Mais on aurait envie de répondre : il va où l’enfant était fait pour aller, il va là où les êtres étaient fait pour aller puisqu’on ne peut pas ne pas aller quelque part. Mais il n’est pas fait pour que ceux qui l’on conçu souhaitent qu’ils aillent.
Là on se trouve très bien... je crois qu’on ne pouvait pas le concevoir par un projet autre que très naïf ; et alors la découverte sur le terrain, et la découverte par des gens de différentes disciplines qu’il y avait autre chose effectivement que ce qui nous apparaissait à première vue.
Question 5 On en a déjà parlé.
Question 6 J’avoue que je ne comprends pas très bien "sur lui-même". Il est évident que le dispositif est fermé sur lui-même, mais il est évident qu’il peut appeler tout ce qu’il veut, qu’il peut collaborer à tout ce qu’il veut, qu’il peut ne pas collaborer... la chose est laissée... En quoi pourrait-il... quelle est l’idée d’appeler d’autres dispositifs ?
I.S. Tu pourrais le prendre au sens par exemple : en quoi les adultes venus d’horizons différents qui ont rencontré le bonheur dont tu as parlé avant, peuvent - cela c’est la manière dont le dispositif appelle, pas en lui-même avec une voix qui lui serait propre mais dans l’effet qu’il produit - en quoi cela appelle à une autre manière de faire avec les enfants ?
Je ne pense pas et j’espère que non, en ce sens que si on dit dispositif...
Attention, appeler à cela ne veut pas dire modèle...
Non, non j’ai bien compris. Mais si on parle de dispositif c’est parce qu’il est arrêté et que l’on peut en parler à partir de ses règles. Si quelqu’un, à travers ce dispositif, ressent ce bonheur et veut l’utiliser pour l’invention d’autres dispositifs : il fausse... il l’utilise de façon codée donc il le tue en même temps.
Pour moi c’est un changement dans sa vie, dans son regard sur le monde, dont il peut prendre conscience parce qu’il dit : j’ai changé, je n’ai plus les mêmes réflexes ; il ne peut pas savoir où cela c’est passé. Ce n’est pas un dispositif "recueillable" par quelqu’un pour dire "voilà ce qui s’est passé", donc quelqu’un d’autre pourrait faire la même chose.
Il est mis "l’invention d’autres dispositifs", c’est à dire que si un prof de math, assistant à ton truc, se dit "tiens, pourquoi les enfants sont-ils beaux là et laids quand je leur enseigne les maths, "comment est-ce que je peux faire avec les maths de telle sorte qu’ils soient de nouveau beaux mais avec les maths", qu’ils trouvent la beauté des maths, leur beauté avec les maths... on pourrait dire que le dispositif a appelé l’invention de comment faire avec les maths... c’est juste un cas de figure, tu vois ce que je veux dire ?
Mais peut-on appeler cela un nouveau dispositif ? C’est des conséquences d’un dispositif.
Je soupçonne que la notion de ne pas être propriétaire, la notion de parier sur la richesse des possibles permet des tas d’approches, d’autres dispositifs dans les maths comme en théâtre, comme... dans des tas de choses. Donc on peut imaginer que dans énormément de circonstances par le fait même d’un changement dans la vue du monde dont on n’est plus propriétaire, il y a des tas de dispositifs qui peuvent être inventés.
Mais ce dispositif-ci, on ne peut pas aller plus loin au niveau du monde sonore, et le monde sonore a ses spécificités qui font que je pense que ce dispositif ne nous éclaire pas sur d’autres et qu’il ne nous permet pas d’en créer d’autres parce qu’il est fermé sur ce monde sonore, sur cette notion de Tohu-bohu... et alors sur la richesse de tout ce qui peut en découler, dans l’atelier par rapport à ce que j’y vois ou en dehors de l’atelier, qui nous échappe complètement...
Complètement est un grand mot puisque l’on peut quand même par le regard tenter d’appréhender plus ou moins ce qui se passe... Mais je ne pense pas qu’il y a d’autres dispositifs qui partent de là, ils partent alors d’une autre vue du monde et ils n’ont pas besoin du dispositif pour arriver à cette autre vue du monde.
Non mais sauf que, comme dit James, les choses "percolent", les choses s’insinuent, cela veut donc dire que de proche en proche quelque chose peut appeler autre chose, cela ne veut pas dire que l’autre chose s’inspire ; cela veut plutôt dire : si cela est possible, alors ? C’était plutôt mais alors si cela est possible, alors...
Tout à fait d’accord, on était au point six, non ?
Question 7 Le dispositif manipule-t-il les enfants ?
Et l’alternative est-elle dramatique ?
Je voudrais dire que le mot libre, je voudrais l’éliminer parce que pour moi il ne veut rien dire et que je voudrais l’évacuer au profit de la pensée de Daniel.
Manipule-t-il ? Bien entendu, on est tout le temps manipulé sans arrêt par tout ce qui peut nous arriver...
Donc l’alternative est-elle dramatique ? : il n’y a pas d’alternative, on est manipulé et il n’y a pas de liberté.(Rires)
Question 8 (Grand soupir...)
Si on demande aux enfants de ne pas faire de bruits, c’est parce que dans le monde sonore, à partir du moment où quelqu’un exprime quelque chose auquel il croit, qu’il y aie partition à l’avance ou pas, le moindre bruit va interférer... c’est donc un manque d’éthique que de ne pas respecter celui qui est dans cette disposition.
Par contre de quel droit est-ce que j’imposerai d’écouter à un enfant qui n’a pas envie d’écouter ? Cela c’est me mêler de ce qui ne me regarde pas. Donc ils peuvent courir sur le piano, ils peuvent faire tout ce dont ils ont envie, mais ils ne peuvent pas intervenir dans ce qui se passe au niveau du bruit.
Je pense que cela c’est révélé intéressant, parce d’abord les enfants ne font pas la différence, si ils bougent, ils bougent et le bruit fait partie de ce qu’ils bougent. Donc petit à petit, ils arrivent à comprendre assez facilement qu’ils peuvent faire des folies d’expression - du moment qu’il n’y a pas de bruit - et alors ils dissocient là quelque chose qui est assez intéressant pour eux - ils peuvent les remettre ensemble dès que les trois minutes sont écoulées - mais l’expérience est, je crois, intéressante...
D.D. Il y a ceux qui interviennent, et puis il y a ceux qui interviennent progressivement. On n’est pas nécessairement dans le domaine de la rupture, du bruit...
C’est cela que j’allais te dire. Il y a entre ne pas écouter parce que l’on a organisé un jeu ailleurs ou écouter...
C’est assez fascinant de constater à quel point à partir d’un moment donné ils sont pris par une forme d’écoute qui me paraît mener à quelque chose que nous connaissons mal puisque cela se passe aussi bien si un enfant imite le gibbon... ils perdent la notion de temps, complètement. Autant ils sont excités à ne pas aller au delà des trois minutes où on les oblige à faire silence, autant dans certains cas on voit certains enfants qui ont perdu la notion du temps complètement et sont capables de rester quinze/dix-sept minutes à prendre des yeux, des oreilles, à tout figer... donc qu’est-ce que cela veut dire ?
Il faudrait savoir au niveau de la notion de comportement mais les notions... les notions... qu’est-ce qu’ils témoignent ?
Il faudrait prendre un enfant spécifique et se croire capable de savoir ce que cela veut dire... Il est facile de voir quand il n’écoute pas parce qu’il fait autre chose, mais qu’est-ce qui se passe quand on peut croire qu’il écoute ? Est-ce qu’il écoute ? Est-ce qu’il entend ou est-ce qu’il écoute ? Ce sont des notions différentes et puis est-ce qu’on est bien sûr qu’il est en train de capter, d’écouter... qu’est-ce qui se passe ? On ne peut pas répondre à la question.
Question 9 Je pense, mais je n’ai pas osé le faire, que si on laisse des enfants dans la pièce sans adultes, ce serait au début en tous cas les empêcher d’y rester puisque cela serait un lieu inconnu.
Est-ce que l’on peut au bout d’un certain temps, disparaître de la pièce et voir si cela continue sans nous... C’est la caméra sur une planète où il ne se passe rien... enfin cela pose des tas de problèmes de rapport avec les enfants...
Ils ne sont pas expérimentaux, on n’est pas là pour les expérimenter donc chaque fois que l’on fait quelque chose qui n’est pas arrivé (c’est une joie infinie à partir du moment où je ne l’ai pas provoqué, c’est un événement...) Mais provoquer un événement... je suis extrêmement prudent quant à savoir jusqu’à quel point l’éthique justement me permet d’aller bouger une frontière qui s’était mise là.
Je pense qu’il y a un autre intérêt à la présence des adultes pour les enfants : puisqu’il y a des adultes qu’ils ne connaissent pas et qu’il y a des adultes qu’ils connaissent parfaitement puisque ce sont leurs professeurs qu’ils ont depuis longtemps... la présence des adultes qui ne peuvent pas parler entre-eux, et qui ne peuvent pas rire en ce sens qu’ils ont le droit de sourire - et ils le font parce que parfois c’est irrésistible - mais ils ne peuvent pas se moquer, cela ne peut pas aller au-delà du sourire et ils sont témoins de quelque chose.
Donc d’une part, je crois que les enfants ont besoin de ces témoins, je crois que quelque part savoir qu’ils ne se sont pas cachés pour faire ce qu’ils ont fait va être extrêmement important pour l’évolution future de leur relation à ce qu’ils ont fait et savoir que la personne responsable de leur enseignement qui passe son temps à dire tu peux pas faire cela, fais ceci, et cela c’est bon et cela c’est mauvais etc. etc. a perdu toute notion d’être capable de le faire !
Ils ne peuvent pas imaginer qu’on le lui a interdit, c’est aller trop loin. Ils ne peuvent comprendre qu’une seule chose : c’est qu’elle ne sait pas quelque part, ce qui est réjouissant alors à ne pas croire parce qu’enfin un adulte qui croit savoir et qui reconnaît qu’il ne sait pas, il ne fait que reconnaître la vérité des choses toutes simples... il ne sait pas beaucoup plus qu’un enfant sur énormément de sujets.