Méthode Thys

TD04

I.S. Est-ce que l’on pourrait imaginer l’équivalent sur l’écriture au sens usuel, ou est-ce que le solfège comme écriture... il y a encore beaucoup plus d’illettrés du solfège que d’illettrés au sens usuel, donc est-ce qu’il n’y a pas quelque chose entre l’univers sonore musique par rapport à la diction qui fait que l’idée d’improviser sa propre écriture aurait plus de sens pour l’univers sonore que pour la diction... moi j’ai appris un peu de solfège mais j’en suis restée au fait que Do pourrait être Fa ou Sol, alors que "A" est "A"...

Tout à fait, de nouveau en sémiologie on dit que les codes symboliques étant arbitraires sont ce qu’on appelle des codes forts parce qu’ils n’ont que la force de leur inculcation sociale pour vivre.

Au contraire ce qu’on appelle les codes analogiques… un cri de douleur n’a pas besoin d’être perpétuellement à la fois ré-enseigné et ré-interprété pour apprendre à crier correctement la douleur. Il suffit de marcher sur le pied de quelqu’un en poussant un peu fort, il fait un excellent cri de douleur et tout marche bien, là c’est le côté indiciel de ce signe là qui fait qu’il tire son système interprétatif... en tous cas il appelle un système interprétatif simplement du type cause-effet. En l’entendant, je peux remonter assez facilement à la cause, il a un peu mal - fort mal etc.

Au contraire les codes symboliques sont des codes dont la permanence n’est assurée que par la force de la répression sociale qui traque les mauvais usages, les manques...

Si on compare les systèmes de notation musicale, tels que nous les connaissons, avec le système d’écriture du texte celui-ci est beaucoup plus fort.

Le système de la notation musicale admet beaucoup plus de contournements, et est même beaucoup plus ambigu : Eric Satie, par exemple, s’amusait à composer dans des tonalités très simples, en Do, en Sol, il employait peu les touches noires, peu les altérations etc. mais par contre il s’amusait à noter de façon hyper alambiquées. En notation musicale, on peut assez facilement mettre beaucoup d’altérations dans l’armure, de bémol à la clé, de dièse... donc un système de notation qui devient très compliqué et chaque fois que la note survient on l’annule, on lui met des bécarres simplement.

Et donc on arrive à construire un système de notation musicale d’une complexité incroyable alors que le discours musical est très simple. Pas le contenu de la musique mais son rapport à l ’écriture pourrait être écrit beaucoup plus simplement.

On n’a pas dans le système de la notation écrite les mêmes possibilités, on peut faire varier le corps des lettres, leur tailles etc. mais vous n’avez pas six orthographes par mots. On peut faire des contrepèteries, des jeux de mots... mais à mon avis cela ne se situe pas au même niveau.

L’ambiguïté de l’écriture musicale par rapport au discours musical reste très forte. L’écriture n’a pas du tout réussi à saisir le discours musical. Et même si on a notation dans les deux cas, nous avons institué l’écriture du texte de façon beaucoup plus forte, et d’ailleurs nous y consacrons beaucoup plus d’importance dans l’enseignement, que la notation musicale qui peut apparaître comme un appui dans certain cas.

Mais dans la production de musique aujourd’hui la majorité... il y a là une partition de Simon and Gartfunkel, quand je la lis, je me rends compte qu’elle a été écrite sur la transcription de l’enregistrement. Cela veut vraiment dire que on l’a d’abord répétée, jouée avec des copains, on est passé au cabaret puis finalement on l’a enregistrée et que pour passer aux droits d’auteur et à l’édition, on a simplement repris - même les altérations vocales que le chanteur y avait mis.

Je pense qu’aujourd’hui à part certaines musiques industrielles - orchestrales industrielles c’est à dire qui entendent, comme au 19ième siècle, être produites dans tous les orchestres du monde de la même façon, le grand rêve au fond du 18ième et 19ième siècle d’une musique totalement indépendante de ses exécutants, qui a été bien dépassé mais qu’on continue à faire... il y a encore des oeuvres qui sont et doivent être écrites totalement parce que cet opéra doit être transportable à Tokyo sans que quelqu’un ne vienne dire : vous devez jouer cela un peu plus long... il y a toujours l’ambition de cette musique totalement autosuffisante. Mais en fait, ce n’est pas le cas, cela ne se suffit pas.

Alors que dans le cas de l’écriture, une loi, un programme... on continue à avancer vers des textes de plus en plus univoques, autosuffisants, qui ne nécessitent pas une lecture pour exister. C’est vrai que là il y a une grande différence mais il n’empêche que cette idée de dire que à l’aide de signes nous pouvons programmer ce que deviendra la production sonore, je la trouve très forte. Parce qu’au fond je trouve que c’est là qu’arrive dans la musique l’expérience de la mort.

Elle arrive à d’autres moments aussi, toutes les fins de morceau sont, je crois, des métaphores de la mort. Terminer un morceau, c’est une image de mort. Et justement, la musique est assez réconfortante quand elle arrive à bien finir un morceau parce cela montre qu’il est possible de bien mourir.

Mais c’est à partir du moment où - on retrouve cela dans quelques textes de l’Antiquité, les débuts de la notation musicale en Grèce etc. qui était d’ailleurs très méprisée par les musiciens mais qui enfin était quand même écrite, et surtout à partir du Moyen Age avec toute la construction de la notation musicale - que il y a une espèce de prise en compte de ce que la musique doit survivre au vieillissement, à "Alzheimer" et à la mort.

Donc le langage musical ne se borne pas à être quelque chose avec lequel on remplit l’instant présent, il faut anticiper sur la suite, et qu’est-ce que je vais en faire après, quand je n’aurai plus la force de chanter je vais le donner à quelqu’un qui va la continuer etc.

Et donc, c’est à mon avis la prise en compte de cette chose... cette anticipation de la mort qui produit l’écriture.

Accéder à l’écriture à travers les "Jeux de la partie et du tout" c’est anticiper sa propre transformation, anticiper sa disparition ou son changement, ou le plaisir enivrant d’être étranger à soi-même. Il y a un deuil parce que je vais admettre que je ne resterai pas éternellement dans mon état, et donc je ne peux pas me penser éternel, mais en récompense de ce deuil là je reçois l’expérience assez excitante de me découvrir comme un autre. Puisque je pourrai l’année prochaine ressortir ce cahier que j’ai écrit et le rejouer en le découvrant comme si un autre me l’avait envoyé.

Il y a donc toute une richesse dans cette expérience de l’écriture mais pas à un niveau aussi fondamental que l’expérience du Tohu-bohu.

D.D. Eric Satie, il cherchait quoi par rapport à cette complexification de l’écriture ?

Je connais assez mal sa vie mais il a toujours visé à faire éclater des baudruches et à les gonfler, il a fait les deux.

Il y a ce côté carnavalesque de mettre le monde cul par dessus tête, qui l’a toujours attiré. C’était le plaisir, je crois, de faire les choses à l’envers et de confondre les sots... de comptes à régler avec un régime institutionnel qu’il n’aimait pas, probablement qu’il jouait avec le système en le poussant jusqu’à son absurdité...

D.D. Mais par rapport à ce projet qui est d’imposer une interprétation qui soit toujours la même quelque soit l’interprète, cela ne pourrait-il pas être pensé comme une réaction à cela ?

Mais il la mettait en question de façon très... superficielle.

Au contraire même, il a renforcé cette idée là parce qu’en prenant tous les systèmes détournés qu’il a utilisé il a contribué à créer une oeuvre répliquable, réutilisable etc. Il n’a pas fait une musique écrite dans une notation telle que l’interprète était renvoyé à sa propre ignorance, non au contraire, il devait travailler, suer pour essayer de comprendre que tout cela n’était finalement qu’un Fa naturel, et d’une durée tout à fait banale, la réponse était simple.

Il aurait pu, enfin un autre aurait pu pousser l’écriture musicale dans ses ambiguïtés de sorte que l’interprète aurait été confronté à sa propre innocence, maintenant je suis mort, je suis parti avec mon secret et débrouilles toi pour jouer ce truc, et je ne suis plus là pour te le dire.

Il n’a pas subverti le système jusqu’au bout, il l’a subverti dans une certaine mesure...