I.S. Mais là c’est une tentative de composition sans écriture...
D’abord il y a l’écriture de la souris sur le logiciel donc il y a écriture. Au niveau où il y a choix de certains sons virtuels, c’est aussi une forme d’écriture...
D.D. Oui si on étend le mot écriture alors là...
I.S. A ce moment là il y a de nouveau la dislocation...
D.D. Oui et qui existe au niveau de la musique électroacoustique ce n’est même pas une élimination de l’interprète, c’est un déplacement de l’interprète d’un côté au moment où le son est produit et de l’autre au moment où il diffuse, tout le travail de l’interprétation est au moment de la diffusion de la bande et c’est là le concert... c’est pour cela que l’on a appelé cela "le concert de haut-parleurs" dans le sens où ils en disposent une chiée dans l’espace, c’est la responsabilité de celui qui diffuse d’interpréter la bande qui est pourtant hyper-fixée et qui...
Pour qu’il y aie une différence au niveau de l’exécution...
Et qui à mon avis est intéressante parce que ce n’est plus tellement la différence qui est visée de l’un par rapport à l’autre mais qui est plutôt la prise en compte de l’espace. Et donc ils travaillent à partir de l’espace concret dans lequel ils sont, ils sont dans la salle de concert X et pas dans la salle Y et donc c’est un fonction de la résonance et de l’acoustique générale que...
Oui mais au niveau de l’écoute et de la présence du public il me semble que toutes ces tentatives éliminent le désir humain de se toucher, de se regarder, de voir comment l’autre modifie les choses. C’est à dire que nous sommes à un niveau où les spectateurs demandent le cirque... le haut-parleur n’est pas un cirque, il fonctionne par rapport à ce qu’on a fait précédemment et on sait comment cela fonctionne. La première personne qui a vu un haut-parleur qui faisait quelque chose a du s’effondrer en se disant c’est un être vivant.
Les premières tentatives de musique électronique ont très mal passé en public, je me souviendrais toujours avec Cathy Berberian, il y avait une très belle oeuvre de Berio, on donnait cela dans une grande salle et on avait décidé avec Berio que Cathy allait s’asseoir comme cela (penchée) sur une chaise et qu’elle se redresserait très lentement - cela n’avait rien à voir avec le morceau - pour qu’il se passe quelque chose pendant le concert et que le public ne claque pas les portes...
Je pense qu’il y a un élément que l’on retrouve comme une nécessité absolue de joie, de raison d’être dans les pulsions des enfants qui ne sont pas perdues pour autant chez les adultes... au contraire je pense que les jeunes actuellement essaient dans leur musique de retrouver une motricité qu’on leur a fait perdre tout le restant du temps et qui est pour eux une nécessité absolue. Et c’est pour cela qu’il faut que les rythmes soient relativement simples pour qu’ils aient tous la même motricité sinon il n’y aurait plus...
Question 54 On demande à Daniel si il dit cela parfois.
Question 55 Je saute…
Question 56 Et celle-là on en a déjà parlé.
Question 57 La musique électronique est apparue par le désir de certains compositeurs d’amener ce que les instruments de l’orchestre ne pouvaient pas par définition amener, ils n’étaient pas fait pour cela.
Je crois que le premier compositeur c’est Varèse qui a mis une sirène dans une de ses oeuvres, "Désert".
Alors tout de suite après on s’est dit que c’était extraordinaire comme source nouvelle sonore puisque l’on avait un peu épuisé toutes les ressources soi-disant des instruments traditionnels. Les seuls instruments électroacoustiques étaient les appareils de mesure des sociétés industrielles qui s’occupaient des téléphones, des retransmissions, de radio etc.
Il n’y a pas si longtemps puisque en 1950 ou en 1956 - je ne sais plus très bien - j’ai fondé avec Pousseur dans une usine la SBR de radio, le premier studio de musique électronique en Belgique, il y avait déjà Milan et Cologne, et c’était avec des appareils de mesure qui servaient aux ingénieurs pour autre chose, cela n’avait rien à voir avec des instruments nouveaux. Alors on a analysé des cloches etc.
Ce qui est très curieux c’est qu’à cette époque là les premières grandes oeuvres ont été sensationnelles, les premières oeuvres de Pousseur, de Stockhausen, sont des oeuvres absolument sensationnelles quand on les écoute maintenant. Et après cela... c’est descendu, descendu. Plus on arrivait à des instruments maîtrisables, faits pour, moins cela avait de l’intérêt au niveau en tous cas de ce que l’intelligentsia estimait intéressant.
Ce qui fait qu’il n’y a plus une seule oeuvre de musique électronique que l’on donne même dans les festivals de musique contemporaine. On donne de l’électronique mêlé aux instruments traditionnels ou bien on modifie l’instrument traditionnel. Mais électroacoustique me paraît extrêmement intéressante parce qu’elle dégage virtuellement la maîtrise d’un son qui n’existe pas. Qui n’existe pas dans la nature naturellement, mais qui n’existe pas dans la nature des instruments qui ont été produit par la nature. Elle élargit du possible mais elle l’élargit tellement qu’elle pose la question de la pauvreté en même temps en ce sens que plus le son est étrange, plus je l’utilise plus il disparaît comme n’ayant aucun intérêt.
Pourtant elle amène un changement total au niveau de celui qui l’utilise que se soit un jeune compositeur ou un moins jeune, en ce sens qu’il est face à toutes les possibilités du son qui peuvent être faites par ces machines en dehors de la nature. On peut faire des violons mais on peut également faire des violons qui n’existent pas, on peut faire des flûtes qui ont 25 mètres et qui donnent la sonorité de flûtes de 25 mètres. Et il amène au niveau de leur cerveau une approche qui n’a plus rien à voir avec la tradition. C’est à dire que l’appréhension des mécanismes des appareils et de leur système de compréhension au niveau du cerveau n’a plus rien à voir avec la tradition où cela se faisait par évidence, par connaissance etc..
Au point et c’est assez... interrogation : c’est que en musique traditionnelle tu n’as jamais à première vue un imbécile. On ne lui demande pas une intelligence maîtrisant la situation, on lui demande une sensibilité et une certaine connaissance des instruments etc. Ici un professeur de musique électronique, au bout de trois cours, il va dire : "écoutez, je regrette mais vous n’avez pas le cerveau pour"... Il y a quelque chose au niveau du cerveau qui ne lui permet pas d’appréhender la matière sonore qu’on lui propose.
Donc tu vois que cette musique dans la musique occidentale pose encore énormément de problème et que certains Conservatoires comme Bâle - qui est un grand Conservatoire - partent du principe : tout a été fait, tout a été composé, si vous vous intéressez à la musique électronique on va vous donner toutes les informations dont on dispose, on va vous aider, on vous donnera un beau diplôme... mais surtout ne soyez pas compositeur, n’ayez pas l’ambition d’être un compositeur. Vous seriez un nombriliste qui parle sans arrêt de vous, on espère que vous êtes intéressé par les différences des cultures et pas par votre message...
On renverse entièrement ce que l’on dit, on n’ose pas encore le dire en musique traditionnelle parce que là il n’y a pas de différence au niveau de l’approche. Donc en musique traditionnelle ils sont très embêtés parce qu’ils ont un pour cent de réussite sur tous les élèves, et que tous les autres sont des échecs. Mais ils n’osent pas dire ne faites plus de piano, ne faites plus de solfège parce que cela voudrait dire quoi ? On ferme les Conservatoires, tu comprends.
Et cela, cela m’intéresse très fort à Bâle parce que je crois qu’ils ont déjà bien compris que le Conservatoire de Bâle est quasi à 99% fait pour des gens qui ne se destinent pas à la profession musicale, qui n’ont donc pas besoin de solfège sauf pour les quelques uns qui mordent au solfège. Et que donc la fonction dans la ville est totalement différente de la fonction au siècle précédent, elle ne pourrait être que la fermeture du Conservatoire qui n’a pas de raison d’être ou bien au contraire un lieu d’expérimentation type dispositif qui ne ramène pas à l’histoire de la musique ou qui ne ramène pas à un produit. Mais qui ramènerait à un meilleur état de l’enfant par rapport à lui, par rapport aux autres etc. C’est pour cela que je suis très intrigué de voir comment on va commencer dans ce milieu là.
Question 58 ; Question 59 On en a déjà parlé.
Question 60 Elle m’intéresse.
Je crois que les situations changent toujours d’elles-mêmes.
Par rapport à James, ces choses dont on n’a pas conscience et qui produisent les vrais changements.
L’enseignement, je crois que la France est un très bon exemple, les Etats-Unis aussi mais on est plus près de la France, la Belgique c’est encore plus surréaliste parce que l’on ne se pose même pas la question... la bonne Laurette Onkelijckx je ne pense pas qu’elle se préoccupe du moindre changement.
Or comme tu sais je m’intéresse très fort à Meirieu et j’ai l’impression que toutes les préoccupations des gens qui s’intéressent au problème c’est comment ne pas abandonner la transmission des savoirs, comment tenir compte des différences culturelles, les différences de possibilités des acteurs du côté des jeunes et comment peut-on éviter une société à deux vitesses où il y a d’un côté 10% de crème de plus en plus brillante et de l’autre côté 90% de gens dont le nombre de ceux qui brûlent les voitures ne cesse de grandir ?
Alors c’est la question : est-ce que l’enseignement français est assez en désarroi - et en tous cas chez Meirieu cela a l’air d’être le cas, tous ses livres le montrent - pour expérimenter le troisième état qui n’est ni l’enseignement, ni le non-enseignement.
Puisque là il y a là transmission d’un savoir, ne fut-ce que par les instruments qui sont hautement un savoir de l’humain, y compris les petits instruments électroniques, il y a surtout la présence des professeurs qui amènent ce lieu où le professeur ne l’est plus tout en l’étant encore. Alors il faut quelques années pour voir si l’enfant pris quelques années là-dedans voit le monde adulte autrement. Mais il est évident que nous savons très bien pourquoi l’enfant et le jeune finissent par ne plus supporter les adultes et finissent par brûler les voitures simplement pour qu’il y ait quelque chose qui se passe.
Mais nous ne savons pas comment d’autres situations comme celles visées ici pourraient amener les changements. Je pense qu’il serait normal qu’on expérimente cela, non ?
Question 61 J’aime bien cette question, parce qu’il est évident que dans la tradition... personne n’a échappé au piège, le Christ non plus.
Donc il y a toujours eu piège, si pas au moment même, avec le recul - donc il y a toujours eu piège.
Donc pour moi, il n’y a pas de problème, il suffit de voir ce que James écrit sur la prise de pouvoir, sur les possibilités d’être sûr de ce que l’on fait, de ce ruissellement où cela passe etc. , pour ne plus parler de nouveau, d’homme nouveau, de bonne méthode etc.
Mais je suis pris au piège au niveau de la méthode parce que chaque fois que j’ai essayé de ne pas dire "méthode", je me trouve en face de gens qui me disent "mais alors, qu’est-ce que c’est ?" "Dispositif" ne marche pas, "l’a-méthode" ne marche pas.
Donc je pense qu’il n’y a qu’une seule formule puisque les gens doivent se rassembler autour de quelque chose : c’est qu’on l’appelle "méthode" et que ensuite, sur le terrain, on l’appelle comme on a envie. Les contrats se feraient au niveau de méthode ne fut-ce que pour pouvoir les garder en main et avoir un certain contrôle. Et à Genève on appelle cela "Atelier Thys", à Bâle "Grün Cursus" puisqu’ils l’emploient déjà, donc ils vont utiliser ceci sans dire qu’il y a un changement - ce que j’adore.
Donc on joue de nouveau une ambiguïté qui est d’ailleurs le respect de la situation de chacun. Donc il n’y a pas de piège, plus de piège je veux dire, plus de possibilité de piège. Parce que pour qu’il y ait piège faudrait qu’il y ait encore l’espoir que notre bonne volonté de rendre les gens plus heureux puisse passer par un dispositif s’appelant "ordre nouveau". Mais merci monsieur Hitler, merci beaucoup de gens, il n’y a pas que lui...
Question 62 Déjà faite.
Question 63 Est-ce qu’un livre de philosophie fait partie des sciences humaines ?
Ici, dans cette étude de la psychologie du comportement (James ndt)... je ne vois pas que cela ne soit pas une science, ce n’est pas de la poésie.
I.S. Malheureusement les sciences contemporaines telles qu’elles s’enseignent à l’université sont assez différentes et de James et de Bergson...
Je sais bien, je sais bien mais l’autre jour j’avais dit un petit peu brutalement que si il est philosophe il clôture la philosophie mais non, bien entendu pas puisqu’il éclaire autre chose. On pourrait aussi bien dire qu’elle commence...
Mais quand tu vois le succès de Lacan, lui au contraire c’est l’homme incurable, l’ensemble... il serait d’accord que l’on ne peut pas penser l’homme nouveau parce que cela vous mène au désastre mais c’est parce que d’une certaine manière c’est l’inverse du faire confiance, chez Lacan le sûr est toujours pire... le pire est toujours sûr... et le sûr est toujours pire aussi...
Plus pire que ce qu’on croyait et toujours sûr. Donc ils acceptent un certain type de désenchantement à la limite du cynisme... De la même manière les sociologues parlant de l’opinion, les pédagogues parlant des élèves... c’est cela qu’on enseigne.
Oui, d’accord mais si Lacan a été extraordinairement vivifiant, extraordinairement lumineux... il n’était tout de même pas très "jamessien"... Au contraire, et c’est lui qui a eu du succès et pas James... James a été non compris absolument et Lacan a été trop bien compris...