si je me sens une responsabilité d’éducateur, je peux prévoir que les jeunes vivront un petit peu plus dans ce sens là, et ils doivent arriver à le gérer, à faire leur préférable eux-mêmes même si c’est au péril de leur vie, qu’ils vont devoir se battre corps et âme contre ce système...

Puisqu’ils auront à évoluer dans ce système là, qui sera probablement encore un peu plus fort que nous ne le connaissons actuellement, c’est intéressant qu’ils ne soient pas tout à fait ignorants des systèmes d’inscription, d’autres systèmes etc.

Ou alors

nous faisons une croix sur toutes perspectives démocratiques, l’homme n’est qu’un jouet total - je pense qu’il est le jouet de l’histoire, mais c’est quand même bien qu’il puisse avoir au moins la prétention de jouer un certain rôle, je pense que plus loin on ne peut pas aller mais c’est quand même intéressant.

J’aurai des difficultés à dire à un enfant : écoutes, je dois te dire une chose, tu n’es rien, ta vie ne sert à rien et je ne vois pas pourquoi d’ailleurs tu continuerais à vivre etc.

Moi, j’aime bien me lever le matin en me disant aujourd’hui il va probablement arriver quelque chose d’intéressant, donc je ne suis pas tout à fait rien.

Et donc j’aimerai bien aussi envoyer aux suivants le message qu’il y a un certain intérêt à rester en vie... sans pour autant dire je vais à présent dominer mon histoire, me maîtriser, devenir mon propre maître, etc. c’est la pire des choses.

Un système éducatif qui donne cela comme message : "que puis-je" ?

C’est

Xavier Renders qui avait écrit un livre qui s’appelle le "Jeu de la demande", c’est un ouvrage de pédagogie où il compare des conceptions de l’enfance et dans l’introduction il dit qu’au fond la question que pose l’enfant à l’adulte c’est : dites-moi ce que je peux demander ?

On parle toujours de la demande de l’enfant, que l’enfant attend ceci etc.

Il dit que lui aurait tendance à dire que l’enfant attend qu’on lui dise ce qu’il peut demander.

Et donc un dispositif envoie comme message aux enfants ce qu’il peut demander mais aussi de renoncer à des choses qu’il ne peut pas demander.

Par exemple, ce n’est pas mauvais que les ateliers soient l’occasion d’apprendre aux enfants qu’ils doivent renoncer à l’idée qu’ils peuvent demander à l’autre d’être leur esclave.

C’est bon, il remplit bien son rôle de socialisation en disant : de toutes façons essaie, essaie de maîtriser... parce que les enfants ont envie comme nous tous, on a tous envie de maîtriser tous ceux qui nous entourent, mais à un moment donné il faut y renoncer parce que l’on se rend compte qu’on est pas le plus fort, que l’on risque à son tour de tomber sous la coupe de quelqu’un d’autre qui est tellement fort qu’il arrive à nous maîtriser.

Ne pas être totalitaire pour autrui parce que de toutes façons n’étant pas le plus fort il risque d’en avoir un contre moi, donc essayons de nous mettre d’accord, de débusquer les dangers des plus forts et en étant assez nombreux on pourra peut-être essayer de dévier les coups et de ne pas trop en prendre.

Et cela c’est quand même quelque chose qui se produit dans les ateliers, on se rend bien compte qu’il y a un jeu d’ajustement de l’un par rapport à l’autre, très subtil, qui passe par toutes les figures, le potlatch, l’échange, le je te rends, le je faisais semblant, je faisais comme si, et toi tu faisais semblant de quoi etc.

Il y a dans les formes d’échanges et des modes de relation, toute une expérimentation des différentes figures allant du compromis à l’asservissement.

Un grand panorama, un grand éventail de figures relationnelles. Y compris, parce que il y en a quelques uns, je me souviens d’avoir vu de merveilleuses dialectiques maître-esclave, de beaux couples sado-maso.

C’est intéressant que l’atelier permette de le faire un certain nombre de fois, pour aller jusqu’au fond de la logique parce que les enfants l’ont déjà vécu à l’extérieur, ils la répliquent, ils la modélisent, et aussi de voir comment on peut construire une figure de sortie dans, par exemple une évolution relationnelle qui va dans une perspective sadomasochiste, mais à un certain moment tout le monde y trouve son compte et les gens sont très contents de pouvoir enfin être la victime d’un grand méchant qui les poursuit...

Mais à un moment donné, la lassitude survient et on dit et alors ?

C’est typiquement, de nouveau, dans des contextes tels que ceux de l’atelier ou ceux des échanges sonores, que l’on peut essayer de construire des figures et explorer des modalités de gestion de ce genre de choses.

La Question 44 m’avait frappée parce que justement elle touchait la question de la virtualité du dispositif : Auschwitz/Schubert...

Il y a des dispositifs qui ont pour but d’être foncièrement malveillants, ce que j’appelle les dispositifs totalitaires, c’est à dire des dispositifs qui sont conçus pour empêcher toutes virtualités, l’univers carcéral, l’univers concentrationnaire etc.

Et donc, on a joué Schubert à Auschwitz c’était justement la réponse créative, improvisatrice que certaines personnes arrivaient, à l’extrême fin de leur existence, à faire malgré tout.

Cela montre aussi toute l’ambivalence de ces univers concentrationnaires où parfois des gens écrivent des livres absolument fabuleux en prison, d’autres font des études remarquables en se faisant envoyer les textes des cours etc. Le monde est aussi un peu concentrationnaire, foncièrement.

Et notre société l’est, alors qu’elle n’arrête pas de parler de liberté, tout simplement parce qu’elle est incroyablement soucieuse de conserver toutes les traces de son passé, nous vivons dans des musées.

J’ai été un jour à Lisbonne et j’ai vu je ne sais plus quel mouvement de jeunesse qui jouait dans ces immenses escaliers en marbre des églises etc. pour un petit enfant à Lisbonne le poids du passé c’est horrible, comme c’est opprimant. Il n’y a pas de terrains vagues, tout est occupé par des palais, des gens d’une telle puissance qu’ils se sont dit qu’ils allaient pouvoir emmerder des générations après eux, faire des choses tellement solides que tous ces gens devront s’inscrire dans ce que moi j’ai voulu comme occupation territoriale etc.

Dans des sociétés aussi conservatrices que les nôtres, tout l’enjeu - un peu comme en judo - c’est d’utiliser toute la force de cette conservation pour faire un geste et l’occuper, et échapper, et faire du Schubert dans Auschwitz.