Méthode Thys

TD07

I.S. C’est une belle expression au fond "régler son compte" si on l’entend au pied de la lettre, c’est bien...

C’est bien effectivement, c’est bien quand cela ne met pas fin à la vie.

Quand on arrive à trouver les formes pour que quelque chose aie encore une capacité d’engendrement après. Si c’est régler son compte de façon définitive, c’est très grave. Là cela veut dire que l’on a fermé la porte à toutes possibilités de poursuivre l’existence.

Mais effectivement régler son compte cela peut être une bonne chose... bien régler, c’est à dire avec pas trop de désir de mort aussi.

Dans "Viva la muerte", il y a aussi l’envie de régler les comptes mais avec beaucoup de désirs de mort...

I.S. Je pensais aussi que l’on a choisi un drôle de mot parce que quand on dit régler son compte on pense désir de mort, alors que c’est ajuster...

C’est ajuster... on frôle... on est vraiment dans l’espace fragile, c’est pour cela que cela demande un apprentissage long, difficile.

C’est pourquoi cela mérite de figurer dans des activités scolaires, au nom de cela. Et puis parce que au fond c’est encore bien comme dispositif, c’est moins contaminant que si on faisait cela pendant un cours de math, probablement... parce qu’il y a les points etc.

Moi, j’ai été très frappé par nos discussions, il y a quelques années avec l’expression "faire dossier", moi cela m’a vraiment éclairé énormément...

Question 29 Je pense que, au pied de la lettre, l’expression "ne menant nulle part", c’est non évidement...

Pour moi cela mène... mais je comprends que stratégiquement on puisse dire que cela ne mène nulle part, c’est à dire qu’il faut que cela n’entre pas dans une stratégie.

Il y a dans l’idée de stratégie une idée de volonté de maîtrise du déroulement des choses qui est, à mon avis, contraire à l’esprit même de l’atelier, de la méthode. Donc à ce niveau là, on peut comprendre l’expression "ne menant nulle part".

Maintenant je pense qu’il ne faut pas comprendre cela autrement que comme une espèce de formule. Hervé Thys utilise souvent des formules provocantes comme cela.

Non, pour moi cela mène vraiment quelque part, mais seulement je ne veux pas savoir où.

Cela doit mener à cette capacité de penser le politique, de penser l’associatif, de créer des formes qui soient à la fois pleinement pénétrées puisque l’on a la chance d’avoir un patrimoine au niveau des idées, on a des penseurs qui sont morts, on a la chance de pouvoir encore aller les voir, mais que cela ne devienne pas inhibant au point de nous faire vivre dans une société morte.

Pour moi tout l’enjeu contemporain est là, et donc il faut savoir ce que l’on entend par "ne mener nulle part" : pour moi cela veut dire par exemple ne pas faire dossier. On doit sortir d’une logique cumulative où à chaque phase on fait un bilan, ce bilan est normé avec du plus, du moins, on est d’accord là-dessus et on l’inscrit. Et cela va jouer pour ou contre vous, vous allez adorer votre blason ou perdre votre blason...

Il est très important que les ateliers échappent à tous jugements de valeur à ce niveau là.

Par contre, il est important qu’après l’atelier, au fond, on puisse se dire c’était bien. Mais le "c’était bien" n’est pas du même ordre que le dossier dont je parlais tout à l’heure.

Je n’ai pas moi-même été jusqu’au bout de la réflexion là-dessus mais je sens une différence très forte entre les deux. Mais je ne sais pas encore très bien comment on pourrait la figurer.

Il y a une question justement : "est-ce l’abandon de toutes possibilités de jugement... couper l’appétit, c’est la 11.

Question 11 Je dit oui en ce qui concerne les jugements de valeur de type bilan, inscription, dossier etc.

Et non, parce que je crois que le jugement de la valeur, c’est

le droit d’exister au plaisir, aux sentiments, à la douleur, à la souffrance etc. on ne peut pas nier cela.

Si on créait des médicaments qui nous feraient échapper tout aussi bien au plaisir et à la souffrance, je pense que la vie n’aurait plus aucun sens.

La souffrance et le plaisir doivent rester, plus que jamais, inscrits dans le dispositif, mais comme tensions dynamiques, comme des choses avec lesquelles on joue parce qu’on en a besoin. Et ne pas mener à des verdicts, à des dossiers, de passer à l’étape ultérieure etc.

Il faut arriver à débusquer toutes ces tentations de normalisation, mais en aucun cas couper l’appétit par rapport aux jugements de valeur. Mais par exemple donner de l’appétit pour, je dirais, la suspension du jugement de valeur, ce n’est pas vraiment la même chose.

Ce qui est très intéressant, par exemple, dans la musique contemporaine et ce dont, de nouveau, notre société souffre de ne pas faire assez c’est justement d’être capable d’accueillir en disant je suspends mon jugement de valeur... pendant un moment - il viendra, je le ferai - mais pendant un moment je me mets dans une position telle que je me laisse prendre.

C’est encore une fois toujours cette figure de système clôturé.

Seul un système clôturé qui de toutes façons garantit que l’on aura à manger, que l’on ne vous tuera pas, que vous pourrez aller dormir après etc. au delà de la clôture les choses rentreront dans l’ordre prévu mais à l’intérieur il y a la suspension. La suspension du jugement de valeur peut être interprétée comme : renonçons à (ne pas) vouloir tout de suite imprimer une démarche évaluative.

Mais de toutes façons, quelque chose devra être évalué... par exemple, nous évaluerons dans quelle mesure nous avons réussi à ne pas faire dossier. On va retrouver l’évaluation ; la qualité, on ne pourra pas s’en passer.

Et moi, je ne souhaite pas que l’on s’en passe, on est très loin de pouvoir dire de toute façon tout est valable etc. Ce n’est en tous cas pas du tout mon attitude par rapport aux ateliers...

D.D. Donc en même temps le dispositif signifie aux enfants qu’ils sont dans un espace où le jugement de valeur est suspendu et en même temps ils s’y déplacent aisément, ils l’habitent facilement, or...

Ils l’acceptent facilement, je suis surpris de la manière dont ils l’acceptent docilement, c’est étonnant... à mes yeux, ils ont une force incroyable.

J’ai l’impression que moi, il me faudrait infiniment plus... mais en même temps, c’est peut-être parce que je n’ai pas les parents gentils qui me regardent pendant ce temps... on est pas dans la même position dans le système.

Mais je dirai que j’aurai besoin de beaucoup plus de stratégies de réassurance pour me permettre de me couler dans ce dispositif aussi bien que ne le font les enfants.

Mais eux sont dans une position infantile, justement. Ils peuvent encore entretenir l’illusion - et tout le monde y contribue - que l’on peut y aller, qu’il y a un regard bienveillant de l’adulte, qu’il y a un espace potentiel avec une certaine félicité à la clef, une promesse de réussite. Enfin apparemment, ils semblent assez bien... pas tous, il y en a quelques uns pour lesquels c’est plus difficile, mais dans l’ensemble...

C’est un peu comme ces bébés que l’on jettent à l’eau, ils semblent avoir connu l’eau depuis très longtemps, et quand on les met là c’est un peu comme cela que je les vois, c’est incroyable comme ils se rétablissent bien et au fond, c’est pas du tout n’importe quoi...

Je dirai même que, indépendamment de toute portée pédagogique, c’est là que la méthode m’intéresse moi. Elle me rassure, indépendamment de tout effet sur les enfants, elle donne peut-être aux adultes, qui veulent bien le voir, une occasion assez exceptionnelle d’admirer - il n’y pas d’autres mots - des capacités qu’en général on n’attribuerait pas aux enfants,

et cela nous étonne...

I.S. Et cela change quelque chose à ce que vous pouvez envisager de faire, de penser, d’écrire, de savoir que les enfants sont capables de cela ?

Oh oui, beaucoup...

Cela me donne des raisons d’espérer d’une certaine façon.

Cela montre combien la vie est forte, cela montre combien on peut encore faire des choses. On peut valablement résister à l’envie stratégique et à l’envie du programme, faisons seulement de bons dispositifs.

Il y a pour moi un saut qualitatif dans le passage du programme au dispositif. Un programme considère à peu près le sujet, pour reprendre toute la terminologie, comme un matériau inerte dont on va simplement mesurer l’impact etc. et cela pour moi quelque chose qui me révulse et qui me fait peur, qui est abondamment pratiqué dans le monde contemporain...

I.S. Donc cela vous a "coupé l’appétit" quant à un certain type de jugement de valeur, si il n’y a pas le programme ce sera du n’importe quoi etc.

Absolument, cela transfère tout l’enjeu au niveau du dispositif.

Fondamentalement la question reste la même, mais il y a un transfert au niveau du dispositif.

Mais il y a quand même une valeur ajouté dans ce passage, parce que elle montre cette forme d’intelligence, elle la fait bien apparaître cette intelligence enfantine qui est cette faculté de percevoir.

Justement pour moi les injonctions comme "écoutez le silence" etc., on peut les dire, ne pas les dire, mais il ne faut pas qu’elles deviennent programmatiques, il ne faut pas que l’on se dise : attention 38’’, phase quatre, écoutez le silence... alors là de nouveau c’est fini.

Et cela me renvoie à la formation des animateurs, que, contrairement à Hervé Thys, je vois nécessairement comme des gens qui acceptent d’aller loin dans un certain ébranlement et dans un certain réconfort aussi, de nouveau... pour moi c’est un commerce : je perds, je gagne...