Question 36 Oui, oui la réponse est claire.
C’est le gros problème des Droits de l’Homme, le problème de forme de pensée de l’espèce mais qui ne serait pas au niveau de la nature de cette espèce.
Alors c’est là où je retrouve chez James avec plaisir que le passé est ce qu’il est et qu’il ne me permet de rien fonder du tout : c’est le futur qui est fondateur.
Quand je pense que tout le monde regarde son passé en se justifiant ou en se pénalisant parce qu’il n’est pas ce qu’il aurait du être par rapport à ses rêves. Et qu’ils ne comprennent pas qu’ils perdent leur vie à regarder derrière et à ne pas construire, comme James dit, au niveau des futurs possibles puisque c’est pas un futur. On a un seul passé, il est ce qu’il est, il est incritiquable, parce que quoi qu’il soit arrivé dans ce passé, une fois qu’il a été fait on est absout de toutes responsabilités.
Je ne sais pas si je t’ai déjà exprimé cela et je n’ai jamais senti un écho chez toi...
Cela veut dire pour moi que l’on est irresponsable de tout ce que l’on fait, de tout ce que l’on pense au niveau de tout son comportement mais que la responsabilité de tous se situe au niveau de l’analyse de la connaissance plus ou moins parfaite des possibilités qui nous habitent. Savoir enfin que ce n’est pas nous qui sommes maîtres des idées qui nous habitent mais que se sont les idées qui sont maîtres de nous, qui est bien dit chez James enfin mais qu’on ne trouve pas cela chez Kant ou ailleurs.
Et l’idée qu’au niveau de ce qui s’est fait je suis irresponsable, l’autre est irresponsable, il n’y a pas de sujet, de morale, de discussion, d’analyse... c’est toujours trop tard, c’est toujours fini.
Par contre, de nouveau, James c’est le futur.
Alors la question c’est que une pensée comme celle de James, il n’est pas le seul, il a été amené par des tas de gens, mais qui est certainement aussi loin de la tentative de Kant et quand on s’aperçoit à quel point des gens comme Kant pouvaient être racistes dès qu’ils parlaient d’autre chose que de leurs théories.
Et j’ai vu dernièrement qu’au début de ce siècle, les plus grands chercheurs au niveau des comportements des animaux avaient tous considéré que le paresseux était un animal que Dieu n’aurait pas du créer tellement c’était un animal idiot, lent, imbécile etc. Ce n’est qu’assez dernièrement que l’on a découvert à quel point le comportement du paresseux était une chose tout à fait génial à son niveau à lui.
Et bien au début de ce siècle cela n’existait pas, c’est-à-dire qu’il y avait une vue d’ensemble qui était masculine bien entendu parce que l’on avait écarté les femmes, les enfants et les animaux encore bien plus et que la vue était la vue du bon sens général mais aussi bien celui de mon grand-père qui allait au Congo belge, qui était considéré comme un colonialiste mais un colonialiste d’une pureté totale, il pensait qu’il fallait faire des écoles, qu’ils cessent de se manger entre eux, qu’ils cessent de grimper aux arbres...
Il y a l’ensemble d’une façon de penser qui amène le comportement chez ceux qui nous paraissaient les plus intelligents. Je ne dis pas que James est plus intelligent ou moins intelligent que Kant, cela ne veut rien dire, je dis simplement qu’il fait partie, il me semble, d’une autre organisation dans laquelle on ne peut plus penser comme avant. On a le droit de penser comme avant mais on ne le peut plus si on est bien informé de cette évolution.
Donc il y a actuellement un certain nombre de façons de penser que si on les a pris en compte par le hasard des choses, par le hasard de sa propre histoire, et bien on modifie ce que l’on faisait la veille par rapport au lendemain ou bien, au contraire, on modifie lentement un comportement...
Donc quelle différence ? Cela fait une différence profonde. Se référer aux ancêtres en disant ils étaient remplis de sagesse, ils savaient comment il faut faire... c’était vrai. Maintenant cela pose un problème en sens qu’à ce moment là : refermons les Droits de l’homme, battons-nous pour nos cultures parce qu’elles sont plus valables que les autres... et cela n’est pas payant.
Alors quelle est la différence entre "faire confiance" et "croire" parce que alors de nouveau James des pages entières sur justement cette... croire, c’est-à-dire que si on ne croit pas alors on s’effondre, enfin c’est terminé, on croit que l’escalier va vous soutenir mais on croit tout, on croit l’autre etc. Donc ce n’est pas "je te fais confiance", c’est "j’ai confiance".
Il est évident que James, et mieux que tout autre au monde jusqu’à présent, a fait ce déplacement de la foi d’un Dieu que l’on honore etc. etc. dans la foi dans l’existence, dans la joie d’être au monde... je n’ai jamais vu cela à ce point là, pas chez Deleuze non plus. Cela c’est vraiment la quintessence de ce déplacement.
On a considéré qu’il fallait un Dieu, des dieux, qui puissent expliquer le monde, qui puissent donner un sens à notre réalité, à notre passage dans le monde. Et il a simplement tout laissé partir tranquillement avec ce mot : "confiance dans la vie". Et c’est tellement proche de la religion en définitive parce que quand on voit qu’il a pataugé un jour c’est vers... il s’est raccroché à des versets - comme on se raccroche à n’importe quoi, mais c’est tout de même à des versets qu’il s’est raccroché. Donc il a fait cette transposition de toute cette foi qui a duré je ne sais combien de millénaires dans une actualité qui se rapproche de Daniel au niveau de justement ce qu’il appelle l’improvisation, la joie de vivre, l’inconnu, de ce qui peut arriver etc. etc.
Donc toute cette question là, tu es bien d’accord sur la confiance.
Question 38 Donc là le mot improviser est pris dans le même sens que Daniel, je suppose. Force à... inventer des situations. Comment la relation entre forcer et improviser ?
Mais pour moi, force non, c’est une conséquence, ils ne sont pas forcés... Si quelqu’un est malade, il reste sans bouger mais dans cette circonstance qu’il ne connaît justement pas ailleurs et qu’il ne peut pas reproduire ailleurs, donc de l’autre côté du miroir, dans cette circonstance de l’autre côté du miroir, il est autre de ce qu’il était et il se met à inventer des situations.
I.S. Oui mais "forcer" il ne faut pas le prendre au sens caricatural, c’est plutôt l’occasion de dire qu’il ne s’agit pas d’une "libre expression"...
Question 39 On en a parlé beaucoup au début.
Question 40 Ici, j’ai envie de dire que cela passe au contraire par ce que l’on a appelé la "belle sonorité" traditionnelle...
Le solfège, cela permet d’être avec ou d’être sans, cela libère de la servitude du solfège. Mais cela passe par l’amour de l’instrument au contraire.
C’est à dire que les enfants ont une relation physique avec l’instrument, ils aiment cet instrument ou cet autre, et le violon est typique de cette relation amoureuse entre le violon et celui qui porte le violon, qui le tient dans ses bras etc. Donc je crois qu’il y a une relation, un amour de l’instrument qui est au niveau de la rencontre, de cette affinité, avec ce bout de bois qui a des trous et qui fait du son, on devrait retrouver l’amour de la poupée que l’on fait vivre par une relation affectueuse.
Est-il un renoncement ? Il n’y a aucune raison de renoncer à tout ce que l’on a pu amener.
La parenthèse historique, l’ouverture... non, je pense que cela appartient si tu veux à ce changement cagien qui permet...
Bon il est évident que l’œuvre d’art avait de bonnes raisons d’être mais elle a eu à un moment donné cette ambition - et je pense que cela a commencé avec Beethoven - de faire un message au monde.
La vue de Beethoven sur la politique, son attraction pour l’Orient etc. ont amené Beethoven à dire : "cela c’est pas bien, cela c’est bien et ma musique doit témoigner de cela". Donc à partir de là en occident toute musique a pris sur elle de témoigner de sa certitude de sa position dans le monde qui est au fond prendre la place... Dieu s’exprime mal ou s’exprime peu donc nous allons prendre la place de Dieu et nous allons expliquer le monde ou en tous cas dire comment il faut agir moralement dans ce monde.
Je crois qu’ils ont fait involontairement quelque chose de beaucoup plus dangereux : c’est qu’ils ont parlé au nom de l’espèce.
C’est à dire qu’ils étaient tellement convaincus d’avoir raison - et ils avaient souvent raison, surtout des gens comme Beethoven, ce n’était pas des gens qui cherchaient uniquement à s’enrichir - qu’ils ont senti cette possibilité à travers l’art que cela soit au-dessus de toutes les différences culturelles des autres - c’était assez facile à l’époque puisqu’on ignorait ce qui se passait ailleurs, enfin on ne connaissait pas tellement l’art ou on le méprisait.
Mais ils ont parlé pour le global tandis qu’il est évident que l’on ne peut jamais parler que pour le local. Donc ils sont passés à quelque chose qui quelque part ressemble aux Droits de l’homme, c’est le droit de s’exprimer dans une oeuvre assez forte pour que celui qui ne l’a considère pas comme forte est un con, est un déchet. Convaincu que cette oeuvre porte la charge de parler du monde, de la vue du monde, partant d’un individu mais qui parle pour tous les autres.
Alors c’est assez inquiétant parce que l’on se retrouve dans la même erreur historique que le siècle des Lumières puisque la science va permettre de tout expliquer, puisque nous pouvons maîtriser le tout à travers une oeuvre d’art cette oeuvre est donc valable pour l’espèce. On se retrouve avec l’ancien truc, le quiproquo est extrêmement dangereux parce qu’il bafoue toutes les différences.
Alors maintenant, heureusement, les choses tout de même changent, notamment la médecine qui commence à comprendre que beaucoup de choses peuvent se faire en dehors de cette vue scientifique. Et que justement l’échec de ces oeuvres qui pouvaient parler au nom de l’espèce est l’échec d’un système, il fait partie de tout un système, c’était logique qu’on l’ait pris puisque c’était logique ailleurs mais c’était absolument monstrueux puisque cela bafoue la différence... la différence de chaque enfant que l’on voit dans l’atelier, qui est porteur d’une autre histoire et qui n’a pas de comparaison possible.
C’est quelle question cela ? La 41, tu viens de dire...
Alors un avenir sans ce type d’œuvres comme productions nouvelles, on est déjà dedans.
Il n’y a pratiquement plus d’œuvres nouvelles qui ont valeur au niveau de l’espèce, on est au contraire dans la reconnaissance.
La dernière en date, c’est la reconnaissance des Aborigènes : tout le monde s’extasie sur leurs dessins, sur leurs peintures parce qu’on les a tellement méprisés, on les a tellement mis en dessous que maintenant on transporte dans le monde entier des expositions de leurs peintures... comme si elles allaient nous apprendre quelque chose.
Elles vont nous apprendre quelque chose sur la différence mais elles ne vont pas nous en apprendre au niveau de l’espèce.
Donc il y a quelque chose qui est un quiproquo entre une pensée qui a valeur au niveau de l’espèce - comme beaucoup de gens ont pensé également de l’époque colonialiste : mais cela a valeur pour l’espèce d’avoir des écoles, des médecins etc. - et l’œuvre d’art.
Maintenant faut-il avoir peur que cela ne soit plus comme cela ? Oui, si on regrette une certaine époque, qui n’est pas si éblouissante qu’elle en a l’air... beaucoup de gens ont la nostalgie de cette époque ancienne "où tout était tellement beau". Beau oui, parce qu’on l’a récupéré comme beau et puis beau sur le dos des autres et sur le dos de tas de gens.
Donc il est évident qu’il y a une chose très intéressante : c’est que chaque enfant produit une organisation musicale propre à lui et qui lui appartient comme une carte d’identité... qui fait qu’elle ne peut exister chez quelqu’un d’autre.
Pourquoi ? Je pense qu’il y a une double explication, c’est que d’abord l’enfant n’ayant pas de modèle, n’essayant pas de reproduire quelque chose, y va ; y va soit dans le Tohu-bohu, soit dans une certaine organisation d’une certaine connaissance de l’instrument, mais il y va avec sa motricité, avec un plaisir de joie de vivre mais qui est encore très proche d’un état qui n’est pas... culturel dans le sens de Court.
Alors je pense qu’il y a une deuxième explication c’est que justement si cette musique fait un sens pour certaines personnes comme Herman Sabbe, moi, d’autres. Quel est notre rapport avec cette musique ?
Pour moi, c’est d’abord le rapport de libération par rapport à la musique de Debussy, Beethoven etc.
Je me sens libre en écoutant cette musique parce que cette musique ne va pas me prendre et pourtant elle me capte...
Pourquoi me capte-t-elle ? Je ne le sais pas très bien, je pense que nous sommes devant des agrégats donc des formes d’assemblages hétérogènes - c’est comme cela que l’on dit ? - de trucs qui ne vont pas ensemble, qui ne sont pas reliés par un processus décrit dans l’histoire de la tradition et pourtant sont agrégats, sont mis ensemble à travers cet enfant.
Je crois également qu’une des choses dont il faut tenir compte c’est que toutes les oeuvres de la tradition qui sont des oeuvres d’adultes organisés qui ont pris le sens de ce qui est cohérent à cette époque là, ce sont des oeuvres d’homme généralement, les exceptions sont... on peut ne pas en parler - qui reculent leur mort en voulant créer un quelque chose qui les dépassera. La plupart des compositeurs l’ont dit : "mon temps viendra, je serai peut-être mort mais on me reconnaîtra".
L’enfant n’a pas du tout ce problème, il n’a pas un problème face à la mort, donc face au temps. Alors là, je me réfère à Jeanne Hersch qui disait que les oiseaux ne font pas de musique, il n’y a pas d’organisation musicale dans le chant des oiseaux. Elle dit c’est peut-être quelque chose d’avant qui restera après l’éternité... Mais c’est quelque chose qui n’est pas de la musique.
Alors je pose la question : cette organisation d’agrégats des enfants est-ce que c’est de la musique ou est-ce que ce n’en est pas ? Ce ne sont pas des oiseaux donc ils me semblent qu’ils ont introduit... non plutôt ils n’ont pas introduit dans leurs organisations sonores la notion de temps au niveau de sa position par rapport à son futur ou par rapport justement à la peur de l’être humain de mourir.
Alors est-ce que la leçon d’enfant ici n’est pas que la peur de la mort qui a habité l’être humain et surtout les artistes n’était-elle pas un quiproquo complètement saugrenu ? Puisque l’on ne peut pas avoir l’expérience de la mort puisqu’on ne la vit pas deux fois et qu’à partir de ce moment là elle est bénéfique aussi bien au niveau de l’espèce qui permet de transmettre autre chose du point de vue de la circulation des gènes, mais elle permet surtout de rendre intéressant le futur parce que si on savait tout ce qui allait arriver ou si on était éternel comme Jeanne Hersch le dit on s’emmerderait comme ce n’est pas possible.
Donc je pense qu’il y a là chez les enfants un quelque chose qui n’est pas dans cette musique. Et donc justement ce n’est pas étonnant que l’on appelle cela incohérent puisque l’on n’y trouve pas la cohérence de ce qui a été mis ensemble au niveau de l’histoire d’une humanité qui a voulu mettre de l’ordre dans la musique, les règles de mariage, la nourriture, donc partout. Donc on se trouve là dans une situation... imprévue.