Méthode Thys

DS02

I.S. Oui, c’est ce qui arrive lorsque l’on voit une version transcrite de ce que l’on a dit, l’ensemble...

Oui, c’est toujours mort.

Mais du point de vue éthologique, je sais que ce n’est pas ton domaine, mais j’ai lu quelque part que l’on peut faire beaucoup de choses avec les chimpanzés mais apparemment ils ne garderaient pas le rythme...

C’est vrai cela ?

C’est ce que j’ai appris et qui m’a complètement intéressée étant donné l’importance de toutes les rythmicités, variétés etc. Est-ce que ce serait une spécificité de l’espèce humaine que d’avoir transformé la vitalité temporelle en territoire d’interactions ?

Cela m’étonne et je voudrais voir ces expériences pour voir comment cela a été fait, si ils ont utilisé un moyen pour livrer le rythme aux chimpanzés d’une manière qui soit écologique pour eux et pas pour nous. Parce qu’un chimpanzé, comme n’importe quel animal, ne peut pas vivre sans un sens du timing exquis. En fait, probablement la meilleure expérience par rapport au timing en général que l’on ait c’est chez les rats. Qui ont un sens du timing exquis mais ils l’utilisent très différemment que nous, ils peuvent le faire aussi bien que nous.

C’est intéressant ce que vous dites parce que peut-être que certaines élaborations de base : la durée, là tous les animaux sont parfaits, le beat - le rythme - le tempo en fait, cela je ne peux pas imaginer que les animaux ne soient pas aussi bien que nous ; je crois que c’est probablement quand on va plus loin que cela avec les rythmes qui sont des élaborations sur le tempo que peut-être là il y a une différence, je ne peux pas imaginer que ce soit autre chose que cela.

Je ne sais rien du temps par rapport aux chimpanzés, je sais beaucoup par rapport aux rats et le temps, mais c’est autre chose... Mais le timing qui est à la base de tout cela, on ne peut pas faire ce que fait un singe dans un arbre sans un timing incroyable.

I.S. Oui, cela c’est évident, la question qui se posait c’est que de la même manière que pour tous les mammifères et tous les animaux territoriaux sont signifiantes au sens vital mais social, enfin inter-relationnel, les distances... on a l’impression que dans la construction d’un individu par rapport à ses congénères, l’espace est devenu vibrant d’enjeux.

Ce que semblaient dire ces gens c’est que le temps n’est pas vibrant d’enjeu au sens apprentissage, au sens transformation de signification comme l’espace l’est alors qu’apparemment pour les humains que tu décris, avec les berceuses, les variantes sur les rythmes etc. c’est pas une question de timing au sens de réussir à faire un geste, c’est une question de passion de nature de la relation, d’investissement social, d’intersubjectivité...

Mais j’ai l’impression que quand je joue avec ma chienne, c’est une forme de "attrapes-moi", elle n’a pas un sens de timing très différent de ce que l’on peut voir dans les relations mère-enfant au sens de l’estimation de ce que je vais faire et quand, quand je vais essayer de l’attraper, et ce n’est pas seulement qu’elle a un temps de réaction extrêmement rapide, elle est en train de me lire.

Et ce qu’elle lit chez moi c’est quand - qui est le temps - je vais faire ma prochaine attaque ou retraite... et cela je trouve que c’est extrêmement sophistiqué, il n’y a pas de rythme strict dans le sens musical du mot mais il y a un certain rythme de comment les animaux sont les uns avec les autres... Quand vous regardez deux chiens qui sont en train de jouer ensemble, c’est incroyable la synchronicité, et les petites variations qu’ils utilisent comme indices pour faire la prochaine chose... bon je n’ai jamais étudié cela, mais c’est mon expérience.

I.S. C’était lors d’un colloque sur l’origine de la musique, dans tous les sens du terme, "Imberti"y était d’ailleurs, et certains venaient avec l’hypothèse de l’humain comme singe dansant, c’est à dire celui qui aurait utilisé la synchronicité, son mouvement pour créer du collectif, pour qui la danse-musique aurait été, avant la parole pour ceux qui spéculaient, l’instrument d’un être ensemble sans équivalent chez...

C’est une idée intéressante, je voudrais réfléchir plus et voir les données parce qu’en ce moment j’ai une certaine hésitation à aller avec cela... Et aussi, bon ce n’est pas des mammifères, l’histoire des oiseaux où en fait déchiffrer un chant d’un congénère, ou même d’une même espèce mais qui vient d’une autre localité, avec donc un autre accent demande une précision temporelle... pour déchiffrer quelque chose qui est très musical en fait...

I.S. Oui, cela ils étaient très présents mais justement de la même manière où le battement cardiaque est une temporalité, le chant d’oiseau crée un rythme reconnaissable, différentes signatures mais le chant et la danse c’est autre chose...

Oui, c’est juste, il n’y a pas d’autres animaux qui dansent ou qui chantent ensemble ? Mais est-ce que vous avez jamais entendu les loups hurler ensemble, ils se répondent les uns les autres de temps en temps, et aussi les baleines... je ne sais ce que c’est tout cela. C’est plutôt réactif que co-actif, mais pas toujours - il y a des duos entre les loups.

I.S. Ce qu’il y avait d’intéressant c’est que cela communiquait avec d’autres questions qui sont que Thys souligne beaucoup que par rapport à d’autres activités, dans les tribus, dans les peuples traditionnels la musique est avec la nourriture et le mariage l’une des activités les plus normées.

Donc qu’est-ce qu’un bon mariage, qu’est-ce qui est mangeable et qu’est-ce que de la musique ce sont les endroits où les règles sociales, les conventions et les goûts sont les plus indiscutables et que par exemple pour aller de l’autre côté, Cage a provoqué beaucoup plus de passions que des tentatives dans le domaine du pictural ou de la danse même... qu’il y aurait quelque chose avec les états où nous met le son... le son nous met dans de drôles d’états...

Absolument, absolument...

Oui, je rigole parce que je me demande de temps en temps si ce n’est pas que

la musique qui nous met dans de drôles d’états comme tu dis, mais si il n’y a pas aussi tous les sons humains qui nous mettent dans de drôles d’états, même en dehors du sens.

Je me trouve souvent dans des pays où je ne comprends rien de la langue, où je peux me soumettre à la voix comme musique et je trouve que cela me met dans un drôle d’état comme la musique où je suis libéré des lyriques etc. cela doit être la même chose dans les langues que je comprends sauf que je suis moins conscient de ce drôle d’état qui est un peu apaisé...

Et je trouve que c’est la même chose avec le mouvement, quand je vois la danse je suis dans un drôle d’état parce que cela capte mon corps, même si je n’imite pas ce qui se passe, à l’intérieur je le fais. J’ai l’impression que je fais la même chose dans une situation "normale" : tu as fais comme cela avec ta tête, je suis avec toi, cela me capte, cela entre chez moi ou je suis pris.

Si je suis ouvert à la relation, il faut je ne dirai pas une décision - un certain mouvement d’investissement dans ce qui se passe chez toi sinon tu es comme une chaise, mais à partir du moment où tu es Isabelle, cela arrive...

Dans ce sens là, je vois peu de différences entre la "vraie danse"ou d’être avec quelqu’un, ou entre la "vraie musique"et le son du "style n’importe quoi". Mais c’est vraiment comme cela que je vois le monde, je réalise que c’est peut-être un préjugé qui vient que je regarde beaucoup d’enfants et où j’essaie d’imaginer ce que peut être le monde de l’enfant, ou l’aspect, la structure formelle où le sens est moins important, ou négligeable en fait de temps en temps, mais je pense que ce n’est pas faux, quand on n’est plus centré sur le sens, on ne voit pas ce que l’on sait.