Méthode Thys

DS06

I.S. Ce qu’il y a, peut-être là aussi, mais dans le Tohu-bohu en tous cas, l’activité de celui qui regarde et qui voit apparaître des patterns est semblable à l’activité des enfants eux-mêmes... qui tout à coup se rendent compte...

Oui, mais il y a les moments de décisions, les moments où une étape nouvelle se forme ou est proche de se former, où on peut le faire ou ne pas le faire... et c’est à ce moment là où l’enfant se joint ou fait quelque chose de complémentaire, et l’autre enfant... c’est à ce moment là où il y a une nouvelle structuration qui émerge... pour un moment, etc.

Il y a toujours des sauts qualitatifs, grâce à ces changements...

Ce serait une approche de l’improvisation cela, puisque ces patterns se forment sans accord, sans projet, sans timing extérieur...

Et ils se trouvent, ils s’organisent...

Mais c’est fou de voir qu’en psychothérapie qui a l’air d’être plus linéaire, plus verbale, plus liée au sens en fait suit les mêmes règles. Ce qui signifierait que le langage n’est pas si détaché...

Le langage n’est pas si détaché parce qu’en fait il y a l’état de l’âme, l’état de l’esprit qui sont sous-jacents aux mots et c’est cela où il y a le moment de rencontre. Cela on le fait avec les mots... "Currency", comment dit-on cela, le langage, la monnaie...

I.S. Il y a un trait commun entre ce que tu observes et le dispositif, c’est qu’il n’y a pas de vérification... tu pourrais le dire ?

Vérification dans le sens d’une évaluation ou dans quel sens vérification ?

Dans le sens est-ce que l’on a bien entendu, quand tu parlais du "kaïros"si j’ai des doutes par rapport à l’occasion et que je pose une méta-question, je sais que je peux laisser échapper le moment... de la même manière si une mère se demandait tout le temps si véritablement son enfant a des intentions ce serait une catastrophe par rapport au processus que tu décris.

Et ici quand Thys demande aux animateurs de ne pas évaluer, il leur demande de ne pas offrir aux enfants le support de : est-ce que l’on a bien fait, qui est leur propre système de vérification...

Par rapport à la vérification dans le système mère-enfant, j’ai l’impression qu’il y a une sorte de vérification de ce qui marche ou pas, mais dans la plupart des improvisations mère-enfant, il y a plus d’échecs à être ensemble dans ce processus que de réussites.

Il y a deux choses à la fois qui se passent : il y a la progression de l’improvisation vers quelque chose que l’on ne connaît pas et puis il y a un déraillement de ce processus, à ce moment, il y a autre chose qui s’instaure qui est un processus de réparation de ce déraillement pour retrouver soit la même piste soit une autre piste.

Dans ce sens là, il n’y a pas pour moi d’erreurs, il y a simplement d’autres pistes qui sont suivies. Quand je parle au niveau clinique, une des choses les plus importantes c’est de voir si la mère et l’enfant ont des répertoires fonctionnels pour réparer les "déraillements"du processus d’improvisation. Parce que c’est toujours le cas, c’est archi rare que tu aies une improvisation qui va jusqu’au bout et où tout le monde est content, cela n’arrive pas.

Et cela n’arrive pas pour des raisons assez spécifiques en fait, par exemple pour les jeux où l’enfant a un niveau d’excitation, de joie le plus haut que possible, c’est inévitable quand la mère veut pousser l’enfant toujours plus haut qu’elle va dépasser ses limites, l’enfant va se détourner...

Il faut qu’il y ait réparation, qui est une autre improvisation délicate... La vérification est une chose très complexe, qui n’est pas faite de manière ouverte ou méta du tout, c’est fait par la fonctionnalité sentie de ce que l’on fait ensemble, si je peux le dire ainsi.

C’est très similaire à la non-intervention dans le dispositif Thys.

I.S. Parce que lui-même dit que tout est réussite...

C’est la même chose pour les enfants,

c’est difficile d’imaginer quelque chose qui n’est pas une réussite. On peut interpréter comme un échec mais c’est autre chose.

Au niveau clinique c’est une des choses les plus importantes d’amener aux parents, qu’il faut qu’ils acceptent et qu’ils voient que l’enfant est presque toujours en train de faire le mieux qu’il peut avec ce qu’il a dans le contexte créé pour lui. Et c’est généralement le cas, bon c’est vrai qu’après un certain âge on peut être méchant, mais pas tout de suite.

I.S. Pour ce que tu en sais, l’idée que se soit immanent à l’espèce... dans quelle mesure a ton avis la comparaison... parce qu’une des choses qui impressionne très fortement Thys, dans une classe de jeunes turcs, c’est vrai que l’immigration truc est une immigration très structurée, là le Tohu-bohu n’était pas une proposition valable parce qu’ils l’habitaient sans en être le moins du monde perturbés avec leur manière déjà collective... est-ce que depuis les premières propositions les comparaisons avec les autres jeunes enfants progressent ? Ont-elles montré des choses qui t’ont étonné, les comparaisons avec les Africains...

Je n’ai pas assez de connaissances par rapport à ces autres cultures, je dis cela aussi parce que... quand on étudie des relations mère-enfant précoces, pré-verbales, les différences culturelles sont moins frappantes, dans la dyade en soi, pas dans les relations avec l’environnement de la dyade, et comment elle est positionnée, encadrée - cela c’est très différent.

Mais ce qui se passe entre les deux, il y a des limites biologiques tellement importantes, moi je n’ai jamais été suffisamment fasciné par les différences pour dire des choses qui feraient sens ici. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de différences mais je les trouve moins intéressantes que les similarités à ce niveau là. Après oui, alors je ne peux pas répondre...

I.S. C’est la dernière Question 81 : tu as beaucoup insisté sur le côté transmodal des relations mère-enfant et qu’il n’y a aucune raison de penser que c’est fini quand ce n’est plus vécu comme tel, il y a certaines expériences adultes poétiques qui traduisent le fait que c’est toujours le cas dans notre expérience... Toujours !

Est-ce que tu crois que dans le Tohu-bohu on sent cette transmodalité ?

Oui, je crois qu’il y a beaucoup là, en fait quand on entend un bruit comme du tambour, on peut imaginer le geste... et cela c’est une transposition transmodale. Il ne faut pas voir les gens pour les voir si ils font du bruit.

Aussi avec la transmodalité, on est mis en contact avec "l’impulse"qui dirige l’expression, qui elle est supra modale. C’est donc important d’avoir des modalités mélangées, je crois que c’est important dans le Tohu-bohu cette multi-modalité...

Juste une réflexion plus politique, je trouve que ce que fait Thys est dans un sens révolutionnaire...

Mais en même temps c’est... je crois que l’on est dans un moment dans l’éducation, la culture occidentale et moderne où il faut trouver le moyen de revenir à certaines choses perdues, je suis très pour des tentatives qui font... j’imagine que ce n’est qu’une des trente manières autres de faire mais j’imagine que peut-être cela va permettre d’imaginer d’autres manières de faire comme cela.

Mais je trouve que c’est essentiel pour maintenir, je ne sais pas quoi...

J’ai l’impression souvent maintenant que probablement un des domaines où, paradoxalement, dans les écoles que je connais, où on laisse un Tohu-bohu productif aux gens c’est en informatique. Parce que quand on voit des étudiants gradués à Silicone Valley ou dans certaines écoles où ils ont une grande liberté, ils ont l’air de faire n’importe quoi mais en fait les résultats sont sensationnels...

Mais on ne voit pas la même liberté d’improviser, de jouer avec, de voir les possibilités d’une modalité etc. aussi flagrante que dans quelque chose qui a l’air d’être à l’opposé de tout cela. Je me demande parfois si ce n’est pas en partie pourquoi il y a une telle rapidité d’inventivité dans ce champs.

Je trouve que c’est quelque chose qu’il faut retrouver dans tous les domaines de l’éducation.

J’ai été fasciné souvent par certains éducateurs japonais qui se plaignent toujours que les étudiants japonais bien qu’ils soient mieux formés classiquement, formellement que les étudiants occidentaux n’aient pas cette créativité parce qu’ils ne se sont pas donné un cadre dans lequel ils peuvent jouer, improviser, expérimenter...

Je ne sais pas comment protéger cela - parce que c’est presque paradoxal de protéger quelque chose qui est sauvage - mais si on ne le fait pas... on va vivre dans un monde incroyablement stérile...

Voilà c’est tout…