Méthode Thys

TD21

I.S. Mais on pourrait dire... enfin, j’ai deux choses juste pour vous embrouiller tout à fait - on pourrait dire qu’il y a deux types de savoir aux extrêmes : savoir du psychologue expérimental qui crée un dispositif tel que quelque soit ce qui est produit cela entre dans la grille et cela fait preuve et le savoir de la mère ou d’un adulte qui s’occupe d’un nourrisson et qu’il connaît... sauf évidement qu’il ne peut rien prouver, sauf qu’il le connaît si bien que c’est la finesse de ces accordages, selon Stern, qui mène le nourrisson à devenir capable de...

Et la seconde chose pour terminer... ce serait cohérent éventuellement avec l’idée que le premier de ces virtuels dont vous dites qu’il y a chaque fois du nouveau chaque fois que l’on y revient, ce serait éventuellement le comportement humain...

Oui, là d’accord mais pour revenir à... la relation mère/enfant n’est pas une relation autosuffisante, elle est un maillon... important, chargé très certainement du grand itinéraire d’une vie mais elle n’est qu’un maillon.

C’est que justement très vite on peut parler de triade parentale, papa, maman, enfant ou de l’autre... enfin le tiers.

C’est cet intrus qui vient remettre en question la trop grande conformité, le trop grand degré d’identification réciproque entre la mère et l’enfant. Mais ce n’est pas forcément un tiers qui est identifiable à l’extérieur de leur dyade.

Cela peut être un tiers que la maman inclut parce qu’elle est aussi être social et elle est aussi capable de par exemple se forcer à se dire que cet enfant n’est pas forcément transparent pour elle et qu’elle n’est pas forcément transparente pour lui. Donc elle peut aussi déjà dans son jeu inclure... à certain moment elle peut lui dire qu’il l’embête et le menacer si il joue encore avec ce flacon de le taper sur les doigts... à un moment donné elle le casse aussi.

Ce que je veux dire c’est que donc cette opposition entre l’expérimentaliste qui ne verra que ce qu’il veut bien voir... on peut aussi bien dire que la maman ne verra que ce qu’elle veut bien voir, mais dans les deux cas c’est l’existence du tiers, d’une troisième personne ou d’une troisième instance ou d’une autre position - peu importe comment on la voit - qui vient en se décalant faire surgir un contre-discours, mettre en évidence des choses que l’on n’avait pas vu, ou bien dire voilà vous êtes beaucoup trop enfermés dans votre volonté de repérer des choses et donc forcément vous les repérez et donc vous êtes bien occupés à évacuer le reste.

Donc je crois à ces deux extrémités de savoir il y a... le rôle d’une tierce instance qui peut jouer, et je crois que cela montre aussi par rapport à la réflexion, d’ailleurs c’est ce que nous essayons de faire sur la méthode c’est à dire essayer d’avoir des points de vue un peu décalés, de façon à avoir à la fois un espace d’échange avec quelques opinions communes, quelques positions communes et en même temps une puissance de questionnement, de décalage ou de surprise qui font que je suis impatient de voir ou de lire ce que les autres auront pensé par rapport à ces questions.

Et donc, je répète que inévitablement tout dispositif se prépare à repérer quelque chose et essaie de le développer et que c’est le décalage ou la tiercéité ou le troisième terme, peu importe, de quelqu’un qui peut nourrir un débat, faire évoluer ou parfois mettre le doigt sur des contradictions gênantes, graves...

I.S. Mais est-ce que le problème n’est pas - je reviens à la charge une dernière fois - le mode de repérage et le message transmis par le mode de repérage ?

Je prends un exemple : il y a deux types d’activités que bien plus tard le petit humain de chez nous est amené à subir de manière quasi "sternienne" au sens où cela deviendra quasi irrépressible, c’est savoir conduire une voiture et savoir lire... Je ne veux pas mettre de hiérarchie, les deux sont compliquées, et savoir conduire une voiture c’est ne pas pouvoir s’empêcher de faire toute une série de choses qui sont terriblement difficiles à faire tenir ensemble comme savoir lire...

Or quand on apprend à lire on fait des illettrés et la plupart des gens, surtout aux USA, apprennent à conduire... quasi tout le monde réussit, comme tout le monde réussit à parler ou à marcher, est-ce qu’ il n’y a pas dans les modes d’apprentissage... et dans les deux cas il y a du repérage, si j’apprends à quelqu’un à conduire on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de tiers... il y a plein de tiers et pourtant je lui dis : "attention, tu as vu" et pas ce qu’un prof peut dire - et fabriquer un illettré - en lui rappelant les normes de ce qu’est la lecture... donc est-ce qu’il n’y a pas un mode de repérage faisant tiers différent selon que le savoir est scolaire avec une évaluation objective : "est-ce qu’il sait lire" ou pratique : comment savoir faire dans le monde étant donné ce type de dispositif qu’il s’agit d’apprendre... qui peut même être ses deux jambes, quand il s’agit de marcher c’est aussi toute une mise ensemble.

J’ai une vieille thèse qui est que si les pédagogues évaluatif-objectif se mêlaient de l’apprentissage de la marche à pied des enfants les trois quart de l’espèce humaine galoperaient à quatre pattes... C’est juste pour dire que le savoir du comportement que met en jeu la mère - n’est pas forcément dyadique - mais en tous cas c’est un repérage qui n’est pas une évaluation objective...

Absolument pas... mais pourtant il fait entrer des tas de tiers, effectivement : ne touche pas à cela, tu m’énerves...

Et de grands moments d’empathie aussi...

Donc ils naviguent entre de l’océanique, de l’englobant, du chaud, du maternel beaucoup dans la grande image... et du paternel aussi, du je suis dehors, il faut du code, il faut... et ils naviguent entre les deux.

Et justement c’est là où je pense qu’à un moment donné - enfin, on devient systématique : dyade, triade... - c’est là qu’à un moment donné on revient à la question de voir comment faire en sorte que l’enfant lui-même soit capable, je dirai, dès que possible de ce qui lui arrive...

C’est à dire je pensais à la situation d’apprentissage de conduite : c’est évident que peut-être dans certaines circonstances que pour apprendre à bien conduire il est important d’avoir à ses côtés quelqu’un qui te signale que si tu vois ce truc là tu dois t’arrêter, que si tu vois cet autre là tu ne dois pas t’arrêter... donc avancer comme tout le monde etc. mais un moment donné tout cela doit céder la place à une prise en charge personnelle, c’est à dire qu’un repérage important c’est le repérage que le sujet est capable de faire à propos de cela.

C’est à dire que si on transpose ici dans le registre de la méthode de voir à partir de quel moment et comment l’enfant lui-même va pouvoir s’approprier cette expérience, c’est à dire la faire gagner différents niveaux de son appréhension, que ce soient des niveaux supérieurs, logiques, textuels ou rationnels etc. ou que ce soient des niveaux inférieurs. Et comment va t-il pouvoir les intégrer tous ces niveaux là ?

Là il nous manque aussi d’une certaine façon, je dirai en tous cas le discours mais aussi peut-être d’avoir réussi à comprendre exactement quel sens cela commençait à avoir pour les enfants, surtout quel sens ils arrivaient à donner à tout cela avec un certain recul ? On a pu pendant une dizaine d’années se dire maintenant ils sont encore petits pour leur demander : et toi est-ce que cela te fait du bien, est-ce que tu as l’impression quand tu re-songes à tout cela que c’était intéressant, que cela nourrit ? Ou bien est-ce que tu n’as rien à en dire ? Ou bien… etc.

Et donc c’est comme la marche aussi, c’est une anecdote puisque ma copine a eu la polio et elle m’a toujours raconté que sur le chemin de l’école il y avait une personne qui lui expliquait comment elle devait tenir son cartable parce qu’elle marchait très mal évidement, petite fille avec son lourd cartable, et que pour lui faire plaisir elle changeait la position de son cartable et elle n’arrivait plus à marcher, et que aussitôt qu’elle était hors de son champ visuel, elle remettait son cartable dans la position qui déplaisait à cette voisine - ou ce voisin, dans ma tête c’est une voisine, je ne sais pas pourquoi - et puis qu’elle remarchait toujours aussi mal, mais au moins avec son cartable placé du côté qui lui convenait. Donc ce repérage était de dire : bon, je dois céder devant ce pouvoir adulte là, mais à un moment donné je ne serai plus sous ses yeux et ce sera mon affaire.

Tout n’est pas dans ce que nous parvenons ou non à identifier comme qualité ou comme défaut dans cette méthode...

Comment finalement laisser cette méthode faire en sorte qu’elle devienne l’objet d’une intégration pour les enfants eux-mêmes, et leur affaire... Et à partir de quel moment est-ce que l’on peut aussi se dégager en disant voilà tout simplement on a créé un cadre, on a pensé que cela pouvait être intéressant mais finalement tout cela n’a d’intérêt que parce que cela nous a plu et parce que éventuellement cela vous a plu aussi.

Je crois que c’est une forme de repérage auquel justement la visée scientifique, puisque l’on prenait cette image de l’expérimentaliste, nous a conduit à renoncer... Dans la conception contemporaine de la science que le sujet ait mal, qu’il soit content de voir arriver quelqu’un qui s’occupe de lui, qui le regarde, c’est suspect.

Et là aussi c’est intéressant de voir que cela nous aide à nous décaler par rapport à ce modèle là, pas forcément à donner une grande place au sujet, ni à inverser les rôles... je ne sais pas vraiment où cela mène mais en tous cas c’est aussi un espace de jeu qui peut-être pourrait nous aider à réfléchir à des conceptions de la construction du savoir sur le monde dans lesquelles le monde a quelque chose à dire, il a voix au chapitre et peut-être que d’une certaine façon, nous avec notre prétention de le comprendre, on ira mieux aussi...

Je crois que ce sont des horizons lointains, je ne pense pas... on ne peut pas dire que cette méthode offre des garanties...

Au contraire, elle pourrait bien, si on n’y fait pas attention, enfermer encore plus les enfants dans une situation de choses que l’on gère avec un bon dispositif bien pensé... c’est un peu un danger qui nous guette.

De toutes façons comme nous vieillissons et que nous nous fatiguons et que les enfants grandissent, ils auront le dernier mot... donc, le temps joue contre nous, cela nous donne le droit de parler.

Cela a l’air d’être un superbe dernier mot...