C’est une position à laquelle je peux difficilement adhérer. Il est évident que la position d’un Israël est tout aussi... il voit tout par rapport aux deux hémisphères etc. Mais ici, est-ce que cela flotte derrière ? C’est à dire que l’on est tout le temps en train d’en parler et qu’il vaut mieux le faire sans dire c’est le robinet gauche et c’est le robinet droit.
C’est cela que je dirai c’est que comme c’est quelque que chose qui est une mesure électro-machin chose... ce n’est pas dénué d’intérêt mais si on se rend compte que l’on peut en parler sans avoir directement besoin de ces choses là et sans avoir cette espèce de position polémique parce que moi quand je suis toute rouge de penser à quelque chose d’important et sans jugement de valeur , juste une aventure de la pensée, si on me disait c’est ton hémisphère droit ou gauche, je m’en foutrais... parce que c’est plein de mots mais ils sont en train de faire pleins de cabrioles dans ma tête qu’ils n’avaient jamais fait alors est-ce que c’est gauche ou droit ?
Je m’y plie d’autant plus que tous les gens qui ont voulu en parler - je pense à Laborit qui n’est pas un imbécile mais quand il a voulu parler d’hémisphères gauche et droit... c’est absolument idiot tout ce qu’il a pu dire, Israël également. Donc dès que quelqu’un fasciné par cela s’est mis à en parler il n’a pas trouvé la manière de le faire, donc il vaut mieux le laisser derrière...
C’est cela mon critère, c’est que les gens intelligents, cela ne leur fait pas de mal, mais cela ne rend pas intelligent...
Question 72 Si tu estimes que j’ai expérimenté... on ne peut pas dire qu’il n’y avait pas de but.
La recherche au niveau d’une autre musique, et la recherche d’un autre comportement au niveau de la relation à l’autre était un but, je voulais y arriver.
Sinon je n’aurais pas fait tous ces efforts qui étaient tout de même lourds à prendre.
Question 73 J’avoue que je ne vois pas très bien à quoi tu te réfères quand tu dis : n’aie pas peur. Moi je dis au contraire : aie peur, il y a de quoi !
C’est à dire que toute la situation mise en marche, je me suis rendu compte que la situation mise en marche est très terrorisante en réalité. Et je suis extrêmement stupéfait, qu’à une exception près où j’ai effectivement eu une gosse terrorisée... qui est tombée dans le pire des cauchemars et je pense que pour le restant de sa vie elle aura refermé cela sans plus y penser, mais au moment même elle perdait complètement pied ; tous les autres ont supporté. Et même plus que supporté, puisqu’ils en ont redemandé. Et que j’ai vu des enfants où je me dis que dès qu’on va leur dire que c’est fini, ils vont foutre le camp... pas du tout, ils restent, ils restent.
Donc il y a quelque chose où... même ceux qui ont peur sont coincés par cette peur, ils sont fascinés par cette situation qui les dépasse totalement. Pourquoi exactement ?
I.S. Le contraste, tu vois, ici tu réponds plutôt à "ne sois pas effrayé", le "n’aie pas peur" on l’avait associé plutôt avec l’idée n’ayez pas peur par rapport à la perte des valeurs passées, le fait qu’il n’y aura éventuellement plus d’œuvres d’art... les discours à la Ferry etc. Dans l’ensemble de ton attitude il y a un "n’ayez pas peur de l’avenir", il se fabrique...
Oui, mais d’un autre côté dans l’expérimentation, je jouis quelque part de la peur des autres. Parce que je me dis : "ah ceux là ils ont encore quelque chose qu’ils croient qu’ils vont perdre". Donc cette peur est une bonne chose pour les amener à lire James ou à s’apercevoir que Nietzsche a également existé dans sa joie de vivre.
Par contre, je ne sais pas très bien pourquoi la situation ne fait pas peur aux enfants et pourquoi je continue à penser qu’elle est bonne dans son côté terrorisant.
C’est à dire que la petite fille qui a été terrorisée est arrivée en retard donc elle est tombée en plein fonctionnement Tohu-bohu, et en plus de cela - je crois que je t’en avais parlé - on lui avait parlé, bien expliqué ce qui allait arriver et donc elle avait bien mis cela... elle savait ce qui allait se passer, elle n’était pas ouverte à quelque chose.
Arrivant en retard on lui ouvre la porte, on la laisse entrer, elle se trouve devant des enfants qui font n’importe quoi et derrière des tables un tribunal de Nuremberg, des adultes assis, qui ne bougent pas, qui regardent, avec une caméra qui filme... il n’y a pas plus tribunal que cela. Ce qui fait que sa panique devant une situation aussi horrifiante, aussi fermée, devant ce jugement apparent qu’on allait faire - et que l’on fait peut-être si on n’a pas bien compris qu’il n’est pas à faire - fait partie du dispositif.
Les enfants - à cette exception près - en sont conscients de façon extrêmement ambiguë mais je pense qu’ils en sont conscients. Ils en sont conscients : les enfants qui sont traités depuis l’enfance avec de gentilles paroles, qu’on embrasse quand ils arrivent, que l’on cajole les cheveux et les fesses... et puis que tout d’un coup on se tient en dehors de leur territoire en les regardant sans bouger, il y a de quoi avoir peur.
Alors il se passe autre chose qui fait que cette peur est peut-être une source de provocation pour eux de combler ce vide et je n’en rougis pas puisque cela oblige à "pas de jugement". Ce tribunal n’en est pas un, il est au contraire le retournement de tous tribunaux qui estiment qu’ils peuvent...
Et est-ce que tu dirais que cela c’est quelque chose que tu éviterais par rapport au dispositif : on n’introduit pas un enfant en cours de route.
Je crois qu’il ne faut jamais introduire un enfant en cours de route la première fois parce qu’alors il est mal parti puisqu’il n’est pas parti collectivement dans un groupe qui décide collectivement d’entrer dans le dispositif.
Donc cette expérience était terrifiante , horrifiante pour moi, horrifiante pour l’enfant.
C’est donc une des règles...
Question 74 On en a déjà parlé.
Question 75 Ces deux premières lignes me semblent un peu en contradiction avec la troisième quand tu... dans les deux premières phrases on sous-entend qu’il improvise ou qu’il co-produit autant que la mère, chacun improvisant. Je ne sais pas ce que Stern a répondu à cela mais pour moi, si j’ai bien lu Stern, l’enfant n’improvise pas du tout.
C’est un récepteur humain donc bourré de pulsions, de savoirs dès la naissance mais il n’y a que la mère qui improvise... et encore elle n’improvise pas, elle fait son rôle de mère sur la planète.
I.S. Disons que Stern l’a à peu près comprise comme elle avait été écrite, c’est à dire que l’on peut dire que le nourrisson n’improvise pas tout de suite évidement puisque pour improviser il faut un sens de soi et de l’autre. Mais il dit : cela va très vite. C’est à dire qu’il y a un moment où le nourrisson prend l’initiative et s’adresse à la mère... il y a improvisation pour lui... pas tout de suite, pas à trois mois...
C’est à dire qu’il peut prendre une initiative avant trois mois sans improvisation, mais il y a initiative parce qu’il vit. Et puis au bout de trois mois, très rapidement il va prendre... Disons qu’il le vit en tant qu’initiative, il y a une différence entre prendre une initiative pour le regard de l’autre et prendre une initiative pour soi-même...
Oui, c’est une question que je me posais parce qu’il ne l’a pas écrit clairement dans ses livres donc à partir de trois mois...
J’ai dit, trois mois certainement pas, lui a dit un an... je crois... je ne sais plus la date mais enfin très vite, l’enfant peut aussi prendre l’initiative au sens plat du terme, c’est à dire je/toi.
Avant même le babil donc. Parce que Stern ne s’est jamais intéressé au babil, ce n’est pas un homme sonore, il est très visuel, pourtant le babil est quelque chose de fascinant chez les bébés...
Il a très bien décrit la voix de la mère, il s’est beaucoup intéressé aux modulations, aux rythmes...
La "chorégraphie mère/nourrisson" incorpore-t-elle une forme d’éthique ? On peut difficilement dire le contraire sinon il y aurait refus d’être vivant... Rencontre entre science et éthique ? C’est une grande question...
Oui mais tu pourrais... c’est aussi l’occasion de dire l’importance de Stern parce que là on a quelqu’un qui a produit de la science et qui nous livre - au sens de nous rend sensible à - un spectacle d’une haute qualité éthique.
Absolument, mais son, ses... il a une grande rigueur scientifique, c’est à dire qu’il ne va pas se laisser aller à des imaginations délirantes... donc il est relativement taiseux, non ? Je ne sais pas si cela a été sa tasse de thé d’être interrogé de façon si précise. Il est très américain aussi, dans le sens de cette ouverture aux différences de chacun, très californien, et il se réjouit d’être au monde, de tout ce qui se passe, il ne donne jamais tort à personne, je ne l’ai jamais vu... mais son côté scientifique est très important pour nous mais on ne va pas facilement le faire extrapoler.
Alors tout ce qu’il a pu dire, c’est qu’il se fascine pour le comportement des enfants qu’il a vu en vidéo, qu’il se fascine pour cette possibilité pour l’enfant pour ce qu’il appelle improviser, c’est à dire faire quelque chose qui est imprévu pour tout le monde et donc il le relie indiscutablement avec ses travaux scientifiques.
Mais on peut aussi parler, enfin moi quand je pose la question, quand on posait la question, évidement cela s’adressait à Stern mais cela s’adressait aussi à ceux qui ont lu Stern. Qui savent que ce qu’il a rendu observable, il l’a fait par rapport à des enjeux scientifiques je veux dire, mettre en visibilité, ralentir, écouter... et que pourtant quand on le lit on pense aussi éthique au sens où tout d’un coup cela devient quelque chose de très beau que cette épisode sans cesse reproduit dont dépend l’histoire humaine... Il y a quelque chose de beau là-dedans où pour le coup les sciences humaines nous donnent confiance dans l’humain...
Il est évident qu’il souhaite un autre comportement dans le monde, il ne s’en cache pas, et pourtant il essaie de se maîtriser, de ne pas en parler.
Dans un de ses livres, il termine en écrivant qu’il espère que ce que les gens ont lu là va modifier le regard sur l’enfant et donc à la génération suivante modifier le comportement humain.
Quand il dit que les êtres humains, ce génie de l’enfant n’est tout de même pas pour faire des ratés ! Sous-entendu nous fabriquons des ratés, ce qui est tout à fait exact, il montre son désir de faire accélérer, et il l’a fait tout aussi bien dans le cadre de ses propres travaux que dans son regard sur le dispositif, sinon il n’y aurait pas consacré trop de temps.
Mais au niveau du dispositif il m’a semblé qu’il ne savait pas comment en parler, de façon claire et précise comme dans ses propres travaux, et que sa seule tentative vraiment concrète a été d’abord au niveau d’une de ses élèves... mais lui même a pataugé dans les instructions avec son élève au début... pour qu’on puisse scientifiquement faire des comparaisons, il avait été jusqu’à proposer que les instruments sonores soient liés à des lampes de poche ou des jeux que l’enfant aurait allumé ou éteint.
Je lui ai dit c’est simplement pas possible, on ne peut pas introduire des lampes de poche dans le système, il a tout de suite accepté mais l’élève n’est arrivée à rien. J’espère qu’elle a eu son diplôme parce qu’elle a fait un très beau travail.
Alors quand Daniel s’est déplacé gentiment à Paris et qu’avec Imberti ils ont essayé de mettre au point un protocole... mais on n’a plus parlé de protocole, on n’a plus parlé d’Imberti, il le voit peut-être pour autre chose mais c’est une voie qui s’est montrée sans issue.
Alors quelle est la voie entre Daniel et nous, qui est naturellement celle qui nous intéresse le plus mais qui est presque confidentielle ?
C’est au niveau de ses études sur une réalité qui n’est pas culturelle et la possibilité pour les enfants d’être dans un dispositif qui n’est pas non plus culturel et qui ne peut pas les ramener à tout ce que les parents ont bien entendu apporté. Parce que les parents ne sont pas là pour apporter le désordre, le désordre existe en chacun de nous.
Les parents, la société sont là pour amener de l’ordre et un savoir. L’ordre c’est celui de notre société il n’y en a pas d’autre.
Bon, l’enfant est bourré de désordre et de toutes sortes de possibilités, est-ce qu’il y aurait là un signe quelconque que les territoires successifs que l’enfant habite - je crois que Winnicott l’a dit - ne sont pas des territoires perdus, ce sont des territoires qui sont là, pas utilisables ou pas utilisés sauf qu’ils permettent aux autres d’être utilisables - une sorte de poupée russe qui fait que l’on voit apparaître d’autres territoires ?
Je pense que grâce au sonore qui ramène de lui-même au primitif, grâce au fait que l’on ne fait pas de la belle musique avec justement le modèle, il semble qu’il y ait toutes les chances que ce ne soit pas par miracle que l’on voit se reproduire chez différents enfants la même chose dans différentes occasions - il serait intéressant de voir jusqu’à quel âge etc.
Alors tout le problème c’est de voir jusqu’à quel point peut-on "scientiviser" le bazar, sans en tirer parti, ne pas le diffuser, ne pas quelque part dire on commence à être sûr de nous, ce qui a été décrit là on le retrouve là etc.
Sinon on est parti dans la direction où on ne veut pas partir...