Méthode Thys

DS05

I.S. et D.D. Et le "Jeu de la partie et du tout" ?

Je connais, mais cela m’a toujours confondu un petit peu, je n’ai pas vu les résultats de cela, j’ai seulement vu le protocole et les dessins que les enfants ont fait par rapport à la musique.

Une de mes questions par rapport à cela c’est : cela sert à quoi ?

Et une de mes critiques potentielles, et je dis potentielle parce que je ne suis vraiment pas sûr de ce que je dis, c’est que quand l’enfant fait de la musique ce n’est pas une "chose"qu’il fait. Ce qui veut dire que c’est tout un processus dans lequel il est entré, et qu’il exprime quelque chose à l’intérieur. Et quand cela est mis dans une forme visuelle, cela devient une chose.

Et je ne sais pas ce que cela fait par rapport au sens et à la compréhension du processus chez l’enfant. Et je ne suis pas sûr que cela va renforcer les choses que l’on veut et c’est pourquoi j’ai une certaine hésitation d’aller trop vite vers une autre modalité. Parce qu’au moment où on voit une même chose dans deux modalités cela demande que l’on prenne une certaine distance, parce que c’est déjà une abstraction qui te permet de voir les deux.

Et je ne sais pas si on veut cela, parce que cela va mettre une certaine distance avec le processus, cela c’est une question que j’avais par rapport à cela. Tu comprends ce que je veux dire ?

I.S. Tu pourrais préciser le danger, parce que l’on pourrait dire que le danger c’est que cela ne va pas marcher, que les enfants...

Non, c’est que cela va foutre en l’air la valeur inconsciente du processus de créer la sonorité, parce que maintenant ils vont le voir. Et que maintenant ils vont chercher, faire du "matching", cibler entre ce qu’il sent et quelque chose qui est déjà décidé.

Mais j’ai l’impression qu’en fait il ne peut pas décider à l’avance, autrement on tue l’aspect d’improvisation pure, parce qu’ils ont une cible à reproduire...

I.S. Sauf que l’on pourrait dire, et là on entre dans des questions, que ce que veut dire cette cible, il n’y a que lui qui le sait. Puisque c’est des idéogrammes privés, et qu’il peut les oublier et les réinterpréter...

Oui mais c’est déjà externe.

Quand un artiste - je reviens à cette métaphore - la plupart, que ce soit pour faire une danse ou un tableau, surtout abstrait ou semi abstrait, ils ne peuvent pas vous dire ce qu’est la forme, ils peuvent vous dire des choses comme je sais l’atmosphère que je veux, ou les sentiments, quelque chose de vague, et puis la forme va se trouver.

Ici, la forme est donnée et j’ai peur que cela n’inhibe la pureté de l’improvisation. Mais je ne suis pas sûr que cela soit la cas mais je me demande si c’est nécessaire, si cela va aider...

I.S. Mais je crois, je vais dire ce que je crois qu’Hervé Thys dirait... non, peut-être que je ne vais pas dire ce qu’il dirait mais pour relancer la chose et la rendre plus profonde, peut-être que le projet a pour prix la perte d’une certaine pureté de l’improvisation et pour vocation d’essayer de mettre dans ce mouvement de processus sans normes, sans véritable modèles puisque c’est l’enfant seul qui est juge et du projet et de l’accomplissement du projet et de l’ensemble des paramètres, de l’introduire dans cette culture tout de même de la désarticulation entre le projet et son effectuation sur un mode qui ne soit pas soumis à la norme.

Puisque de toutes façons dans nos civilisations écrites on a affaire à cela, si ils pouvaient être introduits à ce type de distorsions entre le passé, le futur, le présent, entre passé et futur sur le mode le moins normé, le moins répressif ou bien humiliant parce que seul lui connaît le décalage, seul lui, l’enfant, sait quoi faire avec ce décalage ou est capable de décider du sens du décalage, que ce qu’il voulait faire avant est donc raté ou si c’est le contraire... c’est à lui de le décider, il n’y a aucun lieu de discussion. Donc on l’introduit dans ce moment où en général le monde extérieur a du coup tous les accès puisque l’on peut vérifier... on bloque les accès...

OK, je comprends et du coup je trouve que cela c’est une presque une autre activité que l’improvisation, et peut-être que cela mène dans d’autres directions, mais pour moi ce n’est pas la même chose que l’improvisation relativement pure.

Parce qu’il y a trois choses qu’il faut ajuster : le dessin, le produit, puis la production sonore et puis il y a quelque chose interne. Et si il y a quelque chose qui va préciser ce qui est interne pour reproduire dans des sonorités, on a déjà trafiqué avec l’interne : ce n’est plus de l’improvisation.

Mais de mettre ensemble et de faire une triangulation avec les trois, je trouve cela intéressant mais c’est autre chose.

I.S. C’est peut-être aussi important puisque c’est une manière de civiliser, si on peut dire, quelque chose que l’enfant doit connaître de toutes façons... Je suis d’accord, c’est un autre état...

D.D. Il l’appelle composition... OK, composition au lieu d’improvisation. Mais c’est pas dans la même ligne, pour moi il y a un saut important. Je ne pense pas que cela puisse aider dans l’aspect improvisationnel, mais c’est autre chose, OK.

Je voudrais revenir à la Question 4, je suis très perplexe par rapport à ce qui est transmis par le dispositif, c’est une chose à laquelle j’ai beaucoup réfléchi et je trouve que je n’ai pas une bonne réponse...

Quand j’ai vu cela la première fois, je trouve que dans la première séance, il y a une consigne non-dite, je parle de mes interprétations comme "enfant imaginé", et dans ce cadre là je ne suis pas particulièrement parano, il y a quelque chose... je me dis que les adultes veulent que l’on fasse quelque chose mais clairement c’est des vrais instruments, donc ce n’est pas un jeu ici, c’est quelque chose de vrai, et il ne faut pas les casser non plus et ils ne sont pas cassés, et je vais être un bon garçon et je vais essayer tous ces instruments, la première fois, et je vais voir ce qu’ils font...

Et puis cela va me prendre pas mal de temps pour réaliser que je peux vraiment faire ce que je veux avec, et puis progressivement je vais réaliser qu’ils veulent que je fasse ce que je veux avec. Et puis je vais faire des aller-retours entre d’être à l’intérieur de ma propre activité et d’être conscient de leur présence et de ce qu’ils attendent de moi, et puis je ne sais pas ce que je ferai avec mes solos, ceux des autres c’est plus simple : on entend et on voit.

Et si je peux entrer dans l’activité et ils attendent quoi... cela veut dire que comme enfant j’imagine avec difficulté de me vider d’une attente chez l’adulte, c’est pourquoi je dis que cela va me prendre du temps et je ne sais pas combien de séances seront nécessaires et à partir de quand on a plus de temps pour l’activité en soi et moins de temps avec cette personne qui est présente.

J’ai été frappé par une chose qu’a dit cet Arnaud Stern qui fais ce travail pictural avec les enfants, cela prend à peu près 5 mois, une fois par semaine, avant que les enfants ne réalisent qu’ils peuvent faire à peu près n’importe quoi dans les peintures parce qu’ils ne sont pas évalués, personne ne dit c’est bon etc. Par contre, les adultes peuvent le faire en quelques semaines. Et les enfants sont très sensibles au contexte quand il s’agit d’adultes, et je me demande ce que je ferai comme enfant dans cette situation, cela me prendrait pas mal de temps... Mais il y a les autres enfants...

Il y a les autres enfants... cela c’est complexe, cela dépend des relations que l’on a.

Et c’est une des autres raisons qui font que je trouve cela si fascinant parce que l’on a parlé du contexte au sens large : il y a des enfants et un adulte, mais en fait il y a des sous-contextes à l’intérieur des constellations d’enfants.

Parce que dans des groupe de cet ordre, six/huit enfants, assez rapidement il y a des amis, des ennemis etc. et à ces âges là toutes ces alliances changent rapidement d’une heure à l’autre, étant donné ce que l’on fait, de qui a occupé les tambours etc. dans ce sens là on a trente contextes qui sont en train d’évoluer à la fois.

C’est pourquoi je parle toujours de la complexité des contextes à l’intérieur de ce grand cadre qui est décrit et pour les enfants qui sont plutôt sensibles au contexte social cela va être différent aussi... Bon je ne réponds pas vraiment à la question mais la présence de l’adulte joue un rôle aussi dans la composition de ces sous-contextes.

Je ne sais pas à quel point l’enfant entre dans ses propres productions, c’est clair que cela arrive quelque fois comme cette petite fille qui jouait du piano comme Chopin, rappelle-toi, c’est clair qu’elle était complètement perdue dans son truc, elle portait avec elle tous les autres enfants, on a l’impression qu’elle est seule dans le monde à ce moment... et on a vu cela avec d’autres enfants.

Mais pour la plupart des enfants, j’ai l’impression que cette capacité à entrer complètement dans ce truc là est plus fluctuante...

Je crois que c’est aussi incroyablement important qu’il y ait l’animateur, l’adulte... il y a certainement énormément de consignes non-verbales qui sont mises en jeu, que je n’ai pas pu identifier parce que en général on ne voit pas dans la prise vidéo ce que fait l’adulte.

Les adultes placent les instruments dans une espèce de disposition-échaffaudage... mais est-ce qu’ils interviennent, se déplacent à l’intérieur du cadre durant le Tohu-bohu ?

Non, les instruments sont disposés au début, ils ne rentrent dans l’espace théoriquement uniquement pour la mise en place du strict nécessaire lors des solos etc.

Je ne veux pas être mal compris... dans le sens où je suis tout à fait pour... les cadres qu’il a créés et je les trouve important pour permettre le tout. Je ne trouve pas qu’il y en ait un ou un autre qui soit trop contraignant, on voit tout simplement des autres choses... mais j’ai de la peine à savoir ce que fait exactement l’adulte dans ce changement, ce qu’il apporte et je trouve que c’est une question-clef par rapport à tout le système, mais peut-être ne faut-il pas savoir ?

I.S. Oui, mais en dépend aussi toute la formation des adultes, parce que pour le moment Thys est toujours là, donc... Est-ce que l’étudiante qui a fait cela trouvait que c’était un rôle difficile ?

La première chose à dire c’est qu’elle a travaillé avec des enfants autistes, en fait elle n’a pas fait si mal après un moment.

Elle avait une situation un peu différente parce qu’elle n’avait que trois enfants, c’est tous ceux qu’elle avait pu trouver.

Je voudrais dire quelque chose par rapport à cela, vous savez que chez les autistes, surtout chez les autistes mais chez tous les enfants qui ont des éléments dits autistes, qu’ils soient schizophrènes ou..., la chose la plus importante c’est probablement leur incapacité - et je dis incapacité et pas non-volonté - d’entrer en "contacts humains".

Et cela veut dire effectivement qu’ils sont aveugles à l’état d’esprit des autres, on dit souvent que les autistes n’ont pas une théorie des esprits séparés ou des esprits, même. Parce que tout ce qu’ils font c’est avec une supposition de base qui est qu’il n’est pas possible d’avoir un partage ou un chevauchement entre ce qui se passe ici et ce qui se passe chez vous. Et donc cela ne fait pas de sens de traiter quelqu’un autrement qu’une chaise ou de communiquer avec eux en fait. Et probablement c’est la métaphore, si on peut dire métaphore, la plus englobante du problème de l’autisme : ce manque.

Alors qu’est-ce que l’on peut faire pour franchir cela, si on peut le franchir ?

En fait, j’ai l’impression que toutes les techniques qui progressivement soit séduisent ou amènent l’enfant, pas le forcent mais l’amènent, à reconnaître qu’une autre personne peut avoir une vie intérieure qui n’est pas si différente de la sienne. Ce n’est pas facile à faire, c’est une induction douce et lente. Et puis, j’ai l’impression que lorsque l’on part de cette infrastructure temporelle qui est dans les gestes et dans le timing des gestes ou des sonorités, l’enfant autiste est en quelque sorte forcé de se reconnaître quelque chose en commun avec l’autre. Et dans ce sens là, il est induit à traiter l’autre comme un être pareil et cela amène dans la direction de l’intersubjectivité.

J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de très éthique et peut-être même bénéfique dans le sens pratique dans ce genre d’expériences avec les enfants dans le dispositif.

Dans la petite expérience qu’a faite cette "diplômante", chez nous, en fait elle a montré qu’au fur et à mesure les enfants ont commencé à avoir plus de comportements sociaux les uns par rapport aux autres, à avoir plus de contacts visuels face à face, plus de vocalisations dirigées vers l’autre, plus d’orientations physiques vers l’autre, toutes ces choses infra-structurelles qui indiquent que l’on est plus en contact social avec d’autres êtres humains.

Malheureusement il n’y avait pas de groupe de contrôle de "normaux" pour si cela arrive chez eux aussi avec le temps... mais même sans contrôle, il y avait des changements chez ces enfants avec des limitations...

J’ai trouvé cette piste très prometteuse. cela m’a beaucoup intéressé comme moyen de - quand je dis traitement, je ne veux pas dire guérison mais un processus qui peut aider à mettre en place quelque chose avec lequel on peut aller plus loin.

Là aussi, je pense qu’il ne faut pas arrêter avec le sonore, il faut ajouter la danse, la musique dans un sens différent, le mouvement, l’imitation... C’est un commencement qui peut être important, cela m’a beaucoup fasciné. Quand on regarde, la plupart des traitements pour les autistes qui, à mon idée, sont les plus réussis pour au moins mettre l’enfant au même niveau d’infrastructure pour que l’on puisse utiliser après d’autres techniques plutôt verbales etc. sont exactement de ce genre : c’est des imitations, des mouvements que l’on partage etc. Je trouve que c’est fascinant.

I.S. Vous vous employez la vidéo, et vous les montrez aussi aux parents, cela a une fonction thérapeutique importante de voir...

Un outil important, oui...

Est-ce que, je pense à la Question 11 , évidemment ici c’est différent ce n’est pas des parents mais des profs, est-ce que cela pourrait justement leur "couper l’appétit"au sens de se priver d’un certain type de répertoire sans en ressentir la perte ? Tous ceux qui pensent que sans modèle il n’y a que le chaos...

Moi, je dis oui dans plusieurs sens...

Une des choses qui m’a beaucoup renforcé, parce que ce n’était pas la première fois que j’y pensais :

je ne vois pas les enfants ni comme de petits adultes, ni des adultes pas encore développés.

Je les vois comme des enfants mûrs, si on peut le dire ainsi. Cela veut dire qu’un enfant de n’importe quel âge est complètement compétent avec les capacités qu’il a et dans ce sens là on peut mettre en question toute l’idée de développement.

C’est important cela, quand on voit un enfant qui utilise ses capacités d’une manière géniale on commence à avoir une autre appréciation de cet être humain parce que l’on ne le voit pas dans l’optique de qu’est-ce qu’il ne sait pas encore, qu’est-ce qu’il lui manque, qu’est-ce qu’il peut devenir et tout cela...

Et quand je vois certains de ces enfants chez Thys qui font une expression, qui montrent leur style, je me dis que je suis en présence d’êtres humains pleins, complets. Pas de questions d’avenir, ce n’est pas important ici, il faut avoir un respect total pour cet être humain, qui est complètement développé à ce moment au point de vue de ce qu’ils font.

Dans ce sens là, je trouve qu’il y a une sensibilisation à l’importance, à la valeur de l’enfant dans ses propres termes. Et à partir du moment où on réalise cela, je crois que cela change tout.

Comment cela change ? C’est difficile parce qu’il y a beaucoup de manières de réaliser cela.

Si je peux dire quelque chose un peu à côté de cela, quand je suis arrivé ici à Genève, c’était après être passé par des écoles un peu élitaires aux Etats-Unis comme Harvard, comme Columbia des choses comme cela, à l’école de médecine ou en psychologie... Une des choses que j’ai réalisées et qui fait une grande différence, ici il y a une grande distance entre le professeur et les étudiants, du point de vue que les étudiants ne savent rien et que les professeurs savent beaucoup.

Quand j’étais à Columbia, on a toujours beaucoup rigolé du fait que nos étudiants étaient si bien sélectionnés, avec une compétition si dure que c’était la règle que les étudiants soient plus intelligents que les professeurs, la plupart des professeurs n’auraient pas pu être acceptés dans cette école à ce moment. Et qu’il faut les voir comme cela, et qu’on les voit comme cela et que cela change tout. On voit un étudiant comme un être humain aussi intelligent que vous, il y a des choses qu’il ne sait pas encore mais il y a des choses qu’il a qui sont les mêmes ou même mieux...

C’est comme cela que je vois les enfants mais à partir du moment où on voit les étudiants comme cela dans un contexte universitaire, cela change beaucoup au niveau des manières de faire, de l’atmosphère... Je suis sûr que tu as expérimenté les mêmes choses dans certains endroits. Cela fait une grande différence... Alors quand on voit cette fille qui joue comme Chopin, elle est vraiment quelque chose. Ou un de ces garçons qui a fait des choses comme cela....

I.S. Donc pour toi, ce serait plus le spectacle du solo plutôt que du Tohu-bohu en lui-même qui créerait cette transformation ?

Oui, par rapport au Tohu-bohu, cela me fascine, j’ai de la peine à savoir quoi faire avec...

toute ma manière de penser et de chercher - je ne sais pas si cela c’est une limitation, c’est aussi un atout - c’est la capacité de reconnaître les "patterns", les structurations, c’est là où est la science ou la prise que j’ai sur ces choses.

Alors ce qui me fascine dans le Tohu-bohu, c’est de voir tout à coup l’apparence d’une structuration, même si c’est très transitoire, pour comprendre comment est-ce que cette structuration se socialise dans cette situation ? Et étant donné que je n’ai aucune réponse ni même aucune expertise pour décrire ces structurations, je peux le reconnaître... cela me fascine énormément mais j’ai moins à dire.

Tu sais quand j’ai commencé à regarder les relations mère-enfant, et ce que je fais probablement avec tout parce que c’est ce que fait l’esprit humain, on voit une sorte de chaos devant soi, il y a très peu de choses qui sont structurées et le but de tout c’est d’identifier les structurations, c’est tout ce que l’on fait en fait. Et ce que doit faire l’enfant pour faire sens avec le monde, inconsciemment, intuitivement, les catégorisations de qu’est-ce qu’une répétition, une structuration, une variation sur une structuration ?

Et dans ce sens là il faut qu’on ait un certain éveil dans le chaos sur l’arrivée des structurations même petites, et c’est ce que je fais quand je les regarde mais c’est comme un exercice mental, une pulsion presque que l’on exerce tout le temps. Et là c’est simplement plus évident...

I.S. Disons qu’avec le type d’observation que tu as par rapport aux enfants c’est déjà de l’éthologie par rapport à la psychologie expérimentale qui crée la "pattern"de telle sorte que le sujet prouve... on pourrait dire que c’est l’autre extrême par rapport au laboratoire...

Oui, c’est l’autre extrême, c’est plutôt la génération des hypothèses par le "testing"mais il y a une autre piste que je suis pour le moment, qui me fascine, qui est pour moi exactement la même chose.

On a commencé une expérience sur la psychothérapie - du style psychanalytique en fait, parce que de plus en plus je réalise que lorsque l’on fait une psychothérapie on est dans une sorte de Tohu-bohu limité, le patient ne sait pas ce qu’il va dire et le thérapeute non plus, il ne sait pas ce qu’il va dire et surtout pas ce que va dire le patient, même si on sait que un jour dans trois ou trente séances il faudra qu’il parle de son père ou de n’importe quoi, on ne sait jamais ce qu’il va dire ou faire dans la prochaine parole. Il y a une incertitude complète presque.

Quand j’étais à Cambridge pour une année sabbatique, on a commencé une étude avec un groupe où il y avait des analystes, des développementalistes, des psychologues, c’était un petit groupe de sept, huit, on se rencontrait une fois par semaine.

Les règles du jeu étaient les suivantes, un des thérapeutes nous racontait à l’aide de procès-verbaux exactement ce qui c’était passé lors d’une séance de la semaine écoulée, mais l’idée c’était de savoir où était le moment nodal, le plus important dans ce processus où il est difficile de savoir vers où cela va aller, et les règles du jeu de notre travail étaient avant que l’on commence, c’était le soir, on buvait beaucoup de bons vins avec du chocolat et du fromage, nous étions des amis avec beaucoup de confiance entre nous, c’est non-évaluatif...

Parce qu’une partie du jeu, c’est de dire exactement ce qui c’est passé chez vous le thérapeute, pas simplement ce qu’a dit le patient. Et ce qui est sorti était très fascinant parce que c’était très différent de ce qui se passe dans des séances de supervision que tout le monde a comme thérapeute. Où on joue un jeu, qu’est-ce que je dois dire au superviseur, j’ai fait cela mais je ne peux pas dire exactement cela parce que...

Ici, on dit tout, alors ce qu’on a réalisé c’est qu’en fait le mouvement entre le thérapeute et le patient était relativement non linéaire, relativement chaotique même si il y a une connexion entre une chose et l’autre, on ne sait pas où on va. Ce qui se passe c’est que tout à coup, sans que l’on puisse prévoir, il y a quelque chose d’important qui arrive où on réalise qu’on est dans un autre état potentiellement.

Et le plus important c’est de reconnaître qu’il y a là quelque chose de prometteur, comme un moment propice et il faut faire quelque chose d’inattendu pour faire un moment de rencontre avec ce moment là.

C’est comme le "kaïros"en grec, cela veut dire qu’il faut agir et si on agit pas on a perdu quelque chose. C’est grâce à ces moments que l’on progresse, mais ces moments sont toujours imprévisibles.

On revient à ces questions concernant quelque chose qui est plus ou moins chaotique, parce que le chaos c’est quelque chose que l’on peut définir de manière plus ou moins large etc. c’est pourquoi je dis que reconnaître les changements qui forment des structurations ou des choses nouvelles dans le courant de la vie, c’est quelque chose qui est partout, c’est dans les psychothérapies, dans les relations mère-enfant, c’est ici... J’ai l’impression que notre lecture de ce qu’est une séance est très importante pour permettre de travailler différemment.