Méthode Thys

TD05

Question 2 Pour moi indescriptible c’est résistant à toutes interprétations, résistant à toutes formes d’interprétation, résistant à toutes sémiosis.

Sémiosis étant le système d’interprétation consistant à établir une fonction entre un signe et la chose qu’il appelle, que se soit son signifié ou son référent peu importe. Ce qui est indescriptible c’est ce qui résiste à toutes sémiosis, on a beau en appliquer une, en essayer une autre on a l’impression que l’on ne saisit pas l’objet.

Voilà ma définition de l’indescriptible, et cela correspond assez bien à ce que produisent les enfants dans cette situation là... au fond c’est peut-être cela qui est intéressant...

Le fonctionnement social des signes implique plusieurs niveaux : moi qui m’exprime, je maîtrise un certain nombre de signes d’expression que j’utilise mais j’en utilise un certain nombre d’autres que je ne maîtrise pas. Je pourrais tout à coup éternuer, être pris d’un sanglot ou faire un lapsus, moi, je ne les maîtrise pas. Je n’avais pas l’intention d’utiliser ce signe pour signifier ce que je signifie, et cela c’est le niveau de mon énonciation.

Mais il est évident que ici quand on dit peut-on reconnaître qu’il y a mise en forme on ne se pose pas la question de savoir si il y a mise en forme au niveau des enfants. Moi, qui regarde une bande vidéo ou qui assiste, est-ce que je perçois une mise en forme ?

Donc à ce moment là, justement je peux construire mon interprétation soit à partir de ce que j’identifie intuitivement comme étant l’intention de l’enfant, là c’est clair il essaie de faire peur, là c’est clair il essaie... C’est moi qui dit là c’est clair ! Ce n’est clair ni pour lui, ni pour moi. Il y a la forme que l’on veut bien s’accorder à reconnaître.

Si à un moment donné nous arrivons à force de les regarder ensemble à nous mettre d’accord, simplement nous établissons alors une convention d’interprétation. Qui va donc devenir valable simplement tant qu’il n’y aura pas quelqu’un parmi nous qui dira les gars on s’était complètement trompé, ce n’est pas cela du tout.

Et donc est-ce qu’il y a mise en forme ?

Je dirai que dans un premier temps cette mise en forme est conçue pour échapper à l’interprétation, et elle le fait relativement bien mais cela veut dire aussi que si nous nous attelons à les regarder, à les détecter, à les structurer et à nous alphabétiser, progressivement, à cette mise en forme, il n’est pas exclus que nous arrivions à identifier des phases, des constructions, différentes formes de syntaxes, de sémantiques, peut-être.

Mais en sachant bien que c’est une construction sociale, c’est une construction historique.

La forme elle n’est pas dans la forme, elle est dans la grille que nous parvenons à un moment donné à projeter dessus. Je pense que si on s’y attelle avec suffisamment de soin, on peut arriver à détecter des formes mais la question est de savoir si il y a une pertinence à y arriver.

Ou est-ce que justement il n’y pas un certain intérêt à laisser flotter la forme, à ne pas vouloir l’endiguer ? Est-ce que ce schéma (disposition en cercle, à l’intérieur des chaises, espace virtuel) n’implique pas pour être conforme avec lui que nous renoncions à vouloir identifier des formes, peut-être ?

En tous cas, je pense que ce que l’on propose aux enfants dans le cadre du dispositif n’est pas de le faire, on ne leur demande pas d’inventer des alphabets morses, au contraire on leur dit instituez, faites surgir etc.

Et si vous voulez vraiment faire apparaître tel signe comme valable et bien répétez-le jusqu’à ce que nous le percevions comme tel. Et apprenez-nous à le comprendre, mais apparemment ils ne le font pas beaucoup puisque on repère assez bien l’empreinte dans chaque production musicale de chaque enfant mais on ne perçois pas de formes au sens de possibilité d’identifier des tonalités, des rythmes particuliers...

I.S. Et la Question 1 , elle ne vous intéresse pas ?

Non, si on s’attache aux énoncés explicites... Non ce qu’il y a d’intéressant c’est les énoncés implicites...

On viendra peut-être à la robustesse, je pense qu’il n’est pas du tout robuste, je ne suis pas du tout d’accord avec Hervé qui dit qu’il suffirait d’animateurs avec deux ou trois consignes... je ne le crois pas du tout... enfin on y viendra peut-être.

Question A Je pense, justement, que son intérêt c’est d’appeler à l’invention d’autres dispositifs, c’est de montrer que, à la fois, les enfants et nous parce que nous sommes quasi contemporains dans l’affaire, nous arrivons dans une société épouvantablement structurée.

Pour moi, le monde contemporain est un monde saturé d’institutions... et on en souffre.

Et donc, un des enjeux c’est de voir que faire avec cette saturation des institutions, que faire avec un monde qui a établi une telle remémoration de tout ce qu’il a déjà connu que tout à été fait, tout a été mesuré (il y a aussi cet ouvrage : "Voici venu le temps du monde fini ..." qui dit très bien l’idée)... "Faites ce que vous voulez, de toutes façons on l’a déjà fait".

Je trouve que politiquement c’est un des problèmes contemporains tout à fait majeur pour les jeunes.

Ils arrivent dans un monde où on leur demande d’être très créatifs, d’avoir beaucoup d’idées mais de toutes façons chaque fois qu’il en auront une, on leur dira mais cela c’est déjà fait.

Tout simplement parce que notre système d’écriture, d’inscription, d’enregistrement a produit un tel corpus de sédiments d’expériences humaines que l’on peut pas entretenir l’illusion que nous sommes véritablement dans l’originalité.

D’où évidement l’envie de recourir à des dispositifs où l’excès de répétitions produit l’ivresse. C’est assez logique la techno-danse, danser sur une boucle sonore puisque de toutes façons nous sommes dans un labyrinthe qui s’auto réplique à tous moments, apprenons à nous enivrer, à décoller par rapport à cela, c’est encore la dernière chose que nous pouvons faire.

C’est à dire devenons parfaitement amnésiques, et laissons nous prendre par un rythme scandé qui nous fait échapper à cette obsession "non, tout a déjà été fait de toutes façons".

Je crois qu’il y a un grand danger d’enfermement dans l’institutionnel aujourd’hui.

Je pense donc que si le dispositif marche, c’est justement dans la mesure où il peut permettre petit à petit à des enfants comment dans un dispositif structuré, on peut inventer d’autres dispositifs. Et qu’à la limite c’est vital, on doit. Sinon, il n’y a qu’à se suicider. Ou à s’enivrer justement, c’est à dire se construire un rapport au monde tellement égocentrique qu’il retombe dans la confusion générale...

Et que donc la question du rapport au monde, du rapport au temps ne se pose plus puisque l’on se trouve dans un univers qui n’a plus cette structure là.

Donc si on exclut le suicide et l’ivresse totale, la seule chose que l’on puisse faire c’est ruser à nouveau avec les institutions, c’est à dire qu’il faut malgré tout essayer de les subvertir, de les éprouver et d’en construire d’autres aussi.

Parce que de nouveau si l’institution ne permet pas de revenir à l’expérience primordiale, fondamentale de la violence etc. elle n’a plus aucun sens. Si je ne sais pas contre quoi me protège un règlement, ce règlement n’a plus de portée. La transgression, le jeu et à certains moments le verdict, la critique en disant : ce règlement est mauvais, il ne me convient pas, je le déteste et je vais vous dire pourquoi... et l’institution de nouveaux dispositifs me semble un enjeu majeur de nouveau de cette associativité - qu’elle soit politique ou musicale d’ailleurs, le problème est exactement le même.

Et donc, si le dispositif marche ce n’est que dans la mesure où il est pédagogiquement inducteur chez les enfants de cette faculté d’institutionnaliser, de faire des pages blanches... et maintenant il faut les remplir. Demain, un jour commence et ce jour il va falloir l’occuper, et pas l’occuper en faisant exactement ce que l’on a fait la veille etc.

Donc je crois que cela c’est une question primordiale, on est très loin là de l’apprentissage du discours musical, de... enfin non, j’allais dire de bien jouer une oeuvre, pour bien jouer une oeuvre il faut avoir fait cette expérience là, c’est à dire échapper à tout l’enfermement d’une écriture préétablie.

Et arriver à lui donner toute son originalité pendant l’instant où elle sera produite, et de nouveau c’est pour moi la même question que la question politique.

C’est la même question que d’être conforme aux règlements absurdes des examens dans les universités et malgré tout arriver à les traverser, si possible avec le sentiment après que ce ne s’est pas trop mal passé et le sentiment d’une espèce de valeur ajoutée. Il y avait un peu de sens, que l’on a fait quelque chose malgré qu’il fallait être à l’heure, par ordre alphabétique...

C’est véritablement l’enjeu fondamental du dispositif, il ne peut pas se suffire à lui-même et il doit appeler à l’invention d’autres dispositifs.

Surtout pas devenir une méthode qui se réplique ou induire chez les enfants l’idée que désormais c’est comme cela que l’on devra faire.