Méthode Thys

TD02

Question B

Racontez-nous votre expérience d’un Tohu-bohu

C’est comme cela que je vois le Tohu-bohu justement.

Je reviens un peu dans le dispositif en général : je vois un peu ce dispositif à la manière de la construction d’une enceinte. Si on veut figurer les choses, ce système figuré par les chaises ressemblent à mon avis à l’identification d’une ceinture... à l’intérieur duquel il y a, on pourrait dire, un espace virtuel.

Virtuel au sens de quelque chose qui est ouvert justement à un ensemble de possibilités... mais ouvert, il faut le remplir, on peut le faire, on n’est pas obligé de le faire. Et en lançant cette ouverture de l’espace virtuel, on ouvre justement la question bon maintenant : qu’est-ce que l’on va faire ? Moi, je dirai que va-t-on associer, que va-t-on associer ?

Et donc le Tohu-bohu c’est le moment de l’ouverture, le moment de l’expérience fondatrice de l’exploration de l’ouverture... avec le côté que dans l’ouverture il y a tout : il y a le vide, le manque et à la fois le trop plein.

Mais ce que me semble tout à fait intéressant c’est cette notion de clôture, que tout cela n’est possible que si il y a... bon, cela peut être figuré par des chaises que l’on a placées, et, cela me frappe beaucoup, que les enfants semblent parfaitement identifier, ils semblent parfaitement alphabétisés à cette délimitation de l’espace mais aussi du temps.

A un moment donné cela commence et à un moment donné cela finit, donc cette image peut tout aussi bien être spatiale que temporelle. Je vois ce dispositif comme étant un dispositif dans lequel des adultes instituent un certain ordre, rien à voir avec les systèmes où l’on dit : on va laisser faire les enfants faire ce qu’ils veulent, il y a un message extrêmement fort qui est de dire voilà traçons un tour de craie, ou comme Romulus et Rémus faisons un tour avec une charrue, et ce sera notre "limes", ce sera notre périmètre intérieur ou ce sera notre labyrinthe à "Knossos" qui n’est pas un espace de perdition, qui est simplement un espace qui se clôt, parce que justement si il ne se clôt pas il ne peut pas devenir un espace virtuel... ce qui va se passer et avant et après nous ne le considérerons pas.

Mais rien n’empêche un enfant, cela me frappe beaucoup, matériellement il peut sortir quand il veut du jeu mais assez curieusement ils ne semblent pas sortir, je n’ai pas vu de bandes vidéo où on voyait des enfants devenir fugaces et quitter. Apparemment, ils acceptent assez bien cette espèce d’institution en disant, je vois cela comme cela, bon et bien OK nous allons donc occuper.

Et donc le Tohu-bohu c’est l’expérience du vide, c’est l’expérience du trop plein, c’est je pense aussi l’expérience de la violence fondatrice…

Ce qui je pense peut nous sembler un peu dérangeant dans ce Tohu-bohu, on y lit un moment de forte... de violence quoi. Personne ne peut compter sur personne, il n’y a pas de règles qui dit il est interdit de etc.

Et je pense qu’à sa façon cette expérience introduit bien les enfants, mais aussi les adultes qui les regardent, en disant regardons notre magma, notre puissance forte et chaude etc.

Et donc il est assez normal au fond, et là je trouve qu’il y a de la part d’Hervé Thys une intuition vraiment remarquable, de dire que l’on peut rejoindre cette réflexion anthropologique à la "Girard" au fond la violence elle est première et toute la culture se construit... en disant, voilà maintenant que l’on s’est affronté dans l’indifférenciation comment allons nous nous différencier, nous associer de nouveau on retrouve le système de la construction.

Donc je trouve qu’il y a une très grande logique, une très grande vérité dans ce dispositif qui entend se fonder sur cette expérience du Tohu-bohu. Et qui se réserve d’y retourner autant de fois que cela s’avère nécessaire parce toutes les expériences fondatrices ne sont pas initiales au niveau temporel. Elles nécessitent d’être perpétuellement revisitées.

Je pense que lorsqu’une société repart en guerre, ou quand se produisent des foyers de violence, il y a très probablement un besoin social de retourner dans la phase de l’affrontement généralisé comme pour re-régler des boussoles et après on peut dire maintenant nous savons mieux à quoi sert le fait que lorsque l’on se dit bonjour on se sert la main, ou qu’il y a des mots que l’on ne peut pas dire...

J’assimile le Tohu-bohu à cette espèce d’expérience initiale de la pesanteur, de l’informe.

I.S. Quand on lit des gens comme "Girard" on pourrait être amené à entendre violence fondatrice au sens conflictuel, violent tandis que là il me semble que l’on voit une figure de la violence qui est distincte d’un conflit violent. Est-ce ce n’est pas aussi une manière de travailler sur la notion de violence ?

Mais je ne vois pas tellement la différence quand même...

C’est vrai que si je suis cette idée, je serai finalement prêt à admettre... On dit que la nature a horreur du vide, et que la culture a horreur du vide aussi, de la violence... c’est-à-dire que même dans ces phases là on se rend compte que toutes les capacités agressives sont finalement sublimées, effectivement ce n’est pas parce que l’on a dit cela que les enfants...

Bon violence l’un vis-à-vis de l’autre il y en a très peu qui vont loin. Mais ce qui est très intéressant c’est que la violence par rapport aux instruments, ils n’en profitent pas pour mettre le feu au violon, pourtant Dieu sait comme cela doit bien brûler un violon, ils n’en profitent pas pour écraser tout.

Donc effectivement, ce n’est pas la violence, c’est une figure de violence.

Donc déjà c’est à la fois une expérience forte mais c’est déjà une expérience au niveau de la figuration, on va faire comme. Et d’ailleurs son côté écrit, normé, inscrit dans le sol montre bien que l’on est dans l’ordre du symbole, pas dans l’ordre de l’affrontement réel, dans le bain de sang, dans le massacre total. Mais je pense que malgré tout cela surfe dessus.

Et moi j’avoue que je ne peut pas voir cela sans un certain sentiment de... d’anxiété quelque chose comme cela, comme si on touchait quelque chose de particulièrement délicat et c’est probablement la vérité, c’est probablement quand on commence à ressentir cela que l’on commence à éprouver que l’on est en vérité dans l’expérience, que ce n’est pas un simple jeu mental de faire semblant.

Et c’est vrai que lorsque je dis violence je vais trop loin, on devrait dire une symbolique de la violence ou quelque chose comme cela.

I.S. Quand je me souviens d’expérience de cour de récréation, j’ai un souvenir de violence beaucoup plus forte que le Tohu-bohu. La cour de récréation n’étant pas un espace virtuel, c’est un espace disponible mais...

Le Tohu-bohu se fait dans un espace dans lequel l’adulte, appelons-le comme cela, a disposé ce que la société avait produit de plus raffiné comme moyens associatifs musicaux.

C’est-à-dire qu’il est déjà balisé, il y a déjà une suggestion en disant regardez un peu, et cela on le ressent aussi en le voyant, quelque chose d’assez différent entre justement ce projet maintenant faites du bruit, chahutez etc. et des instruments qui chacun résume des milliers d’années de recherches sur la façon de mettre un tube dans un autre, sur la résonance en fonction de tel principe, de mettre tel boyau sur tel bois etc.

Donc il y a aussi là des instruments qui par leur présence montrent que l’on est bien dans une société qui a un héritage très fort,

d’instruments que des gens ont passé une vie à retravailler, à re-modifier pour un rêve quoi, pour rien ! Parce que l’on pouvait très bien vivre sans !

Dans cet espace potentiel ouvert, il y a comme des monuments on pourrait dire, qui vous rappellent que vous arrivez dans une société qui fait semblant en tous cas d’avoir déjà vécu cela depuis très longtemps.

Dans les cours de récréation justement, cela pourrait peut-être amener à réfléchir sur les cours de récréation, c’est un espace affreusement vide. Où quand il est occupé, c’est par des dallages, des petits murets, c’est un espace qui rappelle très peu aux enfants qui y jouent que c’est le moment de se défouler mais que par hasard la société dans laquelle ils sont tombés a déjà connu cela depuis longtemps et a mis au point quelques manières de figurer la violence...

Mais il n’y a rien... pas de sculptures, pas d’objets qui pourraient leur figurer que tant qu’à faire la violence sublimée c’est un peu mieux que d’écraser la face de l’autre. Donc c’est vrai que la présence des instruments marque un écart par rapport à la cour de récréation, ou à l’autoroute...