Méthode Thys

IS02

Question D

Pour "le Jeu de la Partie et du Tout" j’y connais encore moins puisque je n’ai vu que deux ou trois choses... C’est effectivement une expérimentation différente, c’est une expérimentation qui a besoin de beaucoup plus de temps pour voir si elle mène à quelque chose que l’on pourrait dire être une réussite ; si jamais cela réussit c’est important.

Donc pour moi, cela vaut tout à fait le coup d’expérimenter parce que si jamais on se rend compte que sans les mises en scène de savoir lire, de savoir pas lire une partition, cela peut faire une différence pour ces enfants que d’être... que d’avoir cette possibilité d’écrire, de prévoir, de faire un contraste entre ce qu’ils prévoyaient, de créer un problème sans normes, sans que l’écriture soit quelque chose d’étranger à ce qu’ils faisaient avant... et bien cela ne voudra pas dire que l’on aura inventé un nouveau type d’écriture musicale, puisque de toutes façons chacun produit sa propre écriture, cela ne peut pas faire une écriture, c’est chacun son écriture... mais cela aura créé dans le faire des sons ce type d’anticipation/contraste qui est l’une des possibilités de l’écriture.

On croit que l’on va faire quelque chose, on s’imagine et puis on fait autre chose, et puis on se demande... donc une mise en problème de quelque chose qui sinon est dans le temps réel c’est à dire qu’il n’y a pas de retour possible sur ce que l’on a fait, on peut seulement le répéter mais sans contrastes. Il y a une introduction du temps qui est importante... mais pour cela il faut que les enfants s’y intéressent.

Est-ce qu’ils vont s’y intéresser ? cela c’est le suspens, on ne sait pas. Mais le fait d’acquérir la possibilité de le savoir est évidemment le sens de l’expérience et c’est cela sa valeur...

D.D. Mais est-ce qu’il y a une possibilité d’expérimenter puisque l’on pourrait avoir l’impression que les enfants n’ont pas la maîtrise de l’instrument ? C’est à dire comment est-ce qu’ils pourraient anticiper sur une production sonore alors qu’ils n’ont pas appris, dans le cadre usuel ce que l’on dit être la maîtrise d’un instrument, ils ne la possèdent pas ou on ne sait pas encore très bien de quelle manière ils la possèdent... est-ce qu’il y a une anticipation possible alors que...

Bien, le point est qu’évidement puisque l’écriture est leur, puisque la manière dont ils tiennent compte ou non de ce qu’ils ont écrit ou non est leur aussi, puisque l’ensemble ne peut pas être contrôlé, évalué depuis un poste qui aurait l’écriture, qui pourrait comparer puisque l’écriture aurait rendu public ce que l’enfant prévoyait... c’est une boîte noire. Il n’y a pas de postes d’évaluation qui puissent dire c’est un succès parce qu’ils avaient vraiment anticipé, parce qu’ils ont vraiment fait, parce qu’ils se sont vraiment écarté etc.

Tout cela on n’y a pas accès mais quand on veut produire certaines situations et bien il faut savoir que selon la situation on a accès ou pas, l’accès fait partie de la définition de la situation. Je dirai que dans ce celas ce n’est pas la nature de leur anticipation qui compte, celle-là elle est exclue par le fait que l’écriture est leur écriture, c’est plutôt la tension, c’est plutôt le type d’intensité, c’est plutôt le type de mise en problème que leur pose ce qu’ils ont écrit. Cela leur appartient, on ne peut pas venir, entrer et dire l’écriture a évolué etc.

La seule chose que l’on puisse voir et que les images peuvent montrer c’est qu’effectivement il y a une évolution du type de regards, du type de... je ne sais pas, du type d’intensité qui se dégage et qui fait réussite et qui veut dire que d’une manière ou d’une autre le fait d’avoir dessiné, le fait d’avoir écrit la partition est entré dans l’expérience du présent avec l’instrument. Je crois que c’est plutôt une expérience esthétique que de voir ces enfants le faire, plutôt qu’une expérience qui aurait ses contrôles et qui aurait les moyens de démontrer qu’elle a eu lieu face à quelqu’un de sceptique...

Donc c’est peut-être des petits choses comme le fait qu’après avoir exécuté ils re-regardent avec une certaine perplexité ce qu’ils avaient écrit ou des choses pareilles. Mais ce qui veut dire que quelque chose comme le problème du rapport entre le présent de l’exécution, le passé mais qui redevient présent de l’imagination de ce que serait la chose produite, l’ensemble de ces temporalités s’est distendu de telle sorte que le problème puisse se vivre... pas du tout se formaliser mais se vivre comme tel.

A partir de ce moment là, on ne peut pas savoir où cela mène puisque le fait d’avoir à entrer dans l’écriture usuelle de la musique est éventuellement posé, par contre le type d’imagination que nous avons normalement quand nous parlons puisque de fait on peut penser à ce que l’on va dire et puis quand on le dit cela sonne très différemment de ce que l’on avait pensé.

Le rapport entre le discours indirect "je ferai cela" et puis on le fait qui semble-t-il est un peu ce qui accompagne la conscience - et bien entre dans l’univers musical, ou dans l’univers sonore, ou dans l’univers du son.

Cette possibilité de se dire "et je ferai" et de le faire, ou bien cette possibilité de se raconter ce que l’on a fait et de tester ce que l’on fait par rapport à ce que l’on voulait faire. Cela ce n’est pas tellement l’écriture lorsqu’il est question d’univers langagier, c’est la conscience elle-même, c’est la conscience qui naît dans la possibilité de se raconter ce que l’on va faire ou ce que l’on a fait. Et c’est cela qui est très difficile à produire quand on a affaire à du son...

Donc c’est produire des marques, les mots sont des marques, les sons n’ont pas leurs propres marques... dans le rapport à soi, dans le rapport à la mémoire ou à l’anticipation... Et c’est vrai que là aussi, on n’a pas accès, c’est le même problème, on a pas du tout accès à la manière dont quelqu’un, même soi-même d’ailleurs, et encore moins l’autre, a conscience de ce qu’il va faire ou de ce qu’il va dire : c’est une boîte noire aussi. Mais on sait que cela fait une différence...

D.D. Mais avec ce que racontait Stern l’autre fois sur la petite fille qui se racontait sa journée mais qui était au début de l’utilisation des mots et qui inventait des narrations différentes dont on ne savait si celle qui la satisfaisait le plus était celle qui correspondait le plus à ce qui "réellement" arrivé ou pas pendant la journée, là on a un accès par rapport à cela...

Sauf que justement avec

l’histoire que racontait Stern : on la voit faire des variations, on ne sait pas exactement ce qu’elle vit pendant ces variations, ni ce qui la satisfait le plus et on ne va certainement pas, enfin on sait que se serait d’une très grande violence, que d’entrer dans cette scène de narration et de remise en scène qu’elle se produit en la sommant d’avoir la narration la plus exacte...

Cela ce serait une autre scène éventuelle, qui ne serait pas violence si l’exactitude devenait un enjeu en soi, si il s’agissait de se rappeler ce qui a vraiment eu lieu, mais sinon ce que l’on constate c’est la mise en variation. La mise en variation intense, le fait que la mise en variation produite a du sens. Et disons que si les variations produites ont du sens on ne peut pas entrer dans quel est ce sens ? On peut simplement se dire c’est en train de se produire et c’est important que quelque chose qui a été vécu et éventuellement quelque chose qui va être vécu soit plongé dans un possible de variantes et que ce possible se mette à compter en même temps que ce qui s’est produit.

C’est au fond, le redoublement de ce qui se fait par du possible, c’est la plongée de l’expérience dans le possible.

Et cela c’est... bah, c’est apparemment l’une des choses qui singularisent l’humain mais qui pour la musique n’est accessible qu’à de très rares. C’est une espèce de mise en possibilité pour beaucoup de ce qui n’est le celas que pour des très rares quand il est question de musique.

D.D. Mais ce qui est intéressant c’est que la possibilité existe en dehors de la maîtrise...

Bien heureusement... heureusement, les seuls endroits où des humains se transmettent effectivement des savoirs très compliqués, du genre apprendre à marcher, apprendre à parler - c’est tout de même très difficile, moi, je tombe souvent, donc apprendre à marcher, descendre des escaliers, c’est horrible - apprendre à parler, c’est pas simple et même apprendre à lire quand on a véritablement appris à lire, c’est à dire quand on a appris à aimer lire... tout cela se transmet en dehors de la maîtrise.

Tout cela se transmet par une jouissance de pouvoir faire, de pouvoir vivre, de pouvoir imaginer et pas d’être vérifiable. Je crois que les choses commencent à se gâcher dans la transmission des savoirs quand la nécessité d’évaluation transforme la situation parce que celui qui sait réclame un accès qui est contradictoire avec justement une mise en possibilité, une exploration des variations et des intensités qui interdit l’évaluation.

Donc, effectivement... je ne sais plus quelle était ta question... La possibilité du possible sans la maîtrise...

Bien oui, justement il y a deux types de maîtrise : il y a celle dont seul celui qui l’a produite peut témoigner en disant "nom d’une pipe, là j’ai fais ce que je voulais... l’ai-je bien descendu ?" mais c’est une maîtrise par rapport à quelque chose dont lui-même éventuellement ne savait pas qu’il voulait le faire avant même qu’il réussisse à le faire. Il ressent l’intensité de la réussite sans avoir de critères établis sur ce qu’est la réussite, cela c’est une maîtrise.

Et puis, il y a une autre maîtrise qui est : vous êtes capables de faire ce que l’on vous dit de faire. Et lorsqu’il s’agit de cela, la transmission devient beaucoup plus compliquée. C’est là que l’école s’en mêle... c’est pas pour rien que l’on dit : faire ses premiers pas pour des tas de savoir et si l’adulte voulait ou si on voulait que l’enfant aie un rapport de maîtrise à propos de ces premiers pas et bien la plupart ne réussirait pas et on trouverait tout à fait normal que marcher soit quelque chose à propos duquel on sélectionne parce que tout les enfants ne se valent pas du point de vue du sens de l’équilibre etc.

Si on voulait la maîtrise à propos des premiers pas, la plupart des enfants irait à quatre pattes et cela semblerait très normal à tout le monde.

D.D. Il y a quand même la question que dans la transmission des savoirs il y ait une vérification qui soit mise en place, elle n’est pas uniquement... l’ordre de la vérification n’est pas situé uniquement dans un côté de jugement ou des choses comme cela, il y a aussi la vérification de savoir si oui ou non on peut passer à autre chose, une gradation... la vérification comme moyen d’évaluer la possibilité d’une gradation ou de la continuation de quelque chose qui a été entamé. Et donc par rapport à cela, par rapport à la méthode cette question là se pose éventuellement aussi, et donc est-ce qu’il y a une possibilité d’imaginer des modes d’évaluation qui ne soient pas, qui ne reposent sur du jugement ou en tout celas sur un jugement dont les termes mêmes ne permettraient pas une disqualification ou les termes de l’évaluation ne soient pas... tout à l’heure, tu parlais d’émotion ou d’esthétique par rapport à ce que se vivait dans l’atelier, est-ce que cela cela pourrait être une matière, comment est-ce que cela pourrait être une matière ?

C’est une des choses qui s’expérimente avec le "Jeu de la Partie et du Tout" puisque c’est justement l’idée que le Tohu-bohu c’est bien pour une année, cela peut être reproduit encore mais c’est pas quelque chose que l’on peut proposer aux enfants non-stop pendant six ans, donc la partie et le tout c’est un premier pas, encore une fois un premier pas vers quelque chose d’ouvert dont on ne sait pas ce que les enfants en feront, et ce dont cela les rendra capable, on n’en sait rien.

Et donc, est-ce qu’ils vont réussir à se créer ensemble, est-ce que la partition va être une nouvelle modalité pour travailler ensemble par rapport à eux ou est-ce que certains vont se mettre à faire des partitions qui soient de véritables expérimentations ?

On n’en sait rien, simplement là, une tentative de dispositif telle que, non pas on puisse juger les enfants, encore une fois on ne pourra pas les juger, mais telle que ils

puissent eux-mêmes expérimenter des manières de construire à partir de ce dont ils sont devenus capables, c’est un dispositif ouvert. Et donc le point est : qu’est-ce que nous pouvons apprendre de ce dispositif ?

Mais c’est un peu ce qu’on a dans des tas de situations qui ne sont justement pas scolaires, dès lors que l’enfant a appris à marcher il y a des tas d’autres choses qu’il peut faire et des tas de situations où on le met où il lui sera demandé éventuellement un peu plus. Le point esthétique toujours est : est-ce qu’il continue à le faire dans l’exploration ou est-ce qu’il y a un moment où il redevient un petit singe c’est à dire où il se remet à spéculer sur ce que les adultes veulent de lui ?

Là, je crois que l’on est dans l’inconnue... je crois que l’avenir de ce type de dispositif est complètement indéterminé ; ce qu’il y a d’intéressant c’est qu’il y a une piste pour apprendre.

Le dispositif est aussi une piste pour apprendre de quoi il peut rendre les enfants, singulièrement et collectivement, capables. C’est tout ce que l’on peut dire... mais c’est important, parce que l’on n’a pas tellement de manières d’apprendre.