I.S. Non mais ce qui est intéressant c’est que effectivement à l’heure actuelle quand on dit on fait de la science, c’est le gros défaut, c’est que cela a l’air de donner la garantie que cela va être transportable sans réinvention... corps et bien. C’est donc le problème des sciences humaines qui est en question, si c’est cela les sciences humaines...
Ce problème des sciences humaines c’est le problème également de la transmission, des médias... les gens se précipitent sur tout nouveau morceau de sucre qui peut être intéressant et là je crois qu’à tout prix nous devons infiltrer la situation partout où il y a moyen de l’infiltrer.
Et à mon avis c’est monstrueux, la demande est absolument monstrueuse. Je suis absolument convaincu qu’un pays comme le Japon va marcher à une vitesse folle d’autant plus que le Japon avait vécu le rêve Suzuki - tu connais le rêve Suzuki - et que mon ami japonais que j’ai rencontré à Strasbourg m’a dit : il n’y a plus personne qui ose parler de Suzuki, le rêve s’est complètement effondré, ce sont les autres pays qui en parlent encore.
Donc ils sont a l’affût de quelque chose de nouveau qui pourrait accélérer le processus de l’enfant parce que là-bas ils disent qu’à deux ans c’est trop tard, qu’il faut faire les choses le plus vite possible. Alors il est évident que ceci représente quelque chose qui peut typiquement assurer le fonctionnement de l’enfant, assurer la maîtrise de l’enfant dans d’autres domaines de savoir etc. Donc je crois que la règle la plus absolue c’est de s’infiltrer discrètement là où les gens le prennent sans trop savoir ce que c’est. Et simplement parce que cela ne fait pas de tort et qu’il semble que cela fasse du bien.
Alors autant je m’intéresse à un dispositif d’interrogation qui pourrait peut-être grâce à Internet permettre de mieux comprendre les réflexes de chacun et mieux comprendre où on en est quelque part, autant vanter le produit, méthode et dispositif, pour lui donner sa force me paraît en contradiction avec cette faiblesse que l’on veut maintenir. Alors il n’y a pas de danger avec Daniel parce que l’on est tellement proche que toutes les conversations que l’on a avec lui sont possibles... mais je ne vois pas Daniel commencer des études sur...
I.S. Je crois même que c’est en contradiction avec son type de méthode. Tu vois la Question 80 par exemple, il y a des rapports d’analogies fortes qui nourrissent mais il n’y a pas de possibilité de transplanter son dispositif d’études sur... la question 80, lui il a étudié l’accordage entre deux personnes, on peut visualiser parce que il y a la mère ou le père et l’enfant donc trois caméras, trois personnages qui restent plus ou moins fixes, en tous cas ils ne sortent pas du champ de la caméra... tandis que si il y a bien, ce que je crois, de l’accordage dans le Tohu-bohu, il est sans cesse délocalisé, remis en question et le nombre des dimensions est totalement indéterminé, ne cesse de varier, donc comment est-ce que tu peux identifier ? Lui il réussit...
Mais je ne sais pas, il s’est fasciné sur le comportement du visage de l’enfant qui produit justement de l’improvisation, il a travaillé pendant des années avec son équipe sur le récit, qu’est-ce qui restait du récit d’un enfant etc. au niveau d’un récit que l’on faisait à un enfant avec des caméras derrière une vitre sans teint. Il est fasciné et comment est-ce possible que l’on ne puisse pas justement travailler sur ces expressions visibles des enfants dans différentes situations par rapport à l’évolution de l’enfant ?
Je vous ferai une copie de ce que je montre maintenant à Bâle, on voit le même enfant après plusieurs années dans une situation progressive où il tente de maîtriser... son expression de visage, les mouvements, les... à un moment donné il fait ahh... comme si il était à court de souffle : je crois qu’un Daniel saurait très bien ce que cela veut dire, c’est à dire l’arrêt à un certain moment donné du système respiratoire qui a provoqué une angoisse au niveau physique de rattraper son souffle parce qu’il l’avait arrêté. Mais lui connaît tout cela, tu comprends ce que je veux dire, il a ici une source inimaginable mais je crois que dans son dispositif complet... je dirai presque que c’est arrivé trop tard pour lui, en ce sens qu’il s’est tellement inscrit dans des découvertes au niveau de la petite enfance et puis il a poursuivi au plus haut niveau que actuellement ce qui le motive c’est son nouveau métier d’organisateur de danse...
Il t’en a parlé ? Il était l’ami d’un très grand danseur, qui a fait des choses du niveau de "West Side Story", un des plus grands noms, qui est mort et qui lui a laissé en héritage tout ce qu’il avait fait comme chorégraphies donc il devient le monsieur que l’on appelle de Londres, de Paris pour savoir si on fait cette pièce ou pas, il peut dire oui dans telles conditions, non dans d’autres... il a changé de métier. Et il est dans la joie parce que... l’université de Genève, il n’en pouvait plus, il n’en pouvait plus. Parce que elle est pire encore que toutes les autres universités, parce que là le côté pesant de la ville de Genève... il a beaucoup souffert à mon avis. En plus de cela sa femme a été plus ou moins étranglée... donc je crois qu’il n’a que de très mauvais souvenirs et que si il reste à Genève c’est pour ses enfants, sa belle-famille, le château, sa femme qui a trouvé là une occupation mais lui il va voyager, il pense plus à la danse que... Mais pour nous il reste un interlocuteur merveilleux, cela ne le diminue pas.
I.S. Mais tu disais que justement il ne fallait pas faire trop de bruit... est-ce que la Question 77 te semble en faire trop par rapport à la joie illicite de Nietzsche ?
Un "faire confiance" principiel, c’est le "faire confiance" de James... oui c’est totalement proche, c’est la même façon de se comporter : vous avez cette richesse en vous, moi je l’ai en moi, ces différences vont faire qu’il se passe quelque chose... oui, cela c’est clair... c’est tout à fait évident.
Pour moi c’est cela l’intérêt, c’est de recréer plus loin dans la ligne des générations cette chose que nous avons inventée, dont nous dépendons biologiquement...
Mais qui existe dans l’ensemble des partenaires, qui est plus que latent, qui est comme tu dis : "principiel".
Question 76 C’est une très belle question... qui contient sa réponse en elle-même : il y a deux façons de vivre ancestralement un comportement de l’espèce et puis une interprétation, un regard sur quelque chose qui ne fait plus partie de l’espèce puisque c’est la singularité d’un nouveau vivant donc qui ne se comporte pas comme...
I.S. Mais est-ce que l’on ne pourrait pas dire que toute interprétation au sens où cela devient positif, co-composition, quelque part a cette double articulation là aussi ? C’est à dire qu’à la fois on interprète une partition déjà écrite et ce rapport vous rends sensible à des événements de la partition etc. donc qu’une interprétation rend sensible en temps réel dans la co-composition... qu’il n’y a pas de contradictions...
J’attache une énorme importance au mot interpréter et à l’acte d’interpréter - qui est d’ailleurs très proche de l’improvisation, où là tout est relâché, on ne sait pas ce que l’on va faire au moment où on va le faire - et je pense justement que tout ce que James dit au niveau d’interpréter tout, les événements, soi-même, les autres, tout ce qui peut être cette relation d’interprétation incessante est la richesse de la différence de l’espèce. Sinon cela n’a pas d’intérêt, je dirai... Mais donc même l’interprétation au sens traditionnel du terme, quand cela marche, participe à cette richesse...
Ah oui, fabuleux, fabuleux... au sens traditionnel du terme, c’est justement un Grumiaux qui a travaillé incessamment pendant des années pour arriver à reproduire exactement la chose telle qu’il estime que le compositeur et lui en ont fait un objet fixe, et qui au moment de l’interprétation : improvise... parce qu’il ne peut pas faire autrement, il n’y a que le disque qui pourrait répéter le même. Donc l’interprétation est une forme d’improvisation, cela est tout aussi passionnant dans la tradition qu’actuellement mais simplement elle est devenue dans la tradition presque fermée,
tu comprends ? Au bénéfice de quelques personnes qui peuvent distinguer, parce qu’ils sont spécialistes, une improvisation, elle n’est pas distribuée au niveau de chacun de nous, on nous dit : taisez-vous, vous n’êtes pas là pour cela.
Question 78 ; Question 79 Question 80 On l’a dit. Je verrai les réponses de Daniel...
Question 81 Ici à la dernière question tu parles d’expériences inter ou transmodale...
Tu connais la thèse de Stern là-dessus ? Oui, oui, elle est tout à fait fascinante parce que justement je constate chez les enfants jeunes c’est qu’ils retrouvent ce transmodal, même si ils l’ont perdu.
Pour eux au moment du Tohu-bohu, ils le retrouvent parce qu’ils n’ont pas d’indications des adultes leur disant : fait bien attention, c’est à cela que tu dois penser. Sauf quand par hasard le professeur enseigne "Maître Corbeau", à ce moment là ils sont devenus modal uniquement pour reproduire le modèle. Mais en eux-mêmes ils retrouvent tranquillement cette possibilité que tout circule... Alors cela fait partie... qu’est-ce qu’ils ont gardé ?
Ce transmodal je crois qu’il est chez nous partout, il ne nous paraît pas très utilisable pour conduire une voiture ou pour vivre dans la vie... Sauf que l’on ne sait pas ce que ce serait l’expérience si on ne l’avait pas. Peut-être que c’est un implicite dont on ne peut pas dire l’importance, mais si par expérience de pensée c’était coupé : on ne saurait pas quoi faire... tu sais c’est comme l’économie noire, souterraine par rapport à l’économie officielle, elle n’est pas reprise dans les chiffres mais l’économie officielle...
Mais tu vois, je ne pense pas qu’on arrive à une situation dans laquelle si on abandonne le système de la propriété, le système de la tradition, on ne va pas tout d’un coup tomber dans un renversement total partout, il y a toutes sortes de choses... qui restent semblables, et en plus de cela, il va falloir apprendre à vivre avec les principes d’incertitude - définis par Heisenberg mais définis également par James - est-ce que l’on peut dire que l’on ne peut plus être sûr de rien ? A ce moment là on ne peut plus monter un escalier puisque la marche peut lâcher... donc il y a une contradiction entre le principe d’incertitude tel qu’il nous apparaît et le principe de confiance.
Donc il va falloir jouer avec les deux comme étant simplement un quelque chose qui fait simplement qu’à ce moment là je fais confiance et à ce moment là je fais... la joie de ne pas savoir, l’incertitude n’est pas une angoisse, c’est au contraire un quelque chose qui fait rebondir la balle.
Mais je proposerai à madame Herminiat dans sa classe l’année prochaine... là où elle transmet un savoir de ne pas transmettre l’incertitude de ce savoir. On transmet un savoir, il peut s’avérer faux par l’évolution des choses... cela n’a aucune importance, le tout c’est de savoir si à ce moment là on le considérait comme vrai. On ne peut pas vivre en attendant que tout soit vrai ou en attendant que tout soit faux. Donc ne mélangeons pas dans les situations que l’on rencontre ce qui peut être défini comme raisonnablement sûr et ce qui peut être défini comme étant... (vraisemblablement faux... ndt) incertain ou... oui, incertitude.
Et alors j’ai envie de lui dire, vous voyez quand vous enseignez le solfège - que vous devez enseigner puisque les enfants sont inscrits chez vous pour cela, et il n’y a rien d’autre, c’est la seule chose valable actuellement dans une tradition, on n’a pas trouvé d’autres écritures sauf la liberté de beaucoup d’approches du son -
si vous enseignez le solfège quand vous demandez à un enfant combien il y a de noires ou de croches dans une blanche, vous ne pouvez quand même pas lui laisser dire n’importe quoi. Sinon vous bafouez votre propre enseignement et vous leur faites croire que cela peut être aussi bien deux noires que trois noires... c’est pas possible, il ne peut pas vivre avec une transmission de savoir qui flotte sur le tout possible.
Par contre au moment où il exerce une créativité avec les moyens du bord que vous avez fait, si vous dites c’est bon ou c’est mauvais, vous vous référez à quelque chose que vous ne connaissez pas. Parce que vous n’avez pas les moyens objectifs de savoir si c’est bon ou si c’est mauvais. Vous pouvez savoir que c’est différent et que cela ne prend pas place chez vous par rapport à ce que vous connaissez.
Donc n’y aurait-il pas - je pense aux Conservatoires - la possibilité de jouer entre une forme de certitude quant à - je me réfère à un article de Prigogine ? d’il y a assez longtemps - et ce qui, par définition, n’est justement pas certain, le temps, la météorologie, la création de chacun comme étant un domaine qui existe également à part entière. Un domaine n’assassine pas l’autre, au contraire ils se nourrissent plutôt les uns des autres.
Parce que l’on voit très bien que les principes d’incertitude, la relativité, font qu’il y a des jeunes qui disent plus rien n’est sûr, tout est relatif. La Terre ne tourne pas autour du Soleil, parce que si on se place ailleurs c’est tout le système solaire... il n’y a plus rien sur lequel je puisse reposer. Pourtant ils conduisent des voitures, ils montent des escaliers. Mais c’est une forme un peu folle de retourner l’héritage où justement on était sûr d’avoir raison etc.
Ce niveau de relativisme où tout est relatif est tout de même assez aberrant et n’est pas très productif au niveau de leurs comportements.
D’un autre côté leur dire que tout est sûr... Et donc je suis en train de dire à ce professeur et à d’autres professeurs, ne commencez pas à leur dire que vous doutez de tout.
J’avoue que des professeurs comme Herman Sabbe ou des professeurs comme Thierry De Smet me troublent... parce qu’ils n’osent absolument pas, ils se refusent de prendre la parole pour dire "c’est comme cela", où que ce soit. Et qu’il est évident qu’il y a des jeunes qui sont perturbés par cette absence de père, cette absence de gens qui disent "écoute, c’est comme cela et si tu ne l’as pas compris, tu auras un mauvais point, c’est la dessus que je te juges etc. et je fais partie d’une société qui sait quand même ce qu’elle pense".