Question 11 Je crois que l’on en a déjà parlé... cela induit un comportement autre face au monde donc automatiquement par voie de conséquence...
Mais ce comportement leur est arrivé mais ils n’ont pas eu de règles dans ce comportement, on ne leur a pas dit comment il fallait se modifier pour être mieux. Donc il n’y a pas de morale dans cette histoire là, il y a modification d’un comportement ; c’est à l’entourage de savoir si l’entourage est plus malheureux ou plus heureux, si c’est au bénéfice du bon poil...
Question 12 Oui, c’est-à-dire que les enfants sont baignés dans un monde d’adultes et ils ne sont pas dupes des jouets qu’on leur donne…
Ils ne sont pas dupes ils voient très bien que maman ne joue pas à la poupée, ils voient très bien que papa ne met pas deux petits trucs ensemble pendant des heures... Donc c’est notre monde à nous qu’ils essaient d’acquérir et je crois qu’il faut le donner immédiatement, je ne vois pas pourquoi il y aurait une barrière... en tous cas pas au niveau sonore.
Du point de vue de tout ce qui touche au langage... emmener un enfant voir une pièce de Shakespeare et encore, je ne crois pas que cela puisse leur faire du tort... mais bon, il n’est pas chez lui. Dans le monde sonore il est chez lui, surtout ce monde là.
I.S. Les petits enfants africains s’occupent de leur petit frère ou de leur petite sœur, dès l’âge de cinq ans ils ont un vrai bébé entre les bras... C’est évident.
Question 13 Cette question est très complexe pour y répondre facilement et je dirai qu’à partir du moment où on a des spécialistes comme Hermann Sabbe ou Marc Hérouet je leur laisse le soin de répondre si toutes ces questions de temps, de forme font partie de l’écriture musicale, de ce que l’on peut appeler l’écriture musicale.
Je crois que là aussi on est obligé de faire la distinction entre l’écriture telle qu’elle a été jusqu’à Bartok, jusqu’à une certaine époque - et poursuivie encore par certains - et puis une écriture musicale qui dès les années soixante ont essayé d’être ouvertes telles que Daniel Charles justement... la relation au monde sonore n’est plus une relation comme à une sculpture terminée... Donc difficile de répondre à cette question, je ne voudrais pas m’y aventurer.
Question 14 Je pense qu’elles sont inséparables, qu’elles sont comme les ingrédients d’un quelque chose qui fait que si on retire un des ingrédients tout le restant va se modifier.
Quand
au fond la tentative est extrêmement simple : c’est à travers une situation qui n’a pas été imaginée par les enfants et à partir de la confrontation au désordre, au Tohu-bohu ou au chaos, les amener avec les moyens du bord, qui sont également les moyens sociaux des rapports avec les autres, d’avoir une possibilité - je ne dis pas liberté, mais une possibilité - d’être amené à faire absolument, sans que l’on puisse les corriger, les améliorer, les juger, tout ce qui leur passe par la tête. Que cela soit du sévère, du sérieux, de l’amusant, nous n’avons pas à juger.
Cette tentative n’a pas de sens culturel au niveau de ce que l’on appelle les "belles cultures", ou les cultures qui nous ont portés jusqu’à présent. Il se peut que cela soit une reconnaissance pour l’enfant de sa différence aussi bien génétique que... culturelle.
C’est-à-dire qu’un enfant de six ans est déjà "culturisé" (même s’il ne sait pas reproduire ce qu’il aime dans la musique, ce que ses parents lui ont fait aimer) mais je pense qu’une partie de sa motricité est génétique... héritage. Quelle est la partie entre culture et génétique... c’est un beau débat mais de toutes façons sa différence ne fusse que morphologique, sa différence au niveau de son aspect est une différence qui appartient en tous cas en partie à l’hérédité. Et cette hérédité est donc prise en compte, reconnue par les autres puisqu’elle n’est pas jugée, elle est reconnue comme étant une des réalités de l’enfant.
Ce que l’enfant va faire, ce qu’il va être amené à faire... à quoi touchons-nous ?
De toutes façons nous ne touchons pas à un modèle avec la tentative de le reproduire. Et nous ne touchons pas à une culture qui a décidé que c’était cela qu’il fallait faire comme étant le mieux possible. Il n’y a plus de notion de mieux. Et on se retrouve avec la peur d’Attali : il y a n’importe quoi puisque tout le monde peut... avoir accès à la chose.
Bon ce n’importe quoi, on ne doit pas y croire non plus. On ne va pas le répéter le lendemain, le surlendemain, parce qu’il ne va mener à rien au niveau du social. Par contre si il n’est pas reconnu, si il est bafoué par le social - tu as fait le ridicule, tu as fait le con dans cette circonstance là - il tue l’individu, là où l’individu sent très bien qu’il n’est pas comme les autres, parce qu’il n’est pas comme les autres et qu’il est étranger aux autres justement.
Donc là la tentative au niveau du sonore, cela serait que les enfants, mais aussi les adultes, l’ensemble, reconnaîtraient qu’il s’agit d’une situation qui ne se trouve pas dans l’enseignement : on ne se trouve pas dans la classe, il n’y a aucune classe, on a échappé à l’enseignement. Il n’y a pas de modèle, il n’y a pas de jugement et il n’y a pas de : "il faut arriver au moins à cela", chacun arrive là où il peut arriver. Et donc il y a une reconnaissance de la situation qui est celle-là -sans aucun jugement.
Ce n’est, comme tu l’as dit, ni la cour de récréation avec ses lois qui sont justement le chaos total où rien ne peut se passer comme organisation, mais ce n’est pas l’enseignement avec toutes ses règles où l’on sait ce qui est bon pour les autres.
Donc c’est un troisième lieu, un peu étrange puisqu’il est... je ne vois pas de comparaison, là où il n’y a pas de modèle, pas de jugement, on échappe à une tradition et ce que je pense c’est que l’enfant dans ces circonstances-là, qui sont rares, va trouver la force quelque part, pas de l’imposer parce qu’il n’en aura jamais conscience, mais de la vivre ailleurs qu’à cet endroit là.
Cet endroit là où tout ce qu’il fait est pris en compte, sans aucun recul et sans aucun regret, que cela ne soit pas mieux ou que cela ne soit pas moins bien représente une force considérable dans la situation.
Force considérable que l’enfant ne peut pas ne pas ressentir même si il ne la prend pas en compte.
Je pense que là on trouve la possibilité... ailleurs justement, là où la vie est normale, là où la vie est en compétition, là où la vie est dans la tradition de l’enseignement d’un savoir, qu’on ne bafoue pas, qu’on n’assassine pas ce que l’on a appelé à une époque "le petit Mozart".
Ce petit Mozart a quand même une chose étrange : parce que c’est ses parents qui l’assassinent... ce n’est pas si faux que cela quelque part, parce que si le petit Mozart c’est ces petites différences qui font que l’on est pas comme son père, et qu’on a d’autres façons d’exprimer d’autres choses, il est évident que tout être humain a ce petit Mozart en lui, et qu’on l’a perpétuellement assassiné. Et que les enfants sont pris dans cette angoisse perpétuelle, surtout au moment de l’adolescence, où là ils n’en sortent plus du tout, à savoir comment on peut être à la fois personnel et en même temps dans le social.
Question 15 Il y a deux questions dedans, je tâche de répondre à la première question.
Soit robuste, c’est-à-dire résiste à sa reprise par des animateurs... quand on dit animateurs, on veut dire repris par des adultes qui pourraient ne pas être des animateurs, repris par des professeurs, c’est-à-dire par la société comme faisant dossier... Repris par des gens qui diront : vous êtes ici chez vous, par des gens sans toi...
Bien entendu, cela n’est pas lié à l’aura, ni à la personnalité de quelqu’un. C’est un dispositif... étranger, étranger à moi, que je regarde de l’extérieur, la richesse en est complètement extérieure à moi.
Alors, je ne suis pas le seul à changer de comportement, et à tâcher d’être heureux d’une autre façon que précédemment, donc toute personne susceptible qui a déjà changé de comportement par rapport aux choses, ou qui est sur le point de changer, est capable de faire cela... ce n’est pas difficile, il y en a des plus en plus...
D.D. Il y a au moins deux aspects concernant la propagation : les règles explicites, "dicibles", et la "propension aux changements" du régisseur lui-même...
Oui, je n’ai répondu qu’au niveau de la personnalité des animateurs, maintenant il y a la question qui est très intéressante : jusqu’à quel point la chose est robuste en elle-même ? Le mot est intéressant.
Et je pense que la chose est robuste justement au niveau où elle est intransportable, "inmaîtrisable" puisque la diversité de la recherche de la richesse ne permet pas de le maîtriser d’aucun façon, à partir du moment où tout le monde est aussi beau, aussi merveilleux, aussi admirable, je ne vois pas pourquoi on épouse telle personne plutôt que telle autre, ou pourquoi on a tel ami plutôt que tel autre.
Donc l’ouverture à la différence est tellement folle qu’elle ne permet pas en sortant de là de maîtriser ce qui s’est passé.
Et je m’aperçois actuellement grâce à Charleroi qu’une personne qui vient tout à fait d’un autre éclairage, qui veut absolument tout dominer, tout maîtriser, qui est sure de son enseignement, à partir du moment où elle accepte ces règles, elles la transforment elle-même. Et tout ce qu’elle a pu dire, pendant la première séance, en dehors des règles que j’aurai souhaité qu’elle ne dise pas, n’a aucune importance. C’est tellement robuste que les enfants ne sont pas susceptibles d’écouter tout ce que l’on peut leur dire, qui à première vue pourrait abîmer le dispositif.