Méthode Thys

TD201

Thierry De Smedt – second entretien, le16 février 2000

Dans un premier temps, je voudrais réagir à l’articulation du Jeu des Parties et du Tout avec la phase Tohu-bohu, ou d’improvisation à tour de rôle. Moi, j’ai eu le découpage et le regroupement qui ont été fait autour des sept thèmes, et donc j’ai fait des schémas, j’ai essayé de relier des idées ou d’en introduire, de me poser des questions et je me rend compte que cette lecture a engendré chez moi plus de questionnement que d’envie… d’affirmer des choses etc.
J’ai l’impression que dans la relation de la réflexion collective, j’ai eu la sensation d’avoir un sol de personnes qui pensent etc. et maintenant j’ai plus envie de leur lancer des questions plutôt que de continuer à nourrir la base affirmative sur laquelle nous étions arrivés suite aux questions que Isabelle et Didier avaient formulées, les huit cents cinquante-neuf questions…

La première question, c’est que moi aussi je me rends compte en lisant les autres que j’avais du mal à articuler la question du Jeu des Parties et du Tout et la question du Tohu-bohu alors que je me souviens que dans l’imagination de ce système j’avais pris une part assez importante et que c’était notamment moi qui était arrivé avec l’idée qu’il fallait introduire l’écriture des signes, la notation dans ce système, que l’on ne peut pas rester indéfiniment dans cette perspective Tohu-bohu ou dans cette improvisation soi-disant libre.
Et donc, je voudrais partir d’une phrase que dans ma mémoire j’attribue à Isabelle - mais si je me trompe elle me démentira, je cite de mémoire : "Dans ce dispositif, on peut voir quelque chose comme la relation entre science et éthique".
Dans un premier temps, c’était qu’est-ce que cela signifie ? Parce que lorsque je lis science, moi peut-être dans un sens trop restreint, je pense au système de la production du savoir scientifique, je ne pense pas que c’est dans ce sens là que le terme s’applique ici, c’est stock de savoirs peut-être plus que le processus qui a conduit à élaborer ce stock de savoirs, je crois…
Donc on pourrait assimiler le terme science dans ce sens là à un dispositif au sens où ce stock est constitué et qu’on le découvre au moment où nous arrivons à la vie, à travers les études etc. Qu’il existe un pensé et que ce pensé fait en quelque sorte cadre, qu’il organise ce que je peux dire de moi-même, ce que je peux savoir du monde.
Et on pourrait dire alors que la science agit comme un dispositif au même titre que le rond avec les chaises qui introduit une différence entre un dedans, un dehors, la chronométrie de l’atelier qui a un début, une fin etc. Et donc à ce moment là, on pourrait dire que c’est au fond la science par son existence qui engendre ou pourrait engendrer ou devrait engendrer ou parvient ou pas à engendrer un espace éthique. C’est à dire au contraire, une espèce de cavité vide dans laquelle tout en n’ignorant pas la science et en la sachant présente, quelque chose est à composer dans une relative originalité.
Et donc si j’essaie de développer moi-même cette opposition entre science et éthique en essayant de voir dans quelle mesure elle éclaire l’atelier, je me dis que l’on pourrait effectivement se demander alors comment la science pourrait-elle être un bon dispositif ou un dispositif susceptible d’engendrer de l’éthique immanente, donc cette éthique qui surgit dans l’action à travers les contraintes que le dispositif donne ?
Alors on en vient à la question que j’essaierai d’évoquer tout à l’heure : on avait dans les interviews précédentes beaucoup parlé de la valeur de la réussite et de l’échec dans ce dispositif, à l’intérieur du dispositif on renonce à l’établir mais c’est vrai qu’alors, la question se transfère au niveau du dispositif, en disant qu’est-ce qu’un bon dispositif ?
C’est à dire un dispositif qui est justement capable de créer les conditions de production éthique dans la tonalité où on le souhaite, non pas comme application de principes exogènes qui règlent alors les critères de réussite et d’échec mais bien en tant que création dans l’action, dans l’urgence, dans l’enchaînement des postures réciproques des personnes qui s’y trouvent etc.
Alors si on prend ce point de vue là, on pourrait dire que le dispositif initial crée, si il est bon, un espace de production éthique et alors survient la question du fait que l’on ne veut pas que cette production fasse dossier, c’est à dire que l’on ne veut pas que de l’extérieur on la relise, on la synthétise, on l’analyse à partir d’une grille et que l’on reconstruise le discours sur le passé en disant "en fait, il s’est passé ceci" – surtout pas vis-à-vis des enfants, on peut s’interroger là-dessus entre observateurs extérieurs, mais on ne va pas revenir dans l’arène en disant "tu as très bien joué, tu aurais du laisser plus de place à un tel, pourquoi tu as toujours pris l’instrument le plus fort"…
J’essaie d’exprimer toutes les attitudes les plus opposées à ce que l’on imagine sur cette production éthique. Mais alors, la question est justement comment peut-on inscrire ce rapport dispositif et éthique dans une perspective évolutive, c’est à dire qu’il puisse malgré tout engendrer quelque chose de plus durable que la simple magie de l’instant où un geste s’est fait et où on n’a plus, à condition d’avoir filmé, que quelques images vidéo sur lesquelles on s’interroge etc. Donc comment rendre productive, féconde, vivante cette éthique ?
Et c’est là où je pense qu’au fond cette éthique doit se trouver les moyens pour à son tour produire de la science. Mais pas de la science de l’observateur extérieur qui vient à nouveau à l’aide de ses grilles tenter d’organiser le récit de ce qu’il pense avoir vu, mais à travers l’histoire même de cette expérience éthique comment peut-elle elle-même être autre chose que le perpétuel surgissement du nouveau, la fraîcheur de la naïveté etc. Sinon à ce moment là on pourrait dire qu’il y a quelque chose, à la limite, "d’asilaire", c’est à dire qu’au fond… c’est la foire, c’est le carnaval, on a vécu très fort, on se sent mieux quand on sort mais finalement cette expérience reste perpétuellement oubliée etc.
Donc la question c’est comment finalement ce dispositif produisant de l’éthique peut-il, je dirai, produire de la science, c’est à dire engendrer lui-même des dispositifs où les sujets si on prend en terme de psychologie – je n’aime pas ce terme de sujet parce que l’on dirait qu’ils sont assujettis à quelque chose, on peut dire les enfants qui y sont – où donc les enfants qui y sont acquièrent de l’autorité, c’est à dire deviennent auteurs de quelque chose

Parce qu’en fait le dispositif est au départ un acte d’autorité, parce d’abord il a été imaginé donc auteur au sens littéraire mais aussi parce qu’il s’impose à travers malgré tout même si Hervé dit qu’il n’a pas de force, il a quand même la préséance, le fait d’avoir été conçu que les enfants y apparaissent, que les enfants s’y mettent.
Donc c’est un dispositif autoritaire…

I.S. En tous cas ces enfants-là. Il a été élaboré avec d’autres enfants mais pour ceux-là…
Pour ceux-là il est toujours préexistant, même si le regard du pédagogue ou l’éducateur est très interrogatif, essaie de comprendre et voudrait se nourrir de ce que les enfants y font, mais malgré tout il y a quand même un acte d’autorité.
Je pense que soit il faut essayer de casser cet acte d’autorité mais alors il faut renoncer au dispositif, soit il faut essayer de voir comment ce dispositif peut conférer progressivement aux enfants qui y sont une autorité. Ce serait bien s’il y parvenait parce qu’il pourrait réaliser ce souhait d’autonomie que tout processus éducatif porte en lui.
Alors c’est justement, en tous cas dans notre tradition culturelle – on va avoir à débattre peut-être sur d’autres types de culture, c’est probablement l’écriture qui encore aujourd’hui est la technique d’autorité.

C’est à dire c’est le moment où à travers l’acte d’écriture, l’invention, la création, l’éthique cherche un outil pour subsister dans son résultat. Résultat engendrant un nouveau dispositif, nouveau dispositif agissant comme cadre et comme science par rapport - si il est bon – à un nouveau projet de produire de l’éthique à partir d’une situation immanente et l’on rentre dans une génération nouvelle de dispositifs… Je ne sais pas si je suis très clair ?
Donc dans ce cas là on pourrait imaginer ou concevoir en tous cas, le Jeu des Parties et du Tout comme un dispositif visant à donner autorité aux enfants en leur montrant ce que notre société a développé dans sa tradition comme technique d’autorité, c’est à dire technique permettant de transformer l’éthique immanente à son tour en un nouveau dispositif qui est au fond sa mise à l’épreuve. C’est l’improvisation de l’improvisation.
Quand j’improvise, si j’ai les moyens techniques de créer un dispositif, une forme subsistante, une sémiologie qui m’indique… qui va jouer à ce moment là comme nouveau dispositif, ce nouveau dispositif se trouve lui-même à l’épreuve pour voir si il est capable d’engendrer lui-même, enfin d’engendrer… si il est capable d’actualiser une nouvelle éthique. Si il n’y parvient pas, alors il faut retourner en arrière et dire au fond cette production d’auteur n’a pas été un bon dispositif, elle a inhibé, empêché l’émergence ultérieure d’une éthique.
Alors, j’avais même essayé de faire rentrer cela peut-être dans la lecture que Daniel Stern faisait du babil.
Je cite de mémoire, il disait que le babil était une technique provoquée par la maman, donc un dispositif visant à intégrer le plus vite possible la langue. Et dans ce cas là on peut dire que la langue apparaît aussi comme une technique comparable à sa façon à l’écriture, c’est à dire comme une technique inventée par les hommes pour faire autorité. Ce qui peut peut-être alors nous aider à comprendre la place de la langue dans des sociétés qui n’auraient pas d’écriture.
Mais on serait alors devant le même phénomène, on pourrait, en tous cas dans cette lecture là, le Tohu-bohu au babil, l’écriture à la langue, non le dispositif permettant d’écrire, ce n’est pas l’acte d’écrire.
Et l’acte d’écrire, le Jeu des Parties et du Tout en tout cas sa première phase, c’est à dire disposer des signes qui vont à leur tour servir de dispositif pour créer un nouvel espace d’interprétation, d’occupation, de production d’éthique, ce serait le passage de l’ordre de la langue à la parole. J’intègre un système de signes que je n’invente pas, que la société me donne en disant voilà c’est comme cela que l’on fait, c’est un peu comme la machine, on met la machine en disant voilà tu as un espace pour écrire des traits, c’est comme cela que l’on fait. Il y a une aiguille qui indique le temps qui passe qu’il y a une espèce de passage de l’index du pointeur, c’est à dire de l’écriture, sur la feuille et on dit c’est comme cela que l’on fait, c’est à dire que l’enfant ne peut pas dire…

Je reprends, on pourrait dans cette mesure là assimiler comme l’a fait Daniel Stern ou rapprocher Tohu-bohu et babil. Le dispositif permettant de noter avec l’index mobile qui traverse la feuille à la langue, c’est à dire quelque chose qui n’est pas choisi, on ne choisit pas sa langue, on l’intègre de toutes façons et on n’a même pas à se poser la question de savoir d’où elle vient.
Et la première partie du Jeu des Parties et du Tout, c’est à dire l’écriture à la parole, à la parole chez Daniel Stern, c’est à dire à la production sociale d’une combinaison linguistique… qui de nouveau peut, la langue peut être conçue aussi comme un dispositif et la question est : est-ce que la langue permet à la fois cette mise en forme de messages mais aussi cette capacité pour un individu original qui est là à un moment donné d’exister, d’apparaître et d’y développer justement – je reviens avec l’idée que j’aime bien – d’y développer une éthique, c’est à dire d’actualiser sans le savoir ou de produire peut-être des valeurs mais pas dans une référence qu’il appellerait ou qui serait censée l’organiser au départ mais dans sa prise de parole même ?
Cela poserait beaucoup de problèmes aussi parce que si on dit cela, alors il faut admettre que la langue est vectrice de valeurs préexistantes et elles diffèrent, la langue identifie le verbe, le sujet, le complément etc. et donc d’une certaine façon on pourrait dire qu’elle est déjà un découpage, elle est une science aussi…

I.S. Nietzsche avait dit : c’est la syntaxe qui fait de nous des chrétiens…
Et oui, exactement. Et donc cela pose la question de savoir si la langue est un bon dispositif ?
Et cela pose aussi le problème de l’existence simultanée de plusieurs types de langue dont par exemple le langage musical comme étant une façon d’échapper à la suprématie trop puissante et du point de vue de Nietzsche trop dévastatrice, nuisible d’une langue qui parviendrait par sa totalité à devenir la seule façon de produire du sens.

I.S. Oui dans le Jeu des Parties et du Tout les enfants développent plutôt des idiomes…
Oui, ils développent des idiomes mais en même temps, le rapport surface à inscrire et temps qui passe est déjà une certaine lecture de l’histoire, du monde etc. On pourrait imaginer que l’index soit rond, à ce moment là on obtiendrait une vision du temps où forcément on est toujours ramené là où on a déjà été.
Et donc on voit que le dispositif machine à marquer le temps et partition à noter est porteur de valeurs, comme la langue est porteuse de distinction entre le sujet, le verbe, le complément et donc se réfère peut-être à un certain type de relation à Dieu. "Dieu crée la Terre" etc.

I.S. Mais pour relancer la chose parce que cela m’intéresse beaucoup…
On pourrait dire que la notion de signe, au sens où la linguistique la fait communiquer avec signifiant/signifié crée, on pourrait dire, une forme d’autorité parce qu’au moment – et c’est bien cela qui arrive avec les enfants de Stern au moment où ils passent du babil au langage – si je dis non ou table ou quelque chose, je fais confiance que la personne qui m’entend entendra la même chose.
Donc quelque part je fais autorité…utilisant un signe, j’impose à quelqu’un… de penser à quelque chose, donc je peux me poser…

J’impose à quelqu’un de penser quelque chose, oui. Dans une vision pragmatique où… cela veut dire aussi qu’à travers la langue la parole gagne une valeur incantatoire, c’est à dire qu’il me suffit de dire mon père pour activer… pour le faire être.
On le fait être dans l’imaginaire etc. et vous ne connaissez pas mon père, vous ne savez pas qui c’est mais de toutes façons vous savez de quoi il s’agit d’une certaine manière. Et donc c’est aussi un acte d’autorité, de façon comparable à la baguette magique : c’est un instrument qui me permet d’agir sur le monde.
Mais l’autorité suppose d’abord un instrument pour agir mais suppose aussi… on pourrait à ce moment là définir la mauvaise et la bonne autorité. Si je dis que la bonne autorité est celle qui contient dans sa mise en œuvre la possibilité d’une existence éthique au sens où on l’a définie tout à l’heure, ultérieurement on pourrait dire c’est une bonne autorité elle est positive, elle est bienveillante, elle ne ferme pas l’histoire.
Mais la mauvaise autorité serait alors l’autorité qui… cela c’est un des thèmes que je voulais proposer, je voulais parler de la perversion. Comme étant peut-être une façon de parler d’une autorité qui justement endigue, qui va empêcher… qu’elle ne rendra plus possible une vie éthique, c’est à dire une interprétation, une production plus libre du sens après qu’elle soit passée par là. L’herbe ne repousse plus sous le sabot du cheval d’Attila, c’est la mauvaise autorité, quand il est passé la vie est morte.
Alors on pourrait dire voilà donc Attila est un pervers… ou peut-être même son cheval, d’ailleurs.

I.S. Mais tu te souviens de la scène que Stern décrivait de cette petite fille qui justement à l’âge où on commence à devenir auteur de ce que l’on dit, racontait à elle-même sa journée etc. on pourrait dire qu’à ce moment elle expérimente avec les mots la possibilité de redevenir auteur de ce qu’elle a vécu…
Très probablement…
Tu peux le dire ? Parce que… Tu vois ce que je veux dire parce qu’il y a cette expérimentation où grâce au langage on… On fait l’expérience de l’action sur le monde, sur soi-même…
Oui, c’est la puissance du langage, on fait l’expérience de l’autorité. L’enfant à qui on donne une lampe de poche, il va tout éclairer du bout de sa lampe de poche pour expérimenter la puissance que lui donne justement cet objet. Et donc c’est vrai que dans le récit que Stern fait de cette fille qui raconte le récit de sa journée à voix haute, et bien on pourrait dire si on la met là-dedans qu’elle expérimente l’acte de produire une parole, c’est à dire de manipuler correctement la langue. Et peut-être expérimente-t-elle le fait de savoir si c’est un système qui lui fait du bien ou qui lui fait du torts ?
C’est une interprétation possible, elle met à l’épreuve à la fois sa propre capacité à produire une parole mais aussi sa capacité à vivre à l’intérieur de la parole qu’elle s’entend produire…
Mais elle devient aussi auteur de sa journée…
Ah mais bien entendu. Elle construit une histoire, elle l’articule…
Je pense que tu en avais parlé aussi dans une longue intervention sur "raconter l’histoire"…
Je pense comme cela avoir mieux situé et avoir moi-même essayé de comprendre la continuité qui existait entre le Tohu-bohu et l’improvisation au sens de l’Atelier et le passage au Jeu des Parties et du Tout.
Il est évident que la première partie du Jeu des Parties et du Tout consiste à écrire, à comprendre ce dispositif, à mettre un signe visuel sur la partition et la deuxième est justement la mise à l’épreuve de la qualité de cette écriture ou de son rapport à cette écriture en essayant de produire quelque chose, en essayant d’actualiser justement ce projet mais de l’actualiser malgré tout avec une valeur ajoutée, c’est à dire un apport interprétatif.
Je ne me considère pas si je joue la partition du Jeu des Parties et du Tout comme un ordinateur qui transforme fidèlement des instructions en productions sonores. Justement toute la question c’est justement l’interprétation : j’avais un projet et maintenant ce projet je le contemple en dehors de l’acte par lequel je l’ai écrit, je n’en vois que le résultat, c’est à dire sa mise sur le papier. Et cette mise sur le papier devient pour moi à nouveau un dispositif.
On pourrait imaginer que si l’opération réussit en quelque sorte, si le dispositif du Jeu des Parties et du Tout est un bon dispositif, il confère aux adolescents, aux grands enfants qui le font une autorité. Donc en les introduisant à la manière dont dans nos sociétés certaines personnes pratiquent l’écriture, construisent des textes à partir de leur mise eux-mêmes dans un dispositif d’invention, création, écriture.

I.S. Si je peux prolonger ce que tu dis, ce qu’il y a d’éventuellement intéressant c’est que le mot autorité a beaucoup changé. Auparavant, au Moyen-Age, "autor" c’est les grands que l’on déchiffre, avec l’invention de l’imprimerie deviennent auteurs beaucoup plus de gens et dans la contemporanéité, tout auteurs d’un livre ou d’un texte devient auteur… et ici on pourrait dire que cela fait autorité mais cela retransforme le sens du mot auteur encore une fois puisque l’auteur fait autorité mais la portée de son autorité n’est pas liée à son originalité… son autorité ne fait plus jugement. Parce que les autorités dans l’ère de l’imprimerie c’est tout de même des auteurs qui doivent ne pas copier, être fiables, originaux… il y a toute une série de contraintes qui pèsent sur celui qui peut se dire auteur tandis que maintenant ces contraintes deviennent… ne font plus l’objet de jugement…
Mais mon plaisir à penser l’autorité dans cette perspective où c’est vrai la punition et le jugement s’estompent au profit de l’interrogation en disant est-ce que je vis bien ou est-ce que j’en ai marre de quelque chose - dans quel cas il faut que j’essaie d’improviser, d’interpréter afin d’essayer de me re-dégager un espace libre ?
Ou est-ce que c’est à l’inverse dans ma liberté que je suis insatisfait et que je demande à un texte de me structurer - parce qu’il va m’obliger à sortir d’une spirale dans laquelle je me sens prisonnier ? Les deux figures sont possibles.
La figure du texte contraignant ou la figure d’une liberté contraignante dont le texte constitue un dispositif de propulsion parce qu’il me confronte à une idée que je n’avais pas ou il me propose de jouer un rôle que je n’avais pas tendance à jouer etc.
Donc cette idée de moins grande répression, de force répressive, je ne sais pas si elle est nouvelle.
Moi, ce qui me plaît dans ce terme d’autorité c’est justement son ambivalence.
C’est que cela donne aussi l’idée de quelqu’un de très haut, de très puissant, de très créateur etc. mais aussi de quelqu’un de faible parce qu’il se met en cause, parce qu’évidemment la personne qui a écrit une loi peut se faire entarter !
Donc il se met aussi… toute règle est en question, justement… contrairement à ce que dit le droit : pour le droit les bonnes règles c’est justement celles que l’on ne peut pas transgresser.
Une règle que l’on peut commencer à transgresser il faut se demander si elle est valable, toute la discussion sur la limitation de vitesse : à partir du moment où tout le monde la dépasse est-ce qu’il ne faut pas la monter ? Il y a toute une série de gens… quelle est la valeur de la règle pour eux ?
Mais donc revenons à cette idée du caractère ambivalent du terme autorité : moi, j’ai l’impression que ce n’est pas une nouvelle forme d’autorité. Pour moi, c’est plutôt la forme fondamentale de l’autorité qu’à tout moment l’institutionnalisation de l’autorité tente de supprimer. Cela veut dire à ce moment là que l’anarchie est une exigence permanente, elle n’est pas un moment historique où avant il y avait de l’autorité et après il n’y en aura plus.
L’anarchie c’est - à la limite, on va fort – la condition même d’être auteur, mais cette possibilité chaque jour se repose, elle n’est pas la fin justement d’une autorité trop prégnante.

I.S. Même Aristote dont les textes allaient faire autorité dans l’époque médiévale, il s’exposait dans l’acte où il gérait son premier moteur immobile comme il pouvait… dans ces textes justement…
Oui, oui, oui… C’est aussi ce que dans le Jeu des Parties et du Tout par exemple, je crois qu’une des composantes c’est le respect de ce que j’ai écrit, c’est à dire donner autorité à l’autorité.
Le respect mais pas au point de devenir de nouveau simple ordinateur exécutant d’instruction mais à condition que cette écriture que j’ai moi-même écrite dans le jeu, ou que j’ai écrite pour mon partenaire puisqu’il y a plusieurs façons de jouer le Jeu des Parties et du Tout, cette écriture soit à la fois respectée mais soit aussi un bon dispositif c’est à dire un dispositif qui laisse à l’interprétation la possibilité d’exister c’est à dire à être une nouvelle production de sens et non pas une réplication à l’identique de ce que le programme voulait faire.
Voilà, je pense avoir dit ce que je souhaitais sur le Jeu de la Parties et du Tout.

Maintenant reviennent un peu les choses sur lesquelles je m’interroge.
J’enchaîne sur la question "le but du dispositif n’est pas de produire des conduites ou des productions sonore à propos desquelles on pourra décréter qu’elles sont bonnes ou pas, c’est précisément ce qu’il s’interdit de faire".
Mais je pense qu’à ce moment là la question de la réussite ou de l’échec se reporte sur le dispositif lui-même et donc la question devient "qu’est-ce qu’un bon dispositif, comment construit-on un bon dispositif ?"
Si on applique les raisonnements qui ont été construit et que pas mal de gens dans le groupe semblent partager, le bon dispositif est celui qui permet l’émergence d’actions éthiques et productrices d’éthique en son sein. Et dans ce cas là on pourrait dire que le mauvais dispositif c’est celui qui ne permet pas et là me vient l’idée que celui qui ne permet pas nous conduirait peut-être à la définition de la violence. On pourrait dire à ce moment là en inversant que la violence c’est la mise en place ou l’usage de mauvais dispositifs.
Alors j’ai été revoir parce que j’avais participé à une rencontre d’été sur la violence à l’école et je me souviens qu’un orateur avait dit qu’au fond dans les formes de violence si il fallait les définir on voit un certain nombre de caractéristiques. La violence pour lui impliquait la mise en œuvre d’une technique, ce qui est je trouve assez intéressant.
La violence ne s’exerce pas directement, elle est médiée par une technique. Elle provoque aussi… cette technique a pour but apparemment d’instrumentaliser la victime, la victime entre dans un rapport instrumental avec son bourreau. Ce que je trouve assez intéressant parce que cela peut ressembler effectivement à l’idée d’interprétation impossible.
Donc quand un dispositif rend l’interprétation impossible : la question de l’éthique ne se pose plus, c’est l’accomplissement simplement d’instructions, d’instructions qui en plus sont technicisées donc qui ne prennent pas de formes sémiotiques contestables mais sont de l’ordre de la machine, de l’outil etc. et donc par conséquent la victime se trouve instrumentalisée.
Et si je me souviens bien un troisième critère de la violence : elle ne donne pas la possibilité à la plainte d’exister. Les grandes douleurs sont muettes, on pourrait dire justement que les grandes violences sont justement très difficiles à détecter parce qu’on entend rien. Quand une violence marche, quand elle est bonne, c’est à dire qu’elle est mauvaise du point de vue éthique, elle ne fait pas de bruit, il n’y a pas de sang qui coule ou le sang peut être attribué à une hémorragie interne etc.
Alors cela veut dire que la réflexion sur le bon dispositif se connecte très rapidement à une réflexion sur la violence, c’est une réflexion qui me vient à l’esprit. On pourrait dire que dans la recherche du bon dispositif il y a une option non-violente et pourtant – c’est cela qui me pose un problème – le dispositif est technique. Il donne lieu malgré tout à une certaine instrumentalisation de la personne qui s’y soumet, elle est quand même inscrite dans un espace technicisé et donc quelque chose comme l’instrumentalisation existe…

I.S. Attends est-ce qu’entre technique et instrument tu ne…c’est pas là qu’il faut ralentir ?
Peut-être, je ne sais… Tu veux dire que le dispositif serait celui qui n’instrumentalise pas ?
Je veux dire la notion de technique… entre tous les définissants de l’homme il y a certains qui disent c’est "l’animal technicien", qui fabrique des choses…
L’animal violent…
Non, non cela on va y venir mais par contre l’idée que quelque chose est un instrument c’est à dire quelque chose qui est librement manipulé par quelqu’un c’est pas une définition de la technique. Quand tu travailles sur ton ordinateur il n’est pas un instrument… Tu vois ce que je veux dire ?
Non, mais il peut l’être, on va y venir justement, c’est tout l’enjeu, c’est de ne pas… c’est que je puisse échapper… Justement… Que je puisse avoir autre chose qu’un rapport d’instrument avec l’ordinateur, je peux être moi-même l’instrument de l’ordinateur… Non, non mais justement le rapport entre instrument et technique, la question n’est pas forcément qui est instrument de l’autre mais qu’instrument c’est une sous-définition de la technique. Où le rapport est unilatéral, où vraiment il y a une inscription fin-moyen…
Oui mais dans l’idée de la technique aussi quand je dis que dans la violence il y a instrumentalisation de la victime c’est à dire qu’il y a quelque chose comme une certaine qualité, la qualité instrumentale des objets techniques qui finit par se reproduire ou placer la victime de la violence dans la même position. Elle devient à son tour instrument, il y a contamination… cela se serait peut-être le mauvais dispositif.
Mais alors il faudrait essayer de voir quels sont les types de mise en œuvre, si on est d’accord, si on pense pouvoir réfléchir dans cette direction… qu’est-ce qui fait l’instrumentalisation, qu’est-ce qui dans un dispositif technique l’engendre ou ne l’engendre pas ?
Il y a un autre aspect : est-ce qu’un bon dispositif, en l’occurrence celui sur lequel on réfléchit, donne possibilité à une plainte ? C’est une question, si on veut qu’il soit bon, qu’il ne soit pas violent, il faut par conséquent qu’une plainte puisse exister, plainte comme signal d’instrumentalisation, je ne sais pas… C’est une question…

D.D. Quand les enfants font cela (se bouchent les oreilles) est-ce que tu trouves que ce serait dans l’ordre de la plainte ?
Cela dépend comment on l’interprète, beaucoup de personnes l’ont dit, les premières fois dans leur phase d’exploration du dispositif ils ont un stéréotype quelqu’un fait du bruit, oh cela va trop fort, je me bouche les oreilles et je cherche du regard l’adulte comme pour invoquer tu m’as vu, j’ai vu, on ne pouvait pas faire cela… on a l’impression qu’ils s’adaptent à un système sans pouvoir encore le comprendre et l’inertie du système et de l’adulte qui est là peu à peu rend cette conduite non-pertinente puisque apparemment elle ne produit pas de sens, les enfants l’abandonnent.
Mais justement je reste avec cette question où sont les plaintes des enfants ?

I.S. Est-ce que l’on ne pourrait pas dire que justement le dispositif fait la différence entre plainte et en appeler aux adultes puisque justement les adultes n’interviennent pas, sauf si il y a véritable danger ou dérapages ?
Donc la plainte n’est pas interdite mais c’est à eux de l’entre gérer et effectivement de temps en temps il y a un enfant qui est privé d’un instrument par un autre…

Oui, et alors il doit découvrir une éthique de la prise de position, de l’expression. On pourrait alors définir la plainte comme étant l’appel à un tiers. C’est vrai que la violence produite par l’appel à un tiers et si il y a expression de quelque chose dans l’instrumentalisation la relation fait que le bourreau ne peut pas… la demande de la victime est irrecevable pour lui.
Et on pourrait imaginer que le dispositif rend justement impossible la formulation d’une plainte vis-à-vis d’un tiers mais rend très possible la possibilité de réplique et donc la possibilité d’un rééquilibrage d’une relation si un partenaire la sent trop insatisfaisante et que c’est justement à ce moment là la clôture qui montre que à l’intérieur de ce champ : réglez-vous, inventez-vous des relations où systématiquement vous n’êtes pas trop souffrant parce que de toute façon tant que vous êtes dans le cercle les plaintes sont inutiles mais par contre vous avez une autorité dans votre relation, c’est peut-être une façon de voir les choses.

Alors, vient une autre question qui complique encore les choses : c’est qu’il y a d’un côté les dispositifs, dispositifs pouvant être bons ou mauvais, mais il y a aussi la question du rapport, du rapport d’usage, au dispositif.
Cela c’est une autre relation, une autre difficulté que je rencontre. Il me semble que peut-être un dispositif a une portée par sa configuration technique mais aussi peut-être que la relation que l’on peut avoir à un dispositif n’est pas neutre. Que cela soit en philosophie, en psychologie, dans le domaine de la dialectique du maître et de l’esclave, dans le domaine de la psychologie où on voit le désir d’être victime, besoin victimaire etc., on se rend compte qu’un dispositif cela se vit et cela peut se vivre de façons différentes.
Et donc le dispositif n’est pas le seul à faire autorité, la relation à l’autorité que chacun parvient à développer est elle-même chargée… elle donne lieu à des possibles différents. Je pense que c’est une dimension que l’on n’a pas encore abordée dans nos réflexions.
Si je vais au théâtre, je peux très bien être très mal à l’aise par rapport au même dispositif, à la même pièce de théâtre, être très mal à l’aise en disant je me sens contraint par cette pièce, en disant elle me met dans une position que je n’aime pas, et en même temps me servir de cette contrainte pour par exemple produire une critique virulente ou pour avoir envie à mon tour de faire une pièce qui détruit cette pièce là ou je ne sais pas quoi. Et donc la possibilité qu’un épisode réussi par rapport à un dispositif vaille aussi dans la façon dont l’enfant s’inscrit lui-même dans ce dispositif.
Quel est l’angle sous lequel lui-même peut l’entrevoir ? J’avais un collègue, un jeune assistant très brillant qui a étudié le dispositif informatique comme justement la promesse d’une expérience heureuse. C’est à dire en disant l’informatique - c’est un peu son approche, il était sociologue - ne permet pas de faire des choses absolument extraordinaires mais simplement pour le moment nous croyons qu’il y a moyen de faire des choses intéressantes avec cela et cela suffit.
C’est à dire que la relation que nous avons à l’objet, qu’il soit bienveillant, qu’il ne le soit pas lui-même dans ses possibilités, est une relation positive et les gens se rassemblent autour de l’informatique. Et les gens… globalement il y a un a priori positif alors que c’est un outil qui impose d’énormes contraintes, qui oblige à tout revoir, à tout recomposer mais il y a comme un enthousiasme collectif à y aller.
Et cela montre aussi que le dispositif n’a pas tout à dire, que la question est aussi quelles sont les attitudes que l’on peut prendre par rapport à un dispositif ? On a aussi beaucoup… enfin j’entends beaucoup cette réflexion, qui à la fois me choque et puis en même temps je n’arrive pas à la démentir, que c’est souvent dans des systèmes politiques policiers très forts etc. que la pression de la liberté de pensée est forte comme si le côté je dirais entre guillemets méchant du dispositif obligeait les gens d’une certaine façon à transcender leur position de victimes et finalement les rendait plus "auteurs", si on revient dans la terminologie, que si ils avaient eu un dispositif moins coercitif, juste etc.
Je me pose un problème qui est de savoir : d’un côté un dispositif peut avoir des qualités mais de l’autre côté il y a quelle est la qualité des rapports que les gens peuvent avoir avec ce dispositif… et là je me sens très dépourvu.

I.S. Pendant l’occupation, les gens ont vécu cela à l’université de Bruxelles qui a fermé pendant la guerre… l’auto organisation clandestine qui a permis aux étudiants de suivre des cours et d’ensuite aller passer leurs examens à Leuven ou à Liège, leur a laissé un souvenir… Ils se sont dit l’université ne sera plus jamais comme avant parce que l’on a appris à avoir une autre relation… et il y a en qui ont été brisés par le fait que la norme étant revenue, cela a recommencé comme avant, sans l’urgence etc.
Par contre, si tu regardes le dispositif infernal que créaient les chasseurs de sorcières arrivant dans une ville, en Espagne par exemple, là c’était dénonciation et si on n’a pas dénoncé, on est soi-même dénoncé. Donc là il y a quelque chose qui coupait totalement toute possibilité de…
Donc il y a des temps de guerre où on est créatif mais il y a aussi des manières d’atteindre directement…

C’est pour cela que je suis mal à l’aise…
C’est ce qui se passe actuellement dans les entreprises, quand on met différents départements en concurrence les uns avec les autres… c’est un dispositif qui ne permet plus de créer…
C’est cela, il provoque le replis désespéré… de chacun contre tous, là on crée la loi de la jungle. Je ne sais pas si elle a été à l’origine mais…
Cela voudrait donc dire que le dispositif a d’un côté pour fonction d’être le réceptacle d’une conduite éthique c’est à dire d’une invention de relations affranchies de références préalables mais qu’en même temps il est éducatif parce qu’il forme – non, qu’il permet l’évolution chez les enfants du rapport à l’autorité.
C’est à dire aussi en disant : quand le dispositif est mauvais cela ne me sert à rien de pleurer sur le dispositif, que cela ne me sert à rien du jouer sur le plan de la plainte, que je ne peux pas faire appel à un tiers pour qu’il intervienne… il n’y a pas de grand Schtroumpf et que donc c’est au niveau de ma capacité d’improviser, de contre-improviser par rapport à ce dispositif que je dois m’arranger, me débrouiller…
Et donc cela complexifie la question de la mise au point d’un bon dispositif parce qu’à ce moment là il doit répondre à deux critères... qui sont d’ailleurs assez disjonctifs : soit le dispositif permet un épanouissement heureux de l’action, soit l’action s’épanouit de façon malheureuse mais à ce moment là elle doit engendrer une attitude face au dispositif dans lequel l’enfant devenu victime s’invente une relation à la norme qu’il sent, une relation à la technicisation du dispositif telle qu’il puisse malgré tout affirmer son existence, s’inscrire etc.
Donc on a au fond deux niveaux : un dispositif permettant des conduites, un dispositif engendrant une relation au dispositif.
C’est une dimension que je propose enfin, on m’interrogeant à mon tour sur les textes qui ont été produits.

I.S. Mais au fond, l’un des traits communs que cela peut susciter, toutes proportions gardées, entre le dispositif et l’ULB en temps de guerre : c’est que dans les deux cas, il n’y avait pas d’autorité à laquelle on pouvait adresser une plainte…
Cela ne servait à rien de pleurer… Il n’y avait pas quelqu’un qui pouvait donner raison ou torts, cela dissociait ce que l’on appelle plainte et ce se plaindre à…
Oui, mais l’autorité était devenue mauvaise. Donc aucune médiation n’étant possible cela ne servait à rien d’en appeler à l’occupant en disant finalement on n’est pas très bien ici… parce qu’ils nous auraient répondu c’est précisément pour cela que je suis venu… Donc mauvais père, de toutes façons il faut se débrouiller.
Et à ce moment là, le dispositif étant mauvais, il avait néanmoins la vertu d’engendrer une relation à ce dispositif qui restaurait justement la création politique, la création de structures clandestines autogérées… Enfin moi je n’ai pas connu cela donc je ne sais pas ce que c’est mais enfin j’imagine que cela doit être quelque chose dans ce genre là. Mais donc cela donne une double portée au dispositif : l’action et la possibilité d’une relation à la contrainte.
Alors on pourrait évidemment poursuivre cette question et voir dans quelle mesure on pourrait la relier par exemple au passage du babil à la parole ou comment peut-elle s’intégrer dans une lecture du dispositif le "Jeu des Parties et du Tout" mais je ne vais pas jusque là, j’esquisse simplement la possibilité de réfléchir ce double sens ou cette double couche du dispositif…
Peut-être il y aurait des choses à penser, ou peut-être serait-ce une façon de les repenser en disant tiens ils peuvent jouer sur deux niveaux… parce qu’il y a quand même une relative disjonction entre les deux niveaux.

I.S. Tu peux rappeler les deux niveaux ?
Le premier niveau c’est celui qui tombait sous le sens c’est à dire le dispositif est un système technique au sein duquel une conduite éthique peut s’engendrer.
Et le deuxième niveau : le dispositif est un système technique qui par sa présence engendre – permet – conduit les personnes qui sont soumisses à ce dispositif à évoluer ou non dans leur relation au dispositif… qui s’applique à l’exemple de l’ULB et de l’occupation allemande où il ne servait à rien de se plaindre, le dispositif était mauvais, la pratique de l’enseignement et de la recherche scientifique n’était plus possible dans les structures officielles… donc il fallait à l’intérieur de ce dispositif reconstruire un dispositif.
Mais ce dispositif n’a pas été engendré par les créateurs du premier ; il a été engendré par les créateurs de l’autre, ceux qui y étaient soumis. Et cela c’est leur relation au dispositif. On peut aussi imaginer… c’est tout l’enjeu d’un système d’éducation qui donne à chaque citoyen de repenser l’Etat, repenser le cadre institutionnel dans lequel il vit. Soit en essayant de s’y inscrire dans une conduite de premier niveau, une conduite éthiquement réussie pour l’appeler comme cela, soit… par sa propre relation au dispositif en investissant dans le dispositif par la production d’un autre dispositif.
Cela c’est tout le problème de la relation à l’autorité, je suis dans l’autorité de quelque chose, d’un dispositif ou de quelqu’un, qui a fait celui-ci et qu’est-ce que je peux faire ? M’y épanouir ou… parce que il y a toujours cette possibilité : je peux aussi m’y complaire et m’installer assez voluptueusement dans mon rôle de victime…

I.S. Et cela c’est toute la différence… Latour a fabriqué une différence entre ceux qui grogne et les types de groupes où justement une parole s’articule… et qui va compliquer la vie sociale comme par exemple les consommateurs qui ne veulent pas des OGM et qui ne se bornent pas à grogner mais qui commencent à compliquer tout le bazar.
Et qui s’intéressent à la production des OGM alors que quand on est consommateur on consomme, quitte à ce que très silencieusement on choisisse de ne pas en prendre mais s’intéresser à leur production et essayer de normer leur possibilité même d’exister dans les rayons, cela c’est créer un nouveau dispositif et là on est dans le rapport… et justement là toute la question est quand même je peux être victime un peu complice d’un dispositif et comment arriver à…
Le bon dispositif serait celui qui ne permettrait pas à la victime de se complaire sa position de victime…