Méthode Thys

HT07

Question 23 Le mot thérapie me dérange... il se passe quelque chose qui provoque une modification... Il y a d’autres formes de thérapies qui provoquent des modifications... le mot thérapie est très violent...

On l’a pris comme cela, c’était une question provok...

Question 24 ; Question 25 ; Question 26 ; Question 27 ; Question 28 On en a parlé...

Question 29 Oui, ne menant nulle part et pourtant...

Donc on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de mener quelque part mais ce quelque part est en divorce complet avec une certaine tradition par rapport à ce que l’on appelait "mener quelque part".

Mais je dirais au contraire, et là je me rattache à Daniel Stern, cela mène profondément... le souhait c’est que cela mène à un quelque part qui est bien décrit alors par Daniel dans ses utopies ou dans ses projets de réalité différente. Etre heureux dans son travail, inventer dans chaque situation un quelque chose qui fait que la vie est comme un jeu, comme dans la relation entre la mère et l’enfant bien qu’il soit évident que le jeu n’est pas le même.

Question 30 On l’a dit.

Question 31 Par rapport à Cage c’est de la musique, par rapport à une certaine tradition : non. (En chœur) Attends, c’était : quel est l’enjeu ?

L’enjeu c’est : où se place-t-on ?

Et cela je suis très heureux qu’il y ait une discussion qui ne soit pas de face à face avec Marc Hérouet. Parce que c’est lui qui m’a entraîné hier entendre ce compositeur et quand je lui ai dit ce que je pensais il m’a semblé très loin de moi et c’est très curieux.

Il m’a semblé - je lui ai dit ici - que tout ce qu’il a de politique - parce qu’il est très politique au sens justement des Droits de l’homme, des comportements dans lesquels il implique une partie de son temps énorme - que c’est pour lui un dossier différent que le dossier du phénomène sonore. Et que au niveau de ce compositeur qui était par ailleurs excellent, il n’a pas comme moi, à tort ou à raison, cette sensation que l’histoire s’est retournée, ce renversement - je ne trouve pas le terme exact - mais enfin cette notion du tournant de l’Histoire d’Heidegger ou de Cage, semble pour lui exister - parce qu’il connaît très bien Cage, il fait même une musique très proche de Cage - pour lui, cette césure n’est pas importante, n’aurait pas de conséquence ailleurs.

Tandis que pour moi, au contraire, cette césure permet de construire ou d’espérer ou d’imaginer autre chose, sinon c’est simplement la poursuite de tout ce que l’on connaît avec toutes les difficultés que l’on connaît. Pour moi c’est donc au contraire le centre même du problème et en tous cas hier dans une petite conversation trop rapide cela semblait ne pas faire partie du sujet.

Question 32 Nous héritons d’une histoire qui a mis en question tout en renforçant le tout, c’est-à-dire que la société a mis en question - peut-être d’ailleurs pour des raisons de découvertes, d’enrichissement de curiosité de l’enfant - aller toujours découvrir des territoires inconnus, des terres inconnues, des sons inconnus...

Donc là je suis très proche de Jeanne Hersch, l’occident qui a inventé toutes ces formes de musique, polyphonie, musique contemporaine, n’était pas poussé par le désir nombriliste du compositeur de dire : "moi, j’ai fait ce que personne, jamais, n’avait fait" - cela se trouve plutôt au début de ce siècle. Mais il a été poussé par une curiosité propre à l’humain.

Et elle part d’un principe qui me fascine : cette période est révolue parce que l’on sait que l’on peut tout faire au niveau de la musique sans s’opposer au niveau de l’héritage ni le poursuivre. Donc il y a là une sorte d’ouverture stupéfiante...

Et ce qui s’est passé en occident amène une nouvelle génération de jeunes à construire une autre musique qui peut être en elle-même un rempart ou une protection contre l’horreur. Compte tenu que l’on rejoint ici l’idée de ce linguiste... son nom m’échappe... c’est lui qui a soulevé la question de Schubert au camp de concentration... Steiner...oui... parce que votre question est ambiguë : est-ce qu’elle porte sur les orchestres qui ont existé dans les camps comme tentative de faire de la musique des prisonniers ou est-ce qu’elle porte sur l’idée de Steiner sur le tortionnaire qui écoutait chez lui la musique de Schubert avec autant de connaissance, de pureté etc. donc la culture n’a pas formé de rempart contre... est-ce que c’est cette idée là ?

D.D. Ce n’est pas cette idée là, c’est les images de ces orchestres sélectionnés parmi les prisonniers défilant à l’intérieur des camps...

Il y a quelque chose de mystérieux, il semblerait que les gens qui aimaient, qui connaissaient la musique ont eu, en pourcentage, plus de chance, survivaient, avaient plus la vie sauve que les autres... d’une part parce que cela constituait une force chez eux et d’autre part parce que les nazis reconnaissaient une "étrangéité" à laquelle ils donnaient un certain crédit. Cela ne les a pas tous sauvés...

Il y a ce livre qui vient de sortir de ce violoncelliste qui a fait partie d’un orchestre dans un camp et qui a survécu, qui décrit tout cela. Je crois qu’effectivement la musique pour ceux qui savaient en faire - que se soit Messian ou d’autres - était un rempart, le dernier rempart pour échapper à la situation donc le rêve, état d’éveil paradoxal en faisant de la musique, c’est un peu comme le rêve, à ce moment là on reculait devant les événements qui étaient ceux que les gens vivaient.

I.S. Oui, peut-être mais quand on fait partie d’un orchestre voulu par les S.S...

Je ne pense pas qu’il y avait... je ne vois pas un orchestre voulu par les nazis et qui ne soit pas accepté par ceux qui étaient capables d’en jouer parce que ceux qui ont un instrument et qui ont appris un instrument, c’est leur vie d’en jouer si tu veux quelque part.

Donc le contrat était monstrueux... mais ils ne savaient pas y échapper c’est à dire qu’ils étaient coincés parce qu’ils avaient appris à jouer de la musique et par ce temps en musique, c’est à dire que si ils jouaient au bénéfice des nazis pendant que les autres rentraient dans le camp : impossible de savoir ce qui se passait dans les cerveaux mais ce n’était pas de la soumission pure et simple etc. Donc les choses sont trop compliquées au niveau...

Mais si Steiner a merveilleusement décrit le fait que nous ne pouvons plus croire que les valeurs humaines sont un rempart au dérapage, il n’a pas été plus loin, il a continué à être un homme du vingtième siècle, du dix-neuvième siècle, et imbibé de toutes les valeurs qui ont fait...

C’est une chose étrange parce qu’il flirte sans arrêt avec une autre façon de penser où pour un rien il pourrait accepter de reconnaître d’autres valeurs qui sont totalement différentes de celles que l’on a eu, mais qui sont sans doute des valeurs qui ont provoqué les grandes valeurs - que l’on a reconnues, mais qui sont simplement dispersées de telle façon qu’on ne les voit plus pour finir.

Alors dans ce que Steiner a... on retrouve Hannah Arendt également, on retrouve le fait que toutes valeurs sur lesquelles on se construit ne sont qu’un racisme puisqu’elles permettent de dire "l’autre, je le tue", puisqu’il ne les possède pas ou en tous les cas il ne les possède pas comme moi.

Question 33 On a répondu...

Question 34 On a répondu...

I.S. La singularité du sonore par rapport au visuel... tu disais justement que "la toile blanche" avait éveillé beaucoup moins de scandale... les aventures de la peinture mettant en question tous les modes de figurations... avaient beaucoup moins suscité de scandales que Cage... que les sanctions que l’on pourrait mettre en parallèle entre l’histoire de la danse, de la peinture et l’histoire de la musique, c’est tout de même dans l’histoire de la musique...

Cela c’est la question de la spécificité de l’histoire de la musique...

Voilà, dans un article que j’ai écrit il y a peu de temps, je tâche de définir cette spécificité par rapport... les dessins d’enfants par rapport aux sons des enfants.

Je constate que des enfants entre deux et cinq ans produisent des dessins... qui sont généralement repris en compte par les parents, par tout le milieu, comme étant des choses de grande valeur dans lesquelles on croit déceler...

En ce qui concerne le sonore, tous les parents s’attendrissent devant le babil des enfants et après cela si cela n’a pas de sens on leur dit : "tais-toi, cela n’a aucun intérêt"...

Donc tout ce qui est peinture et dessin éveille la fierté des parents, tout est pris en compte par des gens qui font des recherches. Tout ce qui est sonore les déshonore parce qu’ils n’ont pas pu reproduire le petit Mozart parce qu’ils ont quatre ou cinq ans, et n’intéressent pas les scientifiques parce que cela n’est pas cohérent - comme dit Khun - donc cela fait partie des fous.

Alors j’en arrivais justement à dire que le tournant c’était qu’il fallait en arriver à prendre en compte aussi bien le sonore que le visuel.

Mais que le sonore est allé dans une direction où tous les "gens normaux" hurlent de rage, de terreur : le blasphème, la destruction... c’est pas par hasard ces mots-là. Est-ce que c’est lui qui a écrit ces mots ou bien quelqu’un d’autre ? Mais enfin il a du les voir, il doit être motivé tout de même pour que dans un livre, sous son nom, une telle attaque... de Cage passe.

En plus de cela des gens comme Ferry et lui ont pu prendre connaissance assez facilement de l’évolution de l’histoire de l’art, de la peinture - ce n’est pas très difficile : on fait quelques musées, on a des livres chez soi, ce n’est pas très difficile de sentir cette évolution qui est d’ailleurs reprise par la publicité, par la télévision, par toutes sortes de médias. Dans ces maisons on n’est pas affolé à l’idée qu’il y a des taches de couleur sur un mur, il n’y a personne qui hurle.

La personne qui n’adore pas cela, elle se met automatiquement à distance mais quand elle entre dans un lieu où c’est de la musique de Cage : il n’y a pas de mise à distance, c’est tout aussi prenant que si on lui mettait en bouche des choses qu’elle n’aime pas… C’est dans les oreilles mais le réflexe de dégoût, le réflexe de nausée appartient au cerveau que ce soit dans la bouche, dans les oreilles mais pas dans le regard - le regard : on ferme les yeux, on se distancie...

En plus que cela, donc je fais allusion à l’histoire de l’évolution de la peinture a été comprise par des gens comme Ferry, Attali comme étant la destruction des règles précédentes comme par exemple "ceci n’est pas une pipe" ou bien les Magritte ou bien tout ce que l’on veut, les règles de la belle peinture ou bien l’apparition des boîtes de conserve, des motocyclettes déchiquetées et des pages vides.

La spécificité de la musique est tout autre, il n’y a pas de page vide, il n’y a pas de possibilité de faire entendre du silence à qui que se soit et il y a un refus de toute la société d’évoluer par rapport à cette évolution du monde sonore décrite d’abord par Heidegger. Refus parce qu’il est commercial, toutes les salles de concert continuent sur les rentrées financières qui sont le beau Beethoven, la dernière version de Beethoven etc.

Donc la force et la faiblesse de la musique de Cage c’est que l’on devient "cagien" et que l’on se fait un monde sonore qui est le vôtre et chacun pour soi, et qu’il est ignoré des intellectuels qui n’en n’ont pas connaissance bien entendu, ils croient simplement qu’il y a une évolution dans le comportement des gens. Mais ils ne sentent pas que c’est une ouverture à la transformation musicale.

Au niveau du graphique tout est lié, tout est relié à la propriété, à l’argent : on fait un trou quelque part, on le photographie, le trou a disparu parce que la mer a monté mais on revend les photographies etc.

Donc il n’y a plus de problème, on a pu continuer comme auparavant malgré le message que donnaient certaines personnes : "cela ne peut plus être comme avant"... "Ceci n’est pas une pipe" ou d’autres, donc "nous ne pouvons plus faire comme avant".

Et tout s’est produit comme si ils n’avaient rien dit, ils ont été récupérés, cela vaut des centaines de millions, il n’y a pas de problèmes.

Le problème est profondément Ferry, Attali qui ne savent pas de quoi ils parlent. Quand Ferry fait Homo... je ne sais pas de quoi, son dernier livre, il est merveilleusement informé sur beaucoup de choses, dès qu’il se met à parler de peinture on voit qu’il a beaucoup lu, en musique : rien. Il n’a rien écouté… cela vous prend beaucoup de temps, cela vous modifie, ce n’est pas facile à ingurgiter au début etc.

D.D. Hervé, juste une question : tu connais un peu le travail de Beuys ?

Non, pas du tout. Un musicien ou un plasticien ? Un plasticien...

Non, mais toutes ces questions qu’ils posent sont des questions qui sont tout de même de décoloniser le comportement de tout le monde qui doit avoir sa bonne fonction pour que les rouages, la montre fonctionne... tu as vu dernièrement aux Etats-Unis, pour je ne sais pas quelle somme, dès que tu arrives, il y a vingt journalistes qui te photographient, tu es considéré pendant quelques heures comme une très grande vedette... les gens se précipitent pour le faire et pourquoi pas ? Quand on va voir un Walt Disney... c’est faux, c’est pas plus faux qu’ailleurs.

Ce que je veux dire c’est que là il y a quelque chose qui continue comme avant : c’est typiquement les festivals Ars Musica, presque tous les Conservatoires à l’exception des Conservatoires qui se sont rendu compte politiquement qu’ils n’avaient plus le droit et qu’il fallait modifier leur comportement sous peine de ne plus recevoir de subsides, d’argent de l’état.

Et au niveau de la créativité on est déjà passé ailleurs dans peut-être une majorité des gens qui continuent à avoir les mêmes pulsions qu’avant et qui continuent à avoir envie de s’exprimer. La seule chose que l’on ne connaît pas c’est comment la valeur marchande va se faire ?

Au niveau de la valeur d’échange il n’y a pas de doute, il n’y a pas de problème. Cage est une valeur d’échange sociale, qui reconnaît au contraire la différence de chacun ; ce n’est peut-être pas une valeur marchande.

Donc là on se trouve dans une situation où comment les valeurs marchandes, les valeurs financières qui sont tout de même les seules valeurs internationales, comment vont-elles se situer face à une créativité d’un autre genre ?

En tous cas il est certain, on peut dire que tout va très bien : les compact-disques sur Beethoven s’effondrent, il n’y a plus personne qui les écoute, on ne peut plus vendre une seul symphonie de Beethoven. Karajan a tout exploité, c’est invendable. On vend encore beaucoup de baroque parce que bon il y a eu une mode baroque, et on commence à vendre beaucoup de musique contemporaine... des gens qui écoutent par curiosité.

Mais le Cage à mon avis n’est pas vendable parce que alors on le vit, chacun pour soi, dans une autre relation.

Question 35 On peut la sauter ?

I.S. Si tu veux, mais c’était une question plus anthropologique : dans de nombreuses cultures du monde la thérapie fait appel au sonore, les rythmes, l’intervention des djinns, la négociation avec les mondes autres...

Toutes les notions de transe etc.

Bien entendu, mais enfin le sonore vous meut avant toute chose… et vous émeut plus que toute chose etc. Enfin bon, cela c’est clair….

C’est un grand sujet la thérapie parce qu’il faut prendre toutes sortes de sociétés et voir comment ils ont utilisé leur sonore mais toujours, partout, je dis que l’on se retrouve avec la même règle que Ruet et que Court : une mise en ordre de ce qui est cohérent. Ce qui ne faisait pas partie de cela pour chaque culture était simplement une culture de fou. Donc on ne le prenait pas en compte.

La thérapie c’est un peu la même chose, la thérapie est basée sur des règles bien précises et les thérapeutes, les musico-thérapeutes depuis trente/quarante ans ont tenté avec du Ravel etc. de guérir des maladies.

Depuis une dizaine d’années ils sont beaucoup plus malins du point de vue financier en ce sens qu’ils ont été chercher dans le post-freudisme et dans le "lacanisme" tout ce qui leur permettait de vivre au niveau du sonore pour imposer le bon comportement ou pour sortir de ce que l’on appelle la maladie. Donc ils ont compris qu’ils n’étaient pas crédibles au niveau de la musique traditionnelle et donc ils sont entrés d’une part dans l’improvisation où ils laissent faire aux patients ce qu’ils veulent et dans l’analyse psychanalytique de ce qui se passe pour pouvoir parler, tu comprends sinon... sinon on ne peut pas parler.

C’est pour cela que je suis toujours mal à l’aise dans des questions comme cela.

I.S. Oui, oui mais c’était simplement une manière de prolonger la singularité du sonore par rapport au visuel, l’action du musical sur le corps... Oui, mais alors là c’est très riche dans le passé et dans l’actuel...