I.S. Est-ce que cela à du sens pour toi que l’on dise continuer cette ligne en tangence ou même en interaction... qu’il est important que cette ligne continue aussi, que les enfants à l’école rencontrent des situations...
Oui, je crois que c’est essentiel, comme Thys et tellement d’autres personnes le disent
le problème avec la scolarité traditionnelle c’est exactement qu’elle ne laisse pas cet espace pour l’improvisation et la découverte de qui vous êtes par rapport aux productions que vous faites... artistiques dans le sens du geste, de n’importe quoi d’art etc.
Je ne sais pas si cela a beaucoup changé, j’ai l’impression que les enfants ont moins de temps pour improviser pour le moment, parce qu’ils sont beaucoup plus mis sous pression par rapport au temps nécessaire pour apprendre des choses - qui est un tout autre état mental.
L’improvisation c’est quelque chose que l’on fait plutôt hors de l’école, dans les situations traditionnelles maintenant.
Je suis impressionné par exemple par mon fils qui chante bien, il a un très bon sens musical, il va au solfège, il chante à l’école, il fait toutes ces choses... quand je vais à ces concerts je les trouve complètement ennuyants et quand il est seul il fait ses improvisations qui sont géniales. Et c’est là où il apprend ce qu’est la musique, c’est un plaisir d’entendre, il fait des choses assez fascinantes... qui, c’est curieux, viennent de toutes sortes de cultures qu’il n’a jamais eu l’occasion d’entendre, de temps en temps il fait des choses très arabes, puis il peut switcher et cela peut devenir proche de l’opéra italien etc. ou un peu jazzi.
Je ne sais pas d’où cela vient, je sais que cela n’a rien à voir avec l’école, mais il est forcé de faire ces improvisations hors de l’école et en privé même. Je crois que c’est comme cela avec la plupart des choses.
Peut-être est-ce moins le cas avec la danse parce que là il y a une forme qui laisse beaucoup d’espace pour improviser, pour la plupart des gens je veux dire où ils peuvent faire leur chose... mais je ne suis pas sûr.
Mais je trouve que c’est une des choses qui sont archi stupides et horribles par rapport au système scolaire. Dans ce sens là, la méthode Thys est nécessaire, la pratiquer une fois par semaine ou une fois par mois pendant un an ou même quelques années ne suffit pas. Je peux imaginer un programme où ce qu’il fait avec la musique, on ferait la même chose avec la peinture, la danse... dans une forme qui va être acceptable pour les enfants dans laquelle la mise en valeur ne serait pas du côté du produit mais du processus.
Je ne sais pas comment le faire... (soupir)...
je connais pas mal d’artistes et surtout des chorégraphes que j’ai regardé travailler dans le processus de création d’une danse, soit moderne, soit de ballet... et ce qui m’a toujours fasciné c’est qu’ils font une sorte d’improvisation avec les danseurs et puis ils ne peuvent pas avoir en tête une vision d’une audience ou d’une critique externe, ils peuvent simplement avoir le sens de ce qui marche ou pas pour eux à ce moment dans la logique interne d’où ils en sont dans le mouvement.
Et on voit cette forme d’improvisation mais il y a quelque chose qui les dirige, mais il y a toujours quelque chose qui les dirige, et puis on voit plusieurs tentatives, de faire et de refaire, de défaire... et dans ce sens là on voit bien que ce n’est pas du tout ce que l’on fait à l’école, ce n’est pas ce genre de processus que l’on fait à l’école. Il faut faire trente mille erreurs, défaire ce que l’on a fait, refaire ce que l’on a défait... tel qu’on est vraiment en train d’improviser, je trouve que c’est une des choses les plus fascinantes à voir ce processus, et je n’ai jamais vu une chose comme cela à l’école.
Même quand il s’agit de mots,
il y avait une expérience, j’en ai parlé dans un de mes livres, d’une petite fille qui était très précoce il faut le dire parce que à ce moment elle avait 21 mois mais elle avait déjà commencé à dire les narratives, des histoires de sa propre vie, de ce qu’elle avait fait dans la journée... et c’était l’heure d’aller au lit, le père est venu, il a dit les choses que l’on dit à ce moment et puis après qu’il soit parti elle a commencé ses monologues qui étaient peut-être encore avec lui, il était comme l’adulte qui encadre cette situation, elle était en train d’improviser avec lui.
Elle était en train d’improviser le sens de sa journée, elle sait d’une certaine manière ce qu’elle a expérimenté mais elle ne sait pas comment le mettre en mots, elle a 22 mois, on l’a suivie pendant toute une année, on a tous les enregistrements, c’était fascinant à ce moment parce qu’elle a dit des choses comme - son nom était Amélie - "aujourd’hui Amélie est allée chez tante A., non, non, Joey était là et il est venu avec Amélie, non, peut-être que Joey était déjà chez tante A. et je suis allée avec... non"... etc. elle a continuellement bricolé pour arriver à une narration qui lui plaît le plus.
Et est-ce que cette narration qui lui plaisait le plus était celle qui était la plus vraie par rapport à ce qui était arrivé, je ne peux pas le dire ? En général, on a l’impression que c’est vrai, qu’il y a quelque chose d’interne qui veut être mis en forme avec une certaine similitude même si ce n’était pas complètement la vérité au moins il y a une "vérisimilitude"et une cohérence.
De voir ce bricolage improvisé qui teste toutes les possibilités de mettre ensemble l’histoire officielle de tout ce que tu as fait durant la journée, c’est incroyable.
Alors là aussi on ne peut pas faire cela à l’école, c’est dans ce sens là que je trouve que c’est l’activité créatrice essentielle qui permet d’arriver. En soi cela ne suffit pas, c’est une goutte dans l’océan j’en ai peur, peut-être que j’exagère et que c’est plus que cela, et probablement que c’est bien pour ces enfants de savoir qu’il y a un lieu dans le monde où ils peuvent faire ce genre de choses et où c’est plus que permis c’est cautionné.
Mais c’est difficile de savoir quant à la possibilité de généraliser dans d’autres domaines qui est une de ces questions là...
I.S. L’une des questions qui peuvent se poser c’est que est-ce que des enseignants qui verraient ce genre d’images ne pourraient pas être amenés à revoir l’idée que souvent ils en viennent à penser que c’est soit la discipline ou le chaos au sens destructeur du terme ?
C’est tout de même très frappant de voir que les enfants, qui ont un répertoire limité comme tu le disais mais plus limité que cela ne serait possible puisqu’ils ne cassent pas les objets, en général ils ne s’assomment pas...
Oui, c’est vrai, ils sont très respectueux...
Il y a tout de même un contexte qui est incorporé mais qui n’a pas besoin d’être promulgué au sens d’interdit personne ne leur a dit : vous ne casserez pas les jouets, enfin les instruments mais ils ne le font pas, même quand il s’agit d’enfants...
Je crois qu’en fait... ...cette notion d’auto-limitation sans privation, c’est important.. elles ne se sentent pas privées de faire certaines choses....
Non, bien sûr, les mères se limitent, par rapport à leur répertoire c’est incroyablement rétréci avec l’enfant, et elles sont très contentes de rester dans ces limites, elles le font intuitivement, sans penser.
Ce qui est amusant, c’est que les mères, pour s’amuser avec un enfant quand elles font ce genre d’improvisation, elles sont forcées de s’amuser aussi, autrement elles perdent l’intérêt et, heureusement ou malheureusement peu importe, les mères sont beaucoup plus intelligentes que les enfants, ce qui veut dire qu’il faut que la mère fasse un double jeu quand elle fait des improvisations avec l’enfant.
Il faut qu’elle amuse l’enfant et qu’elle s’amuse elle-même, et souvent elle fait des choses un peu sophistiquées pour s’amuser et l’enfant ne va attraper qu’une partie, elle sait très bien que seule une partie peut être utile pour l’enfant, mais elle fait des jeux de mots, des choses pour s’amuser etc. où elle est bien en avance par rapport à l’enfant mais au moins elle s’amuse.
Dans ce sens là la question de savoir où sont exactement les limites : parce qu’il y a des moments où elle peut dépasser le répertoire de l’enfant mais sans casser la capacité de l’enfant de la suivre... Mais j’oublie maintenant pourquoi...
I.S. Mais cela c’est intéressant parce que cela revient à la question... pendant tout un temps l’enfant est aux limites de ses possibilités lui, il fait tout ce qu’il peut, on pourrait dire que dans ce sens là il n’improvise pas véritablement puisqu’il est complètement suscité par... à partir de quel âge on pourrait dire que l’enfant a un double... "ah, c’est cela que tu veux que je fasse, OK je le fais mais éventuellement...
Tôt, je crois que c’est relativement tôt... Où l’enfant peut s’amuser de sa mère aussi, si on peut dire...
Tôt, et on voit des enfants qui sont plus ironiques si on peut dire, ou plus joueurs avec leur mère que leur mère avec eux.
Et tout ce qu’il faut c’est que l’enfant ait un sens de l’intersubjectivité où il sait à peu près où est l’autre, pour jouer avec cet espace, ce niveau là, il fait cela à la fin de la première année de la vie facilement. Ils sont archi doués pour ces jeux...
L’enfant peut jouer avec sa mère au double sens du terme, on voit des choses amusantes dans des situations archi quotidiennes et banales : si l’enfant veut un biscuit, et la mère a des biscuits sur une assiette ou dans ses mains, et l’enfant va solliciter un biscuit en faisant hein hein, il ne parle pas encore, et puis si la mère ne le donne pas, il va trouver un autre moyen de solliciter la même chose, tirer sur la jupe ou n’importe quoi d’autre, et si elle ne le donne toujours pas, il sait parfaitement bien qu’elle sait ce qu’il veut, il sait aussi qu’elle sait qu’il sait qu’elle sait ce qu’il veut, alors ce qu’il faut faire maintenant c’est qu’il faut qu’il teste l’authenticité de son refus et d’estimer si elle ne veut pas simplement ou si elle est en train d’être méchante, et en fait c’est maintenant le jeu... c’est vraiment de sonder son état, de partager son état "intersubjectif avec lui" parce que le fait qu’il veuille le biscuit cela c’est archi simple, c’est déjà sur la table, maintenant on fait une négociation beaucoup plus fine, de est-ce que vous voulez dire ce que vous êtes en train de me dire ? Et vraiment ?
C’est comme les "sincerely conditions"pour le langage, et c’est cela qui est mis en question, c’est un jeu qu’il fait avec l’état intersubjectif entre les deux. Et cela c’est quelque chose qui est facilement fait, avec des choses stupides comme les biscuits ou toutes les prohibitions. Est-ce que tu veux dire vraiment que je dois arrêter, mais vraiment ?
I.S. Donc de ce point de vue là, c’est très rapidement une situation symétrique... Oui, très rapidement...
Peut-être plus vite que la mère ne s’en rend compte ?
Je crois qu’elle s’en rend compte mais elle a beaucoup d’armes, si on peut dire, dans sa poche pour ce genre de guerre de prohibition... mais pas toujours...