Marc hérouet a souhaité de plus ajouter ces quelques notes de travail au compte-rendu de l’entretien :
Questions à propos du dispositif
A. Pourquoi vous intéressez vous au dispositif proposé par Hervé Thys ? Qu’en attendez-vous ?
L’expérience du Tohu-bohu, pour tous les participants, apporte quelque chose d’essentiel et de nécessaire ; d’autant plus que notre société a traditionnellement (et a toujours) eu tendance à proscrire ce genre de pratique libératrice...
B. Racontez-nous votre expérience d’un Tohu Bohu
En vrac : des instruments de musique dorment dans une salle / dorment mais attendent les enfants
chez eux, une jubilation intérieure
leurs yeux brillent un peu plus que d’habitude
un rite s’installe
dès la prise d’un instrument , ils sont / nous sommes aillieurs
peu d’hésitations, même si certains sont timides
le bruit/son pousse et prend de l’ampleur
il libère, englobe, dérange, entraîne, crie, permet, enivre,
s’auto-alimente, s’essouffle,
se creuse puis gonfle encore
c’est une cour de création !
nouveauté / familiarité
je -eux / nous / tous
liberté / curiosité / stupeur / ennui / vide / source / fontaine / étincelle / feu / apathie / fermeture / rage / agression / regards / écoute / sympathie respect / bouderie / trip / concentration / étonnement / rire
C. Selon vous, qu’y a-t-il d’inédit dans le dispositif par rapport à d’autres modes d’introduction à l’univers sonore ?
Le dispositif ne peut laisser l’enfant indifférent. La production sonore ne vient pas de l’extérieur, des adultes, d’un répertoire, d’une culture (sauf par les outils de production que sont les instruments et la technique). Les enfants font partie du processus de création collective tout en gardant un espace de liberté individuelle.
D. Pouvez-vous commenter le projet "le jeu des parties et du tout", annexé à ce questionnaire et qui constitue une suite possible de la première année, marquée par le Tohu Bohu, du dispositif ?
J’y décèle plein de choses intéressantes : maintien du principe d’improvisation, rapports temps/espace, son/écriture, concentration et contrôle personnel, interaction,...
Ceci dit, ne pourrait-on imaginer une ou des étapes intermédiaires entre le Tohu-Bohu et ce Jeu des parties et du tout ?
Voici que survient un texte. Cela n’est pas anodin, comme pourrait le suggérer les mots "fable" ou "comptine" ; comment le choisit-on ? Y aurait-il des textes "neutres" ?
Interrogations suscitées par le dispositif :
1- Trois énoncés explicites sont adressés aux enfants : "vous êtes ici chez vous, faites ce que vous voulez" ; "écoutez le silence" ; "évitez de faire du bruit pendant l’improvisation solo".
Quelle est la portée de ces énoncés ? Comment s’articulent-ils ?
a) "Vous êtes ici chez vous, faites ce que vous voulez"
C’est une présentation d’un lieu nouveau, polysymbolique, un espace de liberté où les adultes tiennent un autre rôle qu’à l’école, que dans la famille ; on ne demande pas de faire quelque chose, mais, on attend tout de même plus que rien du tout...
b) "écoutez le silence"
Pour la plupart, c’est un énoncé quasi neuf : porter attention à une absence, à un vide plutôt qu’à une matière d’apprentissage et d’enseignement.
c) "évitez de faire du bruit pendant l’improvisation solo"
Il ya donc aussi une limite, mais elle invite à l’écoute d’un autre ; elle est donc peut-être positive.
(a) catharsis, invitation à la liberté d’agir, de jouer ;
mais (b) liberté aussi de n’agir que par une écoute (active !) de non-événements ;
(c) il y aura expression possible de chacun, donc de moi-même, et par respect mutuel.
2- Peut-on reconnaître. qu’il y a mise en forme d’une matière sonore durant le Tohu- bohu, alors même que l’on ne peut pas décrire cette forme ?
Que signifie indescriptible ?
Potentiellement, le Tohu-Bohu est descriptible et analysable ; moyens, nouveaux mots et patience feront l’affaire...
3- Le fait que les adultes qui participent au dispositif ressentent du bonheur est-il important ? Qu’apprennent-ils alors ?
Ceux qui ressentent du bonheur (pas tous !) participent à la joie de ces petits humains qu’ils ont été aussi.
4- Le dispositif est conçu par des adultes pour des enfants ( des " jeunes"), il a donc la , forme d’une transmission : qu’est-ce qu’il transmet ?
Il transmet une possibilité, un lieu de liberté et d’ouverture habité par des objets culturels désacralisés, un lieu d’échange et de dialogue avec les autres sous une forme constamment nouvelle.
5- Pour H. Thys, les enfants ne revivront jamais par la suite l’expérience du Tohu- bohu qui leur est proposée la première année. Quel est la signification et la portée de cette " expérience unique " ?
Pour l’enfant, c’est l’expérience d’un retour sur soi, d’une nouvelle (re)connaissance qui dorénavant fera partie de sa personnalité.
8- Lors de l’improvisation solo, on ne demande pas aux enfants d’écouter, seulement de ne pas faire de bruit. De quoi témoignent les moments où ils écoutent ?
L’ouverture à l’autre, la curiosité, le jugement, l’intérêt.
9- Pourquoi la présence attentive des adultes est-elle un ingrédient important du dispositif ?
Leur présence donne à l’ensemble un statut différent de celui de leurs jeux solitaires ou entre enfants. Il y a aussi quelque chose de positif dans le fait que des adultes cautionnent ce moment de liberté et de jouissance.
10- Quel message l’ absence, prescrite dans le dispositif, de jugement ou même de commentaire transmet-il aux enfants ?
Ouverture, tolérance, épochè, liberté, égalité. ..
11- Pensez-vous que l’expérience proposée aux adultes par le dispositif puisse induire une modification effective de leur rapport aux autres ?
Certainement.
12- Est-il important que les enfants aient affaire, dans le dispositif, à de "vrais instruments" ?
C’est important (cf n° 101 ci-après), mais pas indispensable.
13- La proposition d’écriture musicale ou sonore du dispositif-partition s’offre aux enfants sous forme de quatre questions :
le temps défilant entre un début et une fin
la "forme"
l’instrument
le contraste entre son et silence.
Ces questions sont-elles au principe de toute écriture musicale ?
Eclairent-elles la manière dont la pratique de cette écriture impose et suppose une structuration mentale ?
Traditionnellement, oui, ces questions sont inhérentes à toute écriture musicale.
16- Peut-on dire que le travail avec les "partitions" ouvert avec "le jeu des parties et du tout" mène les enfants sur le chemin de la composition ?
Il se peut, en effet, mais rappelons que l’écriture n’est pas de la musique et vice- versa !
19- Pour Hervé Thys, l’idéal serait Que le dispositif ne fasse peur à personne, qu’il se diffuse partout "comme une petite musique de nuit". Pensez-vous que cela soit possible ? Quelles oppositions peut-il susciter ?
Oui, c’est possible ; quant aux oppositions, examinons-les...
19bis- (proposition de T.De Smedt) Quel type de "perméabilité" doit-il exister entre l’enceinte close de l’atelier et l’extérieur de cette enceinte ?
Les participants auront vécu, je le pense et l’espère, une expérience positive qui fera partie de leur personnalité et notamment à l’extérieur de l’enceinte puisqu’ils devront sortir, qu’il pleuve ou non.
20- Par contraste avec des enfants de groupes culturels non-européens (Turcs) qui habitent le dispositif avec les gestes, les codes et les sons de leur groupe d’origine, les jeunes européens apparaissent à la fois " libérés et démunis ". Comment penser ce contraste ?
C’est, entre autres, une question d’éducation familiale et de maintien de comportements propres à leur civilisation, à leur culture.
21- Hervé Thys dit que les règles du dispositif ont une nécessité mais pas de force. D’où vient la force du dispositif ?
D’un besoin d’expression libre dans un cadre et un moment adéquat avec des outils signifiants.
22- Comment le dispositif proposé par Hervé Thys intervient-il dans l’histoire des pratiques éducatives : prolongement, rupture ou ...?
Comme une application bénéfique d’un processus très simple et très ancien que notre société éducative a oublié.
23- Le Tohu-Bohu constitue-t-il une forme de thérapie ? Pour qui ?
Bien sûr, au même titre qu’une escalade, un bon trip, une maladie, un sport, une coccinelle, des quenelles de brochet sauce mantua, le dernier San Antonio, un amour partagé...
28- y a-t-il des réponses autres que politiques aux idées de Le Pen ?
Je dirais bien oui ; mais qu’est-ce qui n’est pas politique ?
29- Partagez-vous le souci d’Hervé Thys pour qui le dispositif doit être respecté comme "ne menant nulle part", c’est-à-dire ne devant servir à personne comme instrument de diagnostic, d’évaluation ou de preuve ?
D’une part, le souci d’Hervé est à préserver ; mais comme cette expérience est inscrite en ceux qui l’ont vécue, qu’elle se perpétue, qu’elle fait l’objet de discussion (comme dans ce questionnaire...) elle mène déjà quelque part.
30- D’où viennent les " structures sonores " qui apparaissent lors du Tohu-bohu ?
Des interactions entre les musiciens que sont à ce moment les enfants.
31- Quel est l’ enjeu de reconnaître ou non ce que font les enfants comme étant aussi de la musique ?
Un enjeu de limite et de définition, le plus souvent subjectif.
32- Nous héritons d’une histoire qui a mis en question à peu près toutes les valeurs, toutes les normes et tous les codes. Que pouvons nous réussir à transmettre ?
Notre être propre à condition de bien se connaître.
33- Si l’être humain devient humain par les règles culturelles qu’il se donne, que permet de percevoir un dispositif, tel que celui proposé par H. Thys, qui les met délibérément en suspend ?
Ouh la la ! Et si l’être humain devient inhumain par les règles culturelles qu’il se donne...
34- La passion des discussions quand à la différence entre bruits et sons, audibles et inaudibles témoigne-t-elle d’une singularité du sonore, notamment pa rapport au visuel ?
On discute aussi passionnément des différences entre figuratif et non figuratif, entre Art et art brut, entre peinture et photo, entre hasard et organisation, etc...
36- D’autres cultures tendent à penser leur membre en référence aux ancêtres, aux Dieux, aux traditions, les occidentaux tendent aujourd’hui à penser les humains en référence à l’espèce humaine. Quelles différences cela fait-il ?
La différence entre Hésiode et Protagoras, entre St-Anselme de Canterbury et Marcel Conche, entre les tambours bata de la Santeria et une boîte à rythme TR-707, entre Munyantarama, guérisseur rwandais et mon médecin traitant...Les premiers sont- ils inférieurs aux seconds ?