Alors qu’est-ce qui se passe ?
Le mode d’emploi il est donné comment ? Par un non-mode d’emploi qui leur dit : vous êtes ici chez vous et faites ce que vous voulez. C’est la seule chose que l’on dit.
Qu’est-ce que l’on peut faire ici, comment... Ils n’ont pas de bagages derrière eux, d’apprentissages, ils sont invités à pratiquer ces outils et la seule façon de le faire c’est d’improviser.
Alors les trois modes dont je parlais, surprenance/importunance/récalcitrance, ce qui est remarquable dans le dispositif c’est que les enfants vont passer au-delà de tout cela. Ils ne se disent pas : j’ai pas le mode d’emploi par la guitare, pour le piano, non ils y vont, ils agissent sur les instruments.
Et cela bon, on peut analyser profondément ce qui se passe - je ne vais pas trop le faire maintenant - mais il y a le contexte qui est favorable à ce genre de choses. Donc ce tabou qui saute - comme j’avais expliqué au début - et bien c’est grâce au dispositif.
C’est à peu près tout. Mais on peut continuer l’analyse heideggerienne avec... jusqu’à ce qu’il aborde le langage avec les silences par exemple... moi je vais peut-être le faire mais si cela intéresse d’autres que moi.
I.S. Et alors le monde ambiant qui s’absente quand on est absorbé par l’outil du coup il pourrait être plus présent que pour quelqu’un qui sait manier un outil... parce que eux... le rapport à l’outil est, comment dirai-je, quand même transformé puisqu’ils sont au-delà de récalcitrance, surprenance etc., donc quand Heidegger dit que le monde ambiant peut être écarté par le rapport fonctionnel à l’outil, on pourrait se dire que ici le monde ambiant a une présence... Oui... Le rapport... enfin ce que je demande - c’est une question - c’est que le rapport entre le fait que la présence des autres qui crée le Tohu-bohu et le fait qu’ils utilisent des instruments sans être habilités à le faire, donc il pourrait y avoir un rapport entre les deux. C’est à dire que l’on mettrait des enfants qui ont une compétence par rapport à leurs outils, les communications entre eux ne se feraient pas. Tout à fait...
Mais dites-le...
Il y a une sorte d’égalité des chances, d’égalité de production entre les enfants qui ne sont pas perturbés par la présence d’un des enfants qui aurait - bien que cela puisse arriver - déjà appris à jouer.
Je crois d’ailleurs que Hervé a rencontré la chose parfois quand quelqu’un a fait un peu d’Académie et qu’il montre aux autres comme il sait bien jouer, mais si je me souviens bien cela s’est légèrement passé au début d’un Tohu-bohu, mais il est tout de suite absorbé par le bruit total des autres.
Et c’est vrai que le rapport au monde ambiant est différent, c’est pas qu’ils écoutent les autres, comme on disait tout à l’heure, mais parfois les autres s’imposent à eux. Ils ne peuvent pas faire autrement que de les entendre, et dire qu’ils y restent insensible... je n’y crois guère. Il y a donc interactions par moment et puis on se remet dans son cocon personnel et on fait son petit chemin pendant dix secondes et puis on revient aux autres : on expérimente avec l’outil que l’on a disposition. Cela varie tout le temps, je pense ; c’est à dire que par moments il est absorbé par sa production sonore avec un outil particulier et puis il est distrait - au fond, dans le bon sens du terme - par la production des autres.
J’ai tendance à dire d’abord que tout est politique, je ne vois pas bien ce qui ne le serait pas, même indirectement.
Mais une fois que l’on commence à offrir des espaces de liberté, on lutte déjà contre les idées de Le Pen.
Je ne vois pas très bien une société gérée par le Front National acceptant ce genre d’anarchie dans le bon sens du terme, de remise en question - parce que c’est une remise en question. Cela va tout à fait à l’encontre d’un quelconque projet pédagogique si il en a un.
Il s’agit d’écouter les autres à un certain moment dans le dispositif. Ecouter les autres ! mais ma foi il faut savoir qu’ils existent, il faut pouvoir les considérer comme des semblables, ne pas les considérer comme des choses ou des animaux.
Donc il faut être ouvert, on ne peut pas être raciste, on doit commencer par respecter les productions de quelqu’un d’autre, les écouter, réagir après oui si c’est nécessaire. Donc je crois que c’est un bon exemple même si ce n’est pas dirigé directement contre le programme du Front National.
D.D. Mais l’idée de la question, c’est un peu les idées d’Hervé qui est qu’est-ce qui peut fonder des relations interpersonnelles dignes entre des individus à partir du moment où la morale - conçue sur le mode ancien d’une règle que tous doivent respecter parce qu’elle est imposée - à partir du moment où cela a implosé et que l’on est dans une époque qui semble dire par certains côtés : faites ce que vous voulez, tout est permis... qu’est-ce qui reste ?
Comment se construisent des rapports entre individus, dignes qui ne reposent plus sur une morale imposée par l’extérieur ? C’est cela que vise la question, une des possibilités...
Quand tu dis que tout est permis, moi je ne vois pas cela, je n’entends pas cela.
Je trouve qu’au contraire l’enseignement, les parents... si il y a eu peut-être un passage influencé par je ne sais quel mai 68 ou autre romantisme californien... oui il y a peut-être eu une démission...
On n’arrête pas d’entendre parler de la "crise des valeurs", c’est une lapalissade dont je pense qu’elle n’est pas nécessairement fondée mais...
Quand on discute avec des enseignants, ils ne disent pas cela, ils disent qu’ils veulent imposer certaines façons de penser, et des attitudes morales. Ils déplorent certaines attitudes des générations montantes, d’accord... la violence à l’école... mais il y a des moyens de lutter contre cela.
Mon exemple est peut-être mauvais mais je reçois des étudiants à partir de dix-huit ans à l’IAD, mais ces gens sont plus conformistes que ceux que je recevais il y a vingt ans. La crise de l’emploi les a rabotés, qu’est-ce que tu veux que je dise ?
Ils ont envie de se conformer, sur les soixante étudiants j’en vois un ou deux qui sont un peu contestataires dans le bon sens du terme. Ils veulent des valeurs, au contraire, ils veulent qu’on leur insuffle des valeurs.
Je ne sais pas... la question est... bon attend, je comprends mais il faut peut-être l’aborder différemment.
Dans l’histoire de l’humanité, cela va et cela vient. La révolution chrétienne est une révolution morale, elle a été très intéressante aussi, à un certain moment "aime ton prochain comme toi même" était nécessaire. Considérer l’esclave comme son égal, mais c’est une révolution extraordinaire dans l’Antiquité, ces grands philosophes qu’on admire tant, ils considéraient les esclaves comme des choses et des objets, Platon, Aristote. Il a fallu un long cheminement de la pensée...