Méthode Thys

TD03

I.S. Et les adultes qui regardent...

Question 4 Oui, allons-y... Le dispositif est conçu par des adultes, il a donc une forme de transmission, qu’est-ce qu’il transmet ?

C’est exactement ce que l’on vient de dire : je crois qu’il transmet un message très puissant, ce n’est pas du tout le vide, c’est de dire d’abord nous avons tracé un cercle par terre, quelque chose va commencer et puisqu’il va commencer un moment donné il va finir, vous le savez aussi puisque tout à l’heure nous irons manger, puis vous retournerez en classe... L’espace est vide mais il est peuplé d’instruments, de technologies qui, tout en étant très gratuites puisqu’elles ne servent pas à soigner, à manger, à s’asseoir dessus etc. sont en même temps très puissamment raffinées, donc il y a quelque chose ici.

Et donc je pense que ce message très fort, cela n’a rien à voir avec l’anomie, l’informel mais tout cela a constitué, c’est cela qui est intéressant, un espèce de vide quand même.

Il va falloir travailler avec cela, je crois que c’est toute la force... et on voit que les enfants semblent comprendre cela avec peu d’explications, c’est incroyable de voir leur aisance "à piger" et à s’inscrire dans le projet avec beaucoup de bonne volonté et de disponibilité, je trouve cela toujours d’un étonnant. Bon, il y en a chez qui cela prend un peu plus de temps, mais enfin en général... c’est comme lorsque l’on va à la piscine, tout le monde en maillot et puis dans l’eau... faut pas leur dire maintenant vous... ils se jettent.

I.S. Si on en vient aux questions à propos du dispositif pour ne pas oublier, donc il y avait l’idée est-ce qu’il y a quelque chose d’inédit ?

Question C Pour moi, ce qui est inédit c’est sa dimension plus fondamentale, au sens plus tourné vers le fondement, qui essaie au fond de délester la musique de ce qu’elle peut avoir de plus... à la fois de plus apparent (parce qu’on aurait tendance à dire mais est-ce que c’est vraiment de la musique ?) donc la délester, et de ne garder que son noyau c’est à dire l’associativité. C’est comme cela que moi, dans ma grille, j’aurai tendance à le dire.

Mais tout reste possible bien entendu, c’est à dire que toutes les figures musicales peuvent apparaître. Mais c’est vrai aussi que quand par hasard les enfants commencent à mettre des vraies figures musicales, à tapoter ce qu’ils utilisent dans leur apprentissage musical extérieur, il y a quand même à ce moment là quelque chose qui se fige un peu...

Et c’est quand même frappant de constater qu’ils ne continuent pas, c’est à dire que partant de passages, de petits morceaux de piano qu’ils ont appris à l’académie ou avec le prof etc. ils glissent vers autre chose comme si ils sentaient qu’on ne peut pas en rester là.

On ne peut pas pratiquer une musique... instituée quoi, il faut... elle est à instituer. Cela me semble vraiment l’originalité... et ce que ce dispositif présente par rapport à d’autres modes d’introduction à l’univers sonore.

Maintenant mon univers de référence est peut-être petit, ce serait intéressant de voir et d’essayer de repérer peut-être dans d’autres cultures etc. des expériences analogues.

Des expériences fondatrices il y en a tant que l’on veut : on est à Louvain la neuve ici, les "24heuresres Vélo" est une expérience fondatrice aussi. Qui a bien des égards, bon ce n’est pas musical etc., mais peut-être ce sont aussi des moments où les jeunes qui y participent se fondent sur quelque chose en allant explorer jusqu’à l’absurde une expérience, que la vie quotidienne, avec ces côtés normés, ne leur permet pas de faire. On peut trouver des analogies, cela c’est à mon avis tout ce qui caractérise les expériences fondatrices. Passer la nuit au bistrot jusqu’à sortir à quatre pattes est une expérience fondatrice pour des gens qui ont toujours vécu bien rangé par rapport à l’horaire ou des choses comme cela. On peut opposer sobriété/boisson, tous ces moments où justement il y a un re-fondement de ce qui semble ne pas être à l’ordre du jour comme question et tout à coup, paf, on les récupère.

Et ici, je pense que ce dispositif, en tous cas au départ, il s’ancre là dessus.

I.S. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de vous intéresser à la proposition... puisque là avec le "Jeu des parties et du tout" on a l’impression que ce n’est pas seulement une expérience fondatrice mais une amorce pour un véritable...

Question D Vous faites bien référence au système d’écriture de la partition ?

J’ai été parmi ceux qui ont invité Hervé à rentrer dans cette question de l’écriture parce que justement je l’apercevais comme faisant partie normalement de la poursuite de cette initiation à l’association, si on veut.

Ayant fait l’expérience du magma, de l’informe et de l’appel immédiat à la construction qu’il provoque, surgissement de la parole, organisation de certaines formes d’associations, de dialogues ou de construction d’objets etc. un moment donné, je me rappelle avoir, dans les discussions que l’on avait de temps en temps avec Hervé, dit moi il me semble que l’on ne peut pas nier que nous sommes dans des sociétés d’écriture, que l’on ne peut pas nier que nous avons été tout à fait structuré par l’émergence de l’écriture. Et que évidement une grande partie de la musique contemporaine est écrite.

Et par conséquent comment peut-on introduire, une fois que l’on a compris l’intérêt de faire surgir le discours musical, il faut assumer que nos sociétés sont des sociétés qui vivent dans les écrits et donc essayer de reconstituer le même type d’expérience fondatrice avec le marquage d’un trait sur un support, trait servant de contrat, de projet, de lieu de négociation. Et d’essayer de voir comment on peut disposer un projet pour l’avenir à l’aide d’un trait sur un support.

Pour moi cela s’inscrit assez naturellement dans la continuité, mais je pense que cela ne devrait pas prendre la forme d’un programme... universellement applicable.

Je pense que la bifurcation vers l’écriture est probablement un mode, il a pris une importance considérable dans nos sociétés, mais il ne met pas fin à tout. Le donner en tant que bifurcation possible mais montrer que ce n’est pas le chapitre sept par lequel il faut passer pour pouvoir aller au huit. Mais que la liberté est de pouvoir à un moment donné dire je ne veux pas rentrer dans ce système là parce que justement mon expérience m’a conduit là, que c’est véritablement un enjeu de l’esthétique au sens le plus politique du terme.

Donc, autant je crois que l’expérience initiale du Tohu-bohu s’impose un petit peu comme un big-bang intéressant pour commencer, autant je pense qu’il ne faut pas imaginer un enchaînement qui conduise nécessairement à l’écriture.

On pourrait imaginer par exemple que l’usage de certains instruments de musique à programmation soit une alternative. On n’est pas nécessairement obligé de passer par l’écriture au sens graphique que nous connaissons mais on peut aussi construire des dispositifs qui s’engendrent, en fonction d’un certain nombre d’échéances que l’on a pu programmer. On peut programmer un synthétiseur, créer une chaîne ou enregistrer une séquence et puis donner à cette séquence une certaine liberté de transformation etc.

Je pense que l’intérêt de la méthode serait qu’elle aurait un peu à l’image d’un arbre des points de bifurcation relativement nombreux...

et qu’elle permette à partir de ce moment là des explorations.

Mais je pense que le "Jeu des parties et du tout" est intéressant en tant qu’expérience de l’institution de l’écriture, de la convention, du contrat parce qu’elle n’implique... bon parce que l’on peut dire : essaie de voir, dessine le profil que tu vas donner à ton jeu et puis essayez de vous les échanger, de jouer à partir de la partie de l’autre etc. Donc il y a toute la fonction de l’écriture comme projet, comme essai de représenter une forme... je l’ai trouvé intéressant, mais je ne pense pas que se soit un chapitre incontournable encore une fois.

I.S. Mais contrairement au solfège qui était une forme donné comme l’écriture au sens où l’alphabet et la définition des mots préexistent à tout être, à tout individu, ici c’est un jeu d’invention d’écriture, qui est assez inédit... d’autant plus que le solfège est assez difficile à apprendre...

C’est très intéressant de voir que par rapport à des écritures comme le solfège, comme l’alphabet la divergence entre ce que disent les philosophes, les sémiologues et l’expérience que tout le monde en a.

Quand par exemple je dois expliquer aux étudiants que Peirce a identifié la forme symbole - ce que lui appelle le symbole - comme un signe conventionnel et arbitraire. Et en général quand on veut donner un exemple : tel lettre de l’alphabet on ne retrouve pas dans la graphie de motivation qui pourrait dire cette graphie là est meilleure que d’autres, on pourrait en inventer d’autres. Alors, les philosophes et les sémiologues peuvent le dire avec beaucoup d’assurance : donc elle est purement conventionnelle, elle ne vaut que par la confiance que l’on fait dans le système, et que l’on est d’accord de lui accorder.

Et pourtant dans l’expérience, nous avons tellement évacué le questionnement sur en quoi une telle graphie est-elle la bonne graphie pour faire penser à telle manière de prononcer une lettre, que nous percevons la raison d’être de ce signe au même titre que nous identifions ce qui a cette forme d’oiseau est un oiseau.

Et donc dans notre vie quotidienne, il y a une confusion totale, la notion d’arbitraire du signe n’est pas du tout arbitraire. Au contraire, si je voulais vraiment me fatiguer, il faudrait que je renonce à l’arbitraire.

Et donc, le "Jeu des parties et du tout" redonne l’expérience que au départ le signe est arbitraire, le signe symbolique dans ce registre là est arbitraire, qu’on doit à partir de ce moment là opter, voilà la hauteur sera ce signe là etc.

Et donc en cela on peut dire aussi de nouveau on retrouve cette fonction un peu laboratoire du musical en disant c’est l’occasion de découvrir que nos systèmes de signes sont arbitraires et qu’ils ne valent que par la qualité du contrat que nous avons réussi à nouer pour tomber d’accord. Et que nous pouvons très bien dire : supposons que ce que moi j’ai signifié dans mon dessin comme étant une hauteur devienne un rythme et par contre ce que j’ai signifié comme étant un rythme je vais le transformer en hauteur, et plus le temps va passer, plus mon jeu va devenir aigu par exemple.

On voit que le signe permet de faire tout une série de nouvelles conventions à son sujet pour autant que ses utilisateurs aient un lien social suffisant pour le gérer, pour le vivre, pour le réaliser. Cela peut très utilement montrer qu’à la base de la notation musicale, alphabétique etc. il n’y a que des conventions. Et que probablement dans tous les systèmes de conventions il y a eu un mélange de rapports de pouvoir, de désirs à la façon freudienne qui font que tel système purement arbitraire a vécu , a survécu comme convention et s’est imposé.

Il y a un bouquin d’Anne Christin sur le signe qui montre que notre société n’a jamais fait réellement l’expérience de l’écriture parce que l’écriture nous l’avons sucé d’un système de l’empire romain qui est venu, qui s’est implanté. D’ailleurs, rien ne dit qu’il n’a pas supplanté des formes de proto-écritures qui devaient exister très probablement.

Mais qu’au fond nous n’avons pas fait l’expérience fondamentale de l’écriture, nous sommes un peu dans le même registre que ces Ougandais qu’un jour des Pères sont venus baptiser, mettre dans des écoles, leur dire voilà maintenant cela c’est "A" etc. Mais nous n’avons pas engendré d’écriture, l’écriture s’est engendrée dans des sociétés bien lointaines dont nous n’avons pas beaucoup de souvenance.

Et donc l’idée de refonder l’écriture à partir de ce qu’elle a de plus initiale, nous avons un support, quelque chose qui peut marquer... va falloir s’entendre.

C’est je pense une très bonne idée mais je répète que pour moi cela n’est pas constitutif de la méthode au même titre que le Tohu-bohu. Mais c’est bon de proposer à des jeunes qui ressentent une certaine attirance pour cette expérience là, essayons maintenant de noter.