Méthode Thys

HT06

On peut ne pas le faire ; si on le fait, on ne peut pas l’abîmer. Et je pense que sa robustesse tient à ce que, une fois que l’on est sorti de là, on ne peut pas le détricoter.

D.D. Mais je me rappelle qu’une fois tu racontais qu’une des difficultés que tu as eu avec une animatrice, c’était que trouver des gens pour appliquer les règles cela se trouve mais que de trouver des gens capables d’improviser avec les règles, cela c’est plus difficile. L’exemple que tu prenais à l’époque c’était : la règle est de ne pas intervenir, or il m’est arrivé plusieurs fois d’intervenir...

Tu as raison, j’ai soulevé la question. C’est que

indépendamment des règles, il y a des choses qui ne peuvent pas être mises en règles, on ne peut pas savoir à l’avance ce qui va se passer.

Et la chose la plus évidente c’est que à partir du moment où les enfants ont la possibilité de jouer ou de ne pas jouer en dehors des Tohu-bohu, à partir du moment où ils peuvent jouer trois minutes ou dix secondes, on ne peut savoir à l’avance par des règles comment vont se disposer le temps du Tohu-bohu, le temps de l’improvisation, les temps de silence, les temps de production collectives et personnelles, on ne peut pas le définir à l’avance.

Donc il est évident qu’il y a une certaine sensibilité de la personne qui est responsable pour savoir à quel moment elle fait silence, à quel moment elle intervient. Au début pendant des années, j’ai attaché beaucoup d’importance à toutes sortes de chose, et je m’aperçois que c’est absolument de l’affolement inutile. Il n’y a aucun danger, on peut faire ce que l’on veut, les enfants sont d’un résistant pas croyable.

Et tout ce que j’avais comme sensibilité en disant : "et pourquoi est-ce qu’elle arrête à ce moment-ci, c’était si beau, il fallait arrêter à tel moment"... C’était tout à fait personnel, et cela n’a aucun poids, aucun intérêt.

Donc là je suis beaucoup plus tranquille que je n’aurai été il y a ne fut-ce qu’un an... ne fut-ce qu’un an. Ce qui arrive au Conservatoire de Charleroi me tranquillise énormément sur le possibilités de confrontation entre la personne qu’il ne fallait pas mettre comme animatrice et tous les dangers que l’on courrait au niveau des enfants.

Question 16 Oui bien entendu si le mot composition est pris dans le sens "cagien", non si il est pris dans le sens du travail d’un Dusapin, d’une "oeuvre sérieuse".

Question 17 Le "jeu de la fable" qui d’ailleurs est un échec au niveau des enfants de six ans qui ne savent pas lire et que la tentative que le professeur a faite de leur apprendre à mémoriser ne fut-ce que le début de la fable, les a figés dans le bon modèle qui est celui qu’elle a donné, ce qui fait qu’il n’y a plus moyen de les amener...

On fait l’expérience de les laisser tranquilles pendant deux séances pour voir si après cela pourrait aller mieux... mais aucune invention possible, ce ne sont plus des enfants, ce sont des reproducteurs qui reproduisent des textes qu’on leur a appris.

Donc on va commencer avec des pictogrammes, on va commencer avec des enfants de six ans avec d’autres tentatives au niveau de dessins qui pourraient les amener à utiliser leur voix dans le sens du "sprechsgesang" qui n’est pas le chant et qui n’est pas le parler.

Mais s’est ouverte également cette idée que ce que l’on appelle "interprétation" dans la tradition et actuellement il faut plus ou moins maîtriser sa voix au niveau des mots que l’on emploie pour avoir une signification pour l’autre. Mais dans toute la tradition il y a également tout un comportement au niveau de l’interprétation de cet instrument qu’est la voix.

D’abord je me suis rendu compte que les enfants n’interprétaient jamais leur projet ; ce projet prend une énorme importance à leurs yeux, et ils tâchent à tout prix de nous le faire connaître en utilisant un instrument de la façon la plus précise possible par rapport au projet qu’ils ont fait avant.

C’est pas de l’interprétation, l’interprétation c’est au contraire connaître l’instrument, avoir connu très souvent ce que l’on va dire et puis le dire comme les autres ne le disent pas, le dire de façon à intéresser les autres, les mots plus ou moins forts, plus ou moins lents. La tradition n’a pas de problème.

J’étais très frappé, j’ai enregistré mon amie Jeanne Hersch sur mon répondeur et j’entends : "ici, c’est Jeanne Hersch, qui vous téléphone... de Genève, je voudrais", et puis elle continue. Mais c’est... on a maître Corbeau... où est-elle sur un arbre perché ? Non à Genève... donc on se trouve là avec quelque chose de très simple... elle interprétait chaque mot dans une tradition qu’on ne lui avait pas inculquée.

Bon, les enfants actuellement qu’est-ce que c’est pour eux que la tradition ? C’est la télévision, les "Spice Girls", tous les gens qui s’expriment de cette façon là, il n’y a plus rien qui corresponde à leur rythme, à leur lenteur, à leur envie de parler plus fort, moins fort... donc on revient à l’improvisation de Daniel, qui charme l’autre et qui en même temps vous donne une raison de vivre en interprétant etc.

Donc je me suis dit : "ils n’apprendront jamais le piano, ils ne sont pas là pour apprendre le maniement des instruments ; quel est l’instrument qu’ils connaissent plus ou moins ? c’est leur voix". Partons de leur voix pour ouvrir tout ce champ de l’interprétation, de ce ralentissement des mots, de tout ce que l’on peut faire qui est inimaginablement aussi important qu’avec une sonate de Beethoven. Et également tout ce que comporte la différence entre réciter/interpréter... donc arriver de nouveau pas à une notion que l’on enseigne mais une notion de terrain, après cela on leur dit : "tu vas lire. Oui, mais est-ce que j’interprète en même temps ?"

Je crois en plus de cela que on a peur de sa voix, parce que on l’assume difficilement parce qu’on ne la connaît jamais. Et que quand on la reconnaît à l’extérieur, on la maîtrise mal parce que l’on croit que ce n’est pas la sienne... Donc je crois qu’un enfant qui dès l’âge de cinq, six ans connaîtrait sa voix, l’utiliserait, il y aurait une force quelque part d’assumer cette voix.

J’ai fait quelques tentatives, mais elles ne sont pas encore pas poursuivies, avec le moniteur : qu’un enfant puisse se voir dans toute la situation sans arrêt. J’avais des enfants de douze ans qui avaient demandé pour pouvoir voir, j’ai essayé de faire des extraits pour ne pas leur dire qu’on gardait cela pour nous, je me suis aperçu que ces extraits étaient toujours impossibles parce qu’on ne pouvait pas leur montrer des heures.

Donc je me suis dis : "c’est bien simple, on va leur donner cela en continuité", mais alors du coup je suis tombé sur cet enfant, six ou cinq ans, qui ne s’était jamais vu dans un miroir... Et qui essayait de regarder son dos - comme on voit chez les primates - parce que il est évident que si il y avait eu chez lui un miroir sur pied, il n’aurait pas fait chez nous cette découverte des parties qu’il ne pouvait pas voir. Et puis quand son image quitte le moniteur, on voit l’enfant qui disparaît de ce miroir ce qui est naturellement criminel.

Donc j’ai envie de mettre et des glaces, des vrais miroirs, et des moniteurs simplement pour que l’enfant assume sa manière de marcher, sa manière de danser, sa manière de rire, que petit à petit il ne soit pas confronté avec, peut-être au niveau de la mode, au niveau de tout ce que tu veux dans la société, une image qui n’est pas conforme ni à sa morphologie, ni à ce qu’il peut faire.

Interruption…