H.T. Chez d’autres enfants, les passages à vide chez moi sont dus à ce que je ne marche pas, pour des mauvaises raisons, parce que je n’ai pas su tout aimer, tout apprécier, parce que je suis formé d’une certaine façon, je recherche ou je reconnais certaines choses. Mais indépendamment de mes goûts, je crois voir apparaître des enfants structurés, ou des enfants qui ont quelque chose à dire. Toutes les productions sont aussi importantes pour l’enfant, on sent très bien qu’il est en train de se dire ou de nous dire, puisqu’il sait qu’on l’écoute, des choses importantes pour lui.
Maintenant Vanessa qu’on va mettre maintenant - je crois qu’on a mis treize, quatorze minutes sur le disque - c’est une enfant qui avait six ans à l’époque, des parents dans une situation financière extrêmement misérable, habitant le quartier de la rue Royale et qui se trouvait à l’école avec vingt-quatre enfants, et elle était la vingt-cinquième, la seule belge. Toute la situation était extraordinaire parce que tous les enfants jouaient leur culture et qu’elle était toujours présente dans le maniement des instruments et toujours étrangère au groupe. Alors quand sa cassette sort du sac, je lui fais signe quel instrument, elle choisit le piano, au bout de trois minutes où elle joue, j’éteins la lumière rouge, mais ils ne connaissent pas encore, c’était la première séance, ce qui fait que tous les enfants groupés autour du piano n’ont pas observé que le rouge qui interdisait le bruit s’était éteint, et elle continue vingt-six minutes avec tous ces enfants qui écoutent ou en tout cas qui la regardent. Il m’a semblé qu’elle était coincée au point de chercher une porte de sortie quelque part, au bout de vingt-cinq, vingt-six minutes son regard croise le mien dans une sorte de silence, et je lui fais signe que c’est fini, et elle dit oui, et tout le monde était sauvé puisque ouf pour tout le monde… Mais au fur et à mesure qu’on entend son oeuvre, il semblerait qu’elle ne pouvait pas continuer du point de vue production, c’est cela qui est tout à fait étonnant, parce que plus on écoute l’œuvre plus on a à faire à une oeuvre qui a un début, un commencement, une fin,
piano
H.T. Quand on l’a prise à douze ans, on retrouve de nouveau… elle explore tellement de choses, et c’est d’une richesse d’invention, qui perpétuellement est remise en question par elle-même. Elle écoute ce qu’elle fait. Après cela il faut décompresser pendant, un quart d’heure, une demi-heure avant de mettre une musique "normale"…
X Il y a quelque chose de systématique dans sa façon d’échapper à toute forme de code qui fait parfois un peu peur, mais d’autre part je trouve que cette fois-ci j’entre un peu dans son système… j’ai l’impression de voir un visage, une physionomie, une personne qui est tout sauf un enfant. Il y a quelque chose de très déterminé qui ne correspond pas avec une certaine image que j’ai de l’enfance, voilà tout ce que je dirais,
M.C. moi au début, j’ai trouvé cela très ennuyeux, un chemin qui n’a l’air de ne mener nulle part, je ne trouve pas de structure et puis tout à coup, je ne sais pas dire très bien à quel moment, il y a quelque chose qui se construit avec des agrégats sonores mieux identifiés, mieux contrastés, avec des moments où j’ai l’impression d’entendre, je ne sais pas, des choses très calmes, très douces, un peu à la Debussy, à d’autres moments du Ravel, extrêmement inquiétant et très étrange, très ténébreux, des recherches de contrastes très forts, elle joue dans les graves, puis elle cherche le contraste. Hervé va hurler, j’aurais envie moi de dire je mets cela sur une table et je fais des coupures, il y a des moments où c’est ennuyeux, ce n’est pas bon, et puis il y a des moments extraordinaires, et donc j’aurais envie de jeter les chemins qui ont l’air d’être des impasses…
H.T. les moments pas bons, ils font partie des moments extraordinaires tout en restant pas bons, c’est un tout,
FB : au début c’est ennuyeux et puis on sent des structures qui se mettent en place, et il y a plusieurs sites d’exploration qui se succèdent, il y a des explorations de sonorité, il y a des explorations d’harmonie, il y a des explorations de temps, de tempo, et tout cela s’explore l’un après l’autre, et cela avance dans une espèce de structure .... et puis il y a d’autres moments tout à coup où elle ne sait plus très bien où elle en est, et puis tout à coup elle repart sur quelque chose qui la relance dans un nouveau passage qui devient intéressant et c’est fascinant à voir. J’ai écouté et j’avais l’impression de la voir au piano et de voir ses expressions, ses hésitations, de suivre ses sentiments au moment où elle explorait les choses et j’ai l’impression de vivre avec elle à travers cette exploration du piano et des possibilités du piano à différents niveaux, sur différents registres, et cela m’a impressionnée. Avec cela, c’est vrai, on n’est pas tout le temps pris, on n’est pas tout le temps d’accord, mais on voit ce qu’elle veut faire. Il y avait des moments ou j’avais envie de la voir en vidéo, pendant les silences, pour voir si c’était des silences qui avaient besoin de s’insérer entre différentes musiques ou si c’était des silences où tout à coup elle tombe dans le vide parce qu’elle ne sait plus ce qu’elle veut faire et que cela repart au bout d’un petit moment…
H.T. je propose demain matin de commencer par dix minutes de Vanessa en vidéo, comme cela on aura dormi sur cette musique parce qu’il y a quelque chose que j’aime beaucoup dans ce que vous avez dit, vivre avec elle, cette force, où elle vous emmène. Par contre vous avez tous les deux dit "au début, c’est ennuyeux". Est-ce que ce n’est pas vous au début qui ne saviez pas quoi faire avec ce n’importe quoi, parce que ce n’est pas du tout n’importe quoi,
D.S. je suis d’accord avec tous les trois, c’est fascinant, cette expression de vivre avec elle. C’est très bien dit, parce que je me trouvais vraiment fasciné par la question de ce qu’elle va faire dans la prochaine seconde. Et elle a aussi un style qui est très…, le rythme est très lent et puis on voit où elle va et j’ai l’impression que parfois elle devient impatiente avec sa propre recherche, c’est à ce moment-là où elle devient ennuyeuse... comme tu as dit, autrement elle t’emmène avec une grande sûreté,
H.T. Elle n’improvise pas. Vous êtes d’accord, ce n’est pas de l’improvisation. Il faut connaître les possibilités d’un instrument pour improviser, et ce qui me fascine c’est qu’elle est coincée dans une production mais elle ne peut pas faire autrement… avec une liberté inimaginable de l’invention et la possibilité de repartir autrement. Ce n’est pas du tout comme Sara qui est vraiment côté motricité, avec des agrégats qu’elle ajoute les uns aux autres. Ici on dirait qu’elle a toutes ses possibilités d’explorer autre chose,
I.S. moi c’est le contraste qui me frappe. Quand il y a improvisation on sous entend toujours entre parenthèses musicale, c’est-à-dire qu’il y a une espèce d’homogénéité de la définition de ce qu’est la musique et des improvisations. Et je suis sûre que si on avait des enregistrements neurophysiologisques on verrait ce n’est pas du tout le même exercice, que c’est un synonyme. Que c’est une expérience, une exploration, complètement différente où le cerveau, le cou et les mains sont articulés différemment, où les rapports d’anticipation etc... sont différents…
D.S. on a l’impression qu’elle attend de voir ce qu’elle va faire,
M.C. et puis qu’elle incroyable confiance pour faire un truc comme cela, quand on à six ans, jouer pendant aussi longtemps,
I.S. peut-être qu’elle était la seule petite autochtone comme on dit, et là, tout à coup, elle a eu l’occasion de faire entendre sa voix,
T.D. : Je voudrais peut-être aborder cette question du collectif, c’est quand même frappant de voir que les autres, comme tu disais, ne se taisent pas parce qu’ils sont obligés, mais peut-être parce qu’ils participent silencieusement au travail que fait Vanessa…
T.D. : en écoutant je me disais justement "qu’est-ce qu’ils sont en train d’entendre". Parce que ici tout le monde est là en train de regarder, en train de parler en s’écoutant, mais on est en train d’écouter, ici, on a pris une position plus particulière. Tandis qu’on les entend, il y a plein de choses très très fines qui se passent tout le temps…
T.D. : Ce qui me semble apparaître, c’est que pendant qu’elle joue, ils participent à cette recherche. Ils bougent mais en même temps il y a comme une forme d’attention, ils ne sont pas absents à ce qu’elle fait, ils sont bien là. Je me demande si finalement il n’y a pas véritablement un collectif qui est en action là…
H.T. ce qui est assez étonnant dans ce groupe c’est qu’elle a une personnalité qu’elle peut cacher et tous les autres ont une façon collective d’être, de chanter, de jouer la musique, c’est collectif. S’il y en a un qui chante une chanson turque, les autres applaudissent. Cette enfant, nous l’avons retrouvée à 12 ans et on a réenregistré à 12 ans au piano dans la même situation, et elle était passionnée par les possibilités du clavier, et nous lui avons laissé un clavier pour qu’elle puisse faire ce qu’elle voulait chez elle. Elle a 18 ans maintenant, nous pourrions très bien la retrouver parce qu’on avait de très très bons contacts, c’était une enfant unique dans une famille vivant dans une seule pièce bourrée d’animaux en peluche et un grand chien, ici en ville dans un quartier assez misérable. Est-ce qu’on peut terminer avec Sara parce que là je soulève autre chose : le sonore, qui est arrivé bien avant le langage parlé, ne traverse-t-il pas notre histoire, n’est-ce pas quelque chose de plus primitif, qui ne fait pas partie de l’humain et qui petit à petit fait partie de l’humanité.. Donc est-ce que par le sonore on ne peut pas retrouver le corps qui, alors, doit cohabiter avec un cerveau évolué, un cerveau de langage et un cerveau avec une conscience supérieure ? Pour vous illustrer cette chose, je vais vous montrer un groupe, des enfants de six ans, déchaînés, et vous allez voir Sara encore plus déchaînée que les autres. Il ne faut pas oublier que à l’époque les garçons et les filles ne pouvaient pas se toucher à l’école et ici ils s’embrassent, et la maîtresse d’école qui était là ne bougeait pas. Je vais vous montrer une scène que nous appelons la scène primitive où Sara à la timbale hurle. Parmi tous les bruits je ne crois pas qu’on entende sa voix mais elle a la bouche grande ouverte, elle hurle et elle déchaîne chez d’autres enfants une scène que nous appelons primitive parce qu’il y a une petite fille qui s’étend par terre et des garçons vont faire semblant de l’assassiner en sautant à tour de rôle sur la petite qui est étendue. Donc je crois qu’on peut appeler cela un tohu-bohu parce que les instruments ne sont pas apprivoisés, il y a vraiment un déchaînement sonore qui correspond à un déchaînement de motricité et de comportement. Et tout de suite après je voudrais mettre trois minutes d’une petite fille dans un autre groupe : c’est son tour de se mettre au piano, et elle produit quelque chose qu’on ne peut comparer qu’à de l’Alban Berg. C’était le propre de cette enfant-là de faire ce type de musique mais ce qui est arrivé d’étonnant c’est que dans le même groupe il y avait un petit garçon roux que vous allez voir qui depuis le début, (on est ici environ à la sixième, septième séance), n’avait pas arrêté de taper sur d’autres enfants, sur leur tête, avec des trompettes, avec des violons, avec tout : il tapait, il tapait, et les autres enfants rouspetaient mais ne pleuraient pas parce qu’il ne tapait jamais très fort. Je me suis demandé pendant des mois comment arrêter cet enfant qui faisait ce que normalement à six ans on ne devrait plus faire… et ce jour-là, au moment où la petite fille se met au piano, il vient la regarder, mais la regarder avec ce regard qu’on trouve dans la petite fille qui joue de l’harmonica, il essaye de capter un quelque chose, et quand c’est terminé, il va essayer au piano d’imiter, il n’y a pas d’autres mots, en tout cas de se mettre dans la peau de la petite fille. Et à partir de ce jour-là il n’a plus jamais tapé sur la tête de qui que ce soit, il s’est mis à explorer tous les instruments qu’il avait à sa disposition.
Samedi matin
projections avec commentaires
D.S. : on vit avec elle, elle nous porte avec elle, et j’ai l’impression qu’elle est toujours surprise elle-même et qu’elle cherche toujours. Elle a la tâche difficile de mettre ensemble deux choses qui sont liées mais différentes, parce qu’en fait elle peut faire un geste et puis elle sent ce geste.. J’ai eu l’impression cette fois qu’une grande partie de l’inventivité sort du corps et l’autre partie sort de l’oreille, et une grande partie sort de la mise ensemble des deux. Ce qui est fascinant parce que normalement on sait les résultats de ce qu’on fait avec les mains, on a une maîtrise de l’outil, qu’elle n’a pas, et dans ce sens-là en fait c’est une double inventivité, une triple inventivité…
H.T. : dans l’audition de Sara c’est tout à fait différent puisque Sara se lance, et on a l’impression qu’elle n’écoute pas, qu’elle n’a pas de retrait sur ce qu’elle fait. Mais Sara ce sont des productions de trois minutes qu’on a mises bout à bout et qui sont espacées de plusieurs semaines, où elle reprend comme si elle y avait pensé tout le temps, où elle reprend au même endroit.
D.S. : oui mais lorsque j’ai entendu hier, ce n’était que la musique et j’ai pensé que toute l’inventivité sortait des oreilles si l’on peut dire. Maintenant je vois que ce n’est pas le cas, qu’une partie sort de son corps physiquement, qui n’a rien à faire avec le son, et puis cet aller-retour entre les deux…
oui mais si je me souviens bien un jour je vous ai entendu dire, je pense que vous parliez de la multi-modalité, et vous disiez que la séparation entre une figure et sa forme sur un canal particulier était une distinction très construite culturellement. On pourrait dire aussi qu’elle est multi-modale, c’est-à-dire qu’elle fait des formes qui ont à la fois des équivalents kinesthétiques, posturaux, etc. Peut-être même on verrait son regard bouger ou aller vers des objets etc... et ses doigts bougent et en même temps elle travaille la forme sonore. Peut-être qu’il n’y a aucune distinction pour elle entre,
I.S. : je crois tout de même qu’il y avait une grande partie aussi de "ces doigts-là cela fait longtemps qu’ils n’ont plus rien fait, ou "cela fait longtemps qu’il n’y a que cette main-là qui travaille". On a deux mains et dix doigts, c’est très multiple,
FB : c’est une complémentarité, il y a des moments où elle ne sait plus ce qu’elle doit faire, ou ce qu’elle veut faire et puis elle cherche et puis tout à coup il y a un doigt qui vient ou il y a quelque chose, on sent très bien que cela passe de l’un à l’autre. Ce n’est pas forcément ensemble, et cela se complète parce que n’ayant pas de maîtrise de l’instrument et de ses facultés par rapport à l’instrument, il faut bien qu’elle utilise différents modes pour trouver quelque chose qui sorte, qui s’exprime. Moi j’ai l’impression que c’est indispensable ces différents modes, ce n’est pas une difficulté, c’est le contraire, un support,
T.D. : mais je dois dire qu’elle les combine avec un savoir-faire extraordinaire, il y avait notamment ces moments où elle fait une longue note tenue en résonance à la main gauche qui sur un très bon piano dure longtemps etc... et elle place là-dessus des petites étincelles dans l’aigu sans du tout que son mouvement de la main droite soit envahi par celui de la main gauche et vice versa. Je ne sais pas si elle pense en acte de complémentarité mais elle distribue très bien son jeu, elle ne se sent pas obligée de tout bouger,
I.S. Cela a l’air très obstiné, elle cherche obstinément comment faire jouer ses deux mains ensemble,
H.T. comme pour Sara, nous lui avons reproposé un piano et elle a refait comme Sara quelque chose qui est un prolongement de ce qu’elle avait fait ici. Est-ce qu’on passe à la vision des partitions ?
A propos des partitions, il faut souligner qu’il y avait une certaine tension chez ces enfants comme une mission. On a confirmation aussi bien à Bâle qu’à Genève que l’enfant est surentendu à un point où on se demandait parfois si on pouvait leur demander cet effort où ils transpirent, si la main droite utilise un instrument, la main gauche est crispée tellement l’effort est énorme. Quand on les a interrogés, c’était des dix ans, onze ans, à Bâle, ils ont dit c’est très difficile ce que vous nous demandez : en même temps suivre le dessin que nous avons fait, l’écriture, puis jouer d’un instrument, et observer le métronome..., on veut bien recommencer mais quelle difficulté,
H.T. les trois modes différents, ils disaient que c’était difficile,
H.T. Je pose la question à Daniel, est-ce que l’enfant ne perd pas sa capacité inter-modale pour pouvoir devenir un adulte comme tout le monde... est-ce qu’il n’y a pas une faculté que nous perdons nécessairement par les études et qui sépare alors les choses ? Il y a l’anecdote d’un professeur qui dit à un élève "tu t’appelles comment ?", je m’appelle Daniel - ah j’ai un ami qui s’appelle Daniel également, dit le professeur, pourrais-tu écrire son nom ? Et l’enfant dit mais quel âge à ton ami. Le professeur répond, comme moi, cinquante ans. Et l’élève : ah non je ne peux pas écrire son nom. Alors ces enfants à qui on propose de faire trois choses à la fois cela apparaît pour eux extrêmement difficile. Ici on va donner un extrait si vous voulez bien de Sébastien de Genève. Vous allez voir une succession de Sébastien jouant seul ou jouant avec d’autres. La partition n’est donnée qu’à des enfants qui ont déjà expérimenté les différents instruments au moins pendant un an, et on leur propose à ce moment-là de faire un dessin dans une case, qu’ils choisissent l’instrument qu’ils utiliseront : ils inscrivent leur nom, le nom de l’instrument et ils font un dessin. Par après ce dessin sur la partition va être mis sur un pupitre, et ils mettront eux-mêmes en marche une aiguille qui est celle de trois minutes, une minute et demie, cinq minutes suivant l’âge de l’enfant. On leur propose donc de faire un dessin en prévision d’un instrument qu’ils joueront, et ils le font entendre. Et puis à la séance suivante un autre enfant va dessiner un projet en miroir, en réponse par rapport au premier. A Genève, à tous les enfants on a proposé leur production sans aiguille qui avance, et ils ont tous fait un tout petit peu plus, ou un tout petit peu moins longtemps. Mais une enfant qui s’appelle, coïncidence, également Vanessa a poursuivi son geste pendant onze minutes, et quand on a essayé d’attirer son attention, elle a dit "je suis là", un point précis de son dessin. Donc elle poursuivait son projet sans l’aiguille et son déroulement du temps n’avait plus rien à voir avec le temps convenu…
projection
D.S. : il y a une partie ici qui est tellement kinesthétique. On peut faire une analyse de ce qu’il a fait, il y a peut-être six mouvements qui sont à lui, et en fait ce qu’il fait c’est une sorte de réactions de ces mouvements avec les sonorités. Ces mouvements sont déjà à l’intérieur de lui, mais la musique est quelque chose qui va être créée grâce à ces mouvements et qui va revenir et qui va ajuster ce répertoire de mouvements…
H.T. donc il fabrique son style et tout cela va disparaître au bénéfice de quelque chose de beaucoup plus diminué. On avait cela également avec une autre enfant, cette enfant qui a fait vraiment une musique inimaginable de rêve... On continue la fin de cette séance-là,
projection
Y.d.L. Est-ce qu’il y a déjà eu des enfants qui avaient suivi des cours de musique pour un autre instrument qui ont participé à cette étude ?
H.T. oui il y en a eu. Ici nous sommes dans un conservatoire, mais ici ils utilisent les instruments comme des trompette, comme des timbales qu’on ne leur donne jamais au début de leurs études dans un conservatoire. Donc ils sont confrontés directement à une situation dont ils ne connaissent pas le maniement,
Y.d.L. Est-ce que vous avez fait l’expérience de commencer le tohu-bohu après avoir eu une période de défoulement à l’extérieur, par exemple dans un préau ?
H.T. Non parce que cela ne nous regarde pas ce qui arrive avant. Nous organisons un dispositif à une certaine heure, mais ce qui s’est passé avant ne nous regarde pas. A propos des partitions, ce qui est intéressant c’est que cela a été controversé. Daniel, tu as émis beaucoup de réticences, Hermann Sabbe également. Ce que je dois rappeler c’est que le tohu-bohu, toute la première partie sans partition, est sorti de ce que j’appelle le terrain, par des expériences bêtes : on va leur donner des instruments, on va voir ce qu’ils font faire, etc... Petit à petit les règles sont sorties et on a là une situation qui nous semble bétonnée et qui ne pose pas de question sauf qu’on ne comprend pas toujours ce qu’il s’y passe. Mais au niveau de la partition on n’est nulle part. Il s’agit de quelque chose que nous avons amené Henriette et moi parce que à 9 ans, 10 ans on sentait bien que les enfants n’allaient pas continuer, que surtout les parents et les professeurs et l’école n’allaient pas accepter qu’ils se défoulent et qu’ils fassent n’importe quoi. On a eu une expérience à Bruxelles qui a été très claire, ils avaient 12 ans, ils sont venus, ils ont fait des tohu-bohu, ils ont fait des choses très sensationnelles, et il y avait le message des professeurs, vous faites les idiots, cela ne tient pas debout, vous n’êtes pas raisonnables, vous n’êtes pas de votre âge. Alors nous avons envoyé une petite lettre à chacun en leur disant, comme dans les Novotel, "content, pas content, suggestion" etc... Ils ont tous, je crois, répondu qu’ils étaient contents, mais ils ont dit "nous voudrions un jeu, nous voudrions qu’il se passe quelque chose". Impossible de savoir s’ils en avaient réellement envie ou s’ils étaient télécommandés par les professeurs… Alors on leur a amené la partition… Nous avions fait un grand carton d’architecte dans lequel se trouvait une partition enroulée, des bics, des crayons, tout cela était très rutilant, il fallait que, à la fin d’une séance ils emmènent ces trucs avec eux et que la fois suivante ils le ramènent avec un dessin … ils pouvaient demander chez eux conseil à qui ils voulaient. A la fois suivante, aucun n’a ramené un rouleau et personne n’avait fait quoi que ce soit. Je crois qu’ils étaient tout contents d’avoir les bics mais ils n’ont jamais rien ramené et je me suis retrouvé confronté à des professeurs qui se frottaient les mains, vous voyez bien c’est trop difficile pour eux… A ce moment-là je me suis jeté à l’eau en leur disant "mais écoutez ce n’est pas difficile". Heureusement il y avait une partition vierge, qui veut essayer ?, j’en ai pris deux et je leur ai fait remplir la partition, puis il y en a un qui s’est mis au piano, un qui s’est mis avec je ne sais plus ce qu’il a choisi, l’aiguille s’est mise en marche, ils ont été absolument fascinés par cette aiguille et par les silences qu’ils avaient mis…ils s’arrêtaient au moment du silence, etc... cela fonctionnait à merveille et ils ne sont plus revenus, on n’a jamais su exactement pourquoi… Au fond les professeurs avaient gagné, on ne les a plus vus… Alors on a repris cette partition à Bâle pour des 12 ans, on l’a réexpérimentée à Charleroi maintenant, et puis on n’est nulle part, on ne maîtrise rien, tout est encore à faire pour comprendre, à expérimenter, etc... Donc je comprends les réticences et pour moi elles sont justement le seul sujet à discuter, savoir à quel âge, comment, que pouvons-nous faire,
M.C. mais quel est le but au fond ? Est-ce que le but c’est simplement dire, ils ne vont quand même pas faire du tohu-bohu pendant des années,
H.T. : J’étais convaincu à l’avance que tout être humain peut faire du tohu-bohu pendant toute sa vie et découvrir les possibilités de la matière sonore, l’organiser comme il a envie, mais qu’il n’ose pas : il y a un blocage au niveau de la société, au niveau même de l’enfant lui-même "je ne suis plus à l’âge de m’amuser bêtement". On est toujours à l’âge de s’amuser bêtement. Donc l’idée était si nous n’inventons pas un jeu, ils ne vont plus venir, donc nous ne pourrons plus les interroger au niveau du domaine sonore… Au niveau des adolescents, des 18, 20, 25 ans, 50 ans, avec Anne à Charleroi on a un atelier électroacoustique sur le même principe : le technicien se met à la disposition du groupe et dans ce groupe on a actuellement un homme de 50 ans et une enfant de 12 ans qui produisent un projet à partir d’instruments muets.. donc on est tout à fait dans la même dimension et là cela marche parfaitement, là on peut continuer toujours, on peut mélanger les âges, quel que soit l’âge ils sont intéressés à une organisation du son qui vient d’eux, où il n’y a pas quelqu’un qui leur dit "cela c’est bon, cela c’est mauvais, voilà comment vous devez faire".... mais enfin c’est un autre domaine. Le problème c’est que nous avons senti que l’enfant grandissant avec la pression des adultes qui leur disent "devenez des adultes comme nous, nous sommes les modèles, cessez de faire les cons", se trouve dans l’impossibilité surtout à 9, 10, 11 ans de trouver sa joie. On a l’expérience à Charleroi actuellement : nous avons ouvert un atelier à des 12 ans qui n’avaient pas eu de tohu-bohu, qui n’avaient pas été accueillis avant, ils sont arrivés, ils étaient assez peu nombreux parce que là également le conservatoire avait envoyé un message "c’est idiot n’y allez pas". Il y en a quand même 4 qui sont venus, une qui est partie tout de suite en disant ce n’est pas pour moi, et les trois autres ont pataugés, n’arrivant pas à utiliser la partition, n’arrivant pas à faire les cons, et tout doucement on a vu apparaître des comportements d’enfants de 6 ans chez les 12… Je ne crois pas qu’aujourd’hui on peut parler de cette histoire-là, mais c’est une grande joie parce que j’ai raté tout ce que je leur proposais, ils ont tout refusé, ils ont pris leur liberté à eux pour faire ce qu’ils voulaient : ce qu’ils voulaient n’a aucun intérêt sauf que c’est vraiment ce qu’ils voulaient, et donc ils n’avaient pas la possibilité de le faire généralement…. On pourrait revenir à la partition…
I.S. A Genève, ce que j’ai capturé de la position de départ de Daniel, c’était, "tiens cela introduit une norme d’écriture qui constitue un type de pédagogie vers la musique". L’intérêt du tohu-bohu c’est que ce n’était pas quelque chose de centré autour de l’apprentissage de la musique mais voilà que la partition nous ramenait à un projet pédagogique visant la musique au sens écrit/exécuter. Pour moi, qui n’y connaît rien à l’écrit musical, aux partitions, etc..., c’était plutôt une complication, enfin une épreuve, mais qui restait du même ordre que le tohu-bohu. C’est-à-dire que ce n’était pas plus de la musique que le tohu-bohu, enfin c’était tout aussi indéterminé quant à qu’est-ce qu’un son, qu’est-ce qu’un projet, qu’est-ce que le temps, etc... Tout simplement cela créait une nouvelle tension, mais ce n’était pas une pédagogie évaluable à partir d’effets d’apprentissage de la musique.
H.T. : A partir du moment où on leur donne pas de modèles, où on ne les critique pas, pour moi il n’y a aucun projet pédagogique. Si dans un conservatoire ils prennent le truc pour l’intégrer dans un projet pédagogique tant pis, tant mieux, ce n’est pas mon affaire, je ne peux pas les en empêcher, mais ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. Je préférerais qu’on ne mette pas les pieds dans les conservatoires, là où justement ils ont des projets pédagogiques, qu’on laisse le tohu-bohu, qu’on laisse la partition indépendants de tout projet qui mènerait l’enfant quelque part. Je pense que les enfants apprennent à écrire à l’école, je pense que les enfants dessinent et je ne pense pas que les enfants puissent vivre en vase fermé en ignorant l’écriture, la lecture, etc... Pour moi au départ c’était simplement une complication qui devait les accrocher quelque part, comme si sur la partition ils faisaient un petit pipi personnel qui leur rappellerait qu’ils sont liés à la situation. Donc le dessin qu’ils font, je m’en fous complètement, je souhaite qu’ils s’en foutent eux également, le but n’est pas qu’ils prennent ce dessin comme un projet qui va structurer leur production sonore, c’est simplement qu’ils sachent que c’est eux qui vont produire un projet sonore.
M.C. on a compris Hervé que finalement ce n’est pas ton truc la partition, c’est finalement une concession que tu fais, et tu récupères la concession en disant, ben ils vont faire un petit pipi odorant qui va peut-être leur restituer leur territoire, c’est une manière d’occuper un espace, sonore au départ, espace sonore qui est important mais tu fais une petite concession en disant cela ne leur fera pas de tort de marquer leur territoire, trouver le style,
H.T. l’intérêt de la partition c’est le jeu à deux, c’est la relation à l’autre, cela me paraît fondamental,
FB : Mais si le dessin est quelque chose où la partie graphique est aussi peu en relation avec la musique, le son, est-ce qu’on pourrait imaginer que au lieu de faire un dessin ils fassent un modelage, ou qu’ils utilisent une autre technique pour compliquer la situation ?
H.T. je ne peux pas imaginer qu’on amène des objets qui ne sont pas sonores, une pâte à modeler, faites quelque chose et puis vous nous le ferez entendre. Pour moi cela ne me paraît pas pensable.
FB : je ne sais pas mais si le dessin est quelque chose d’aussi aléatoire, puisqu’il y a si peu de relation avec le sonore, pourquoi ne pas utiliser une autre technique,
I.S. Si on leur dit faites un modelage et puis jouez-le, on les met dans une situation terrible, comme si le modelage avait une valeur symbolique, comme s’ils devaient l’exprimer. Le dessin est moins chargé, plus indéterminé, on laisse indéterminé pour chacun le sens que cela a… Ce que je trouve très intéressant ce que le premier dessin c’est souvent un paysage et dans le second on voit les différents éléments du paysage qui vont être séquentiels et puis on voit le soleil, et puis on voit la mer et puis on voit le terrain et le bateau. C’est un peu le trajet des yeux, comme si ils s’apprêtaient à explorer chacun des éléments du paysage dans cet ordre-là, comme un oeil parcourt un paysage,
F B : donc pour revenir à cela, c’est bien un langage,
H.T. : Mais bien entendu c’est toujours un langage, mais à partir du moment où c’est indéterminé, à partir du moment où nous n’avons pas de possibilité de le comprendre, sauf que le langage par définition est de pouvoir communiquer, se comprendre. Ici personne ne leur demande ce qu’ils veulent dire. Si on prend un modelage, des billes, une construction de mécano, on passe tout à fait dans une autre dimension d’objets qui me paraissent venir encombrer l’imaginaire de l’écriture avec le sonore…
F B : ce que je veux dire c’est que même si c’est un langage personnel à l’enfant uniquement, on ne peut pas empêcher le conservatoire de le récupérer comme une forme d’écriture de la musique, donc il est tout à fait compréhensible que l’on utilise comme un projet pédagogique, comme une approche pédagogique dans le langage musical,
H.T. Le conservatoire ne m’intéresse pas très fort dans tout ceci, je ne peux pas empêcher qu’il existe des conservatoires, mais parler c’est beaucoup plus passionnant du côté de l’école…
I.S. Par rapport à ce qu’on avait dit hier pour le caractère kinesthétique de l’exploration des différents mouvements, ceci évidemment est une perturbation, On avait chaque enfant explorant sa gamme de mouvements, sa gamme de etc.. là il y a tout à coup un tiers qui s’introduit, qu’il a lui-même fait, mais qui le met dans une situation visiblement imprévue. Donc la question ce serait est-ce que en imposant de l’imprévu, on fabrique une norme ou bien est-ce qu’on permet à ce qui s’est déjà déployé de se chercher autrement,
D.S. Mais quand vous demandez le développement mélodique, la deuxième ligne, là chez Sébastien, le contrepoint…
H.T. oui c’était imposé par le conservatoire, pour moi c’est saugrenu, mais le conservatoire a imposé qu’on mette des mouvements mélodiques, ils veulent la mélodie, là où on parlait de "mise en forme". Et ils ont imposé le mot contrepoint, qui pour moi n’a pas de sens : ce n’est pas un contrepoint, c’est une autre forme de relation avec l’autre, c’est un répond peut-être mais pas un contrepoint. Le premier enfant a fait son projet, le second est placé dans une situation extrêmement différente puisqu’il est amené à regarder ce qui a été fait et à réagir à sa façon à lui. J’appelle cela un répond, eux veulent appeler contrepoint parce qu’ils ont justement un projet pédagogique,
D.S. on imagine, soit chez l’enfant, ou chez vous, qu’il y a une sorte de correspondance entre le son et la forme visuelle. Qu’est-ce qu’on leur demande aux enfants quand ils font leurs premières lignes, on leur dit faites un projet musical ?
H.T. il y a une pré-partition qui est une feuille avec simplement un nombre de lignes qui correspond aux minutes, mettons trois minutes, cela s’appelle "le temps qui passe", et on propose aux enfants de regarder cette partition pendant que l’aiguille avance, ils regardent et il y a un silence pendant ce temps-là puisqu’ils ne jouent pas. L’étape suivante c’est de leur donner une feuille complètement vierge en les disposant par terre, en leur disant dessinez ce que vous voulez, et il n’y a pas de notion d’instrument, il n’y a pas de notion de projet qu’ils vont lier à leur dessin, et nous ne leur demandons pas de nous faire entendre le dessin, parce que je trouve que cela serait une sorte de quiproquo de leur dire vous avez fait un dessin comme vous voulez, vous avez montré des nuages et maintenant faites-nous entendre ces nuages. Mais le but de la partition est de travailler à deux à un projet et de le faire entendre à deux, c’est la relation à l’autre, c’est-à-dire que l’autre existe. L’autre n’est pas seulement le solo qu’il fait, on l’écoute comme cela, ce n’est pas l’autre au niveau d’une improvisation collective ou à deux ou a trois. C’est l’autre dans un projet, où on va collaborer, on va travailler à ce que ce projet soit complété par l’apport de son style. Et là il faut bien passer par une écriture, on ne peut pas dire à l’enfant écoute, et maintenant fais nous entendre quelque chose qui apporte ta différence : la chose a disparu. Tandis qu’ici il y a une possibilité de relation, donc de projet de la relation à l’autre. Une feuille de partition 3 va chez un autre enfant qui choisit le même instrument ou un autre instrument et il fait un projet où le silence correspond ou ne correspond pas. Il y a des partitions où on voit qu’il regarde ce qu’il y a au-dessus et qu’il fait un projet en en tenant compte, par exemple, on voit que quand un des enfants avait fait un silence, l’autre à ce moment-là introduit un projet et arrête directement son projet quand l’autre reprend.
quand ils dessinent, est-ce que ce dessin est fonction d’une future musique ou bien ce dessin est fonction du temps, quelle est la première notion autre qui est accrochée ? Un dessin comme cela avec une ligne du temps pour les enfants de cet âge-là c’est très clair : c’est le game boy, un jeu où le paysage défile. La musique accrochée à un dessin qui bouge c’est tout à fait différent, c’est cela ma question. Quand ils dessinent quel est le contexte, est-ce qu’on leur dit à quoi ils vont l’utiliser plus tard ?
H.T. au moment où ils dessinent on ne leur a rien expliqué mais ils ont eu l’expérience du temps qui s’écoule sur une partition, il n’y a pas eu de dessin, il y a simplement l’aiguille qui avance par rapport au temps qui passe. Et ils connaissent les instruments puisque un an avant ils ont joué sur ces instruments. Donc ils ont accumulé un certain savoir mais nous ne donnons aucune explication sur quoi que ce soit,
F B : donc cela finit par un duo dans la réalisation,
H.T. au moment de la production ils jouent à deux, donc ils se regardent avant de commencer. Ils ont chacun leur partition, et quand l’aiguille arrive au bout ils arrêtent, et ce qui est très intéressant c’est qu’ils ont le comportement de quartettiste professionnels de 40, 50 ans : ils s’arrêtent à deux et ils ne savent pas très bien comment reprendre la vie normale avec les autres enfants. Donc là on introduit quelque chose que normalement on ne connaît qu’à 20, 25, 30 ans au niveau du quatuor, du duo, de la sonate, et c’est une relation à l’autre qui appartient au domaine sonore, qui n’est pas du domaine de la parole,
D.S. quand les enfants jouent en regardant la partition, et surtout l’aiguille qui bouge, est-ce que cela veut dire que il y a une performance riche ou un appauvrissement de la production de ce qu’ils font,
H.T. ils vont être d’une part reliés à l’instrument d’une autre façon qu’ils l’étaient précédemment et reliés à un projet d’écriture qu’ils prennent terriblement au sérieux même si ils ne peuvent pas la reproduire.
D.S. La question ici c’est qu’est-ce qu’on a ajouté. Si le but est que l’enfant soit amené vers la musique, qu’il puisse enrichir sa manière de réaliser la musique dans sa tête, et que on veut éviter tous les effets néfastes d’une pédagogie classique, garder l’aspect personnel, le style que nous avons parlé hier, c’est peut-être une très bonne manière de faire. Si cela c’est le but je me dis bon cela fait un certain sens et en fait là on peut discuter. Mais si on n’a pas ce but, je ne sais pas pourquoi c’est fait. Vous n’avez jamais dit que c’était vraiment le but,
H.T. mais le but me dérange tellement… il n’y a aucun but poursuivi,
Henr. T. il y a un but de progression quand même,
H.T. Non, la progression je la vois chez l’enfant parce qu’un enfant de 6 ans n’est pas un enfant de 3 ans, donc il y a dans la nature humaine des étapes... tout cela ne me regarde pas. Il n’y a pas de but, il y a la tentative de donner la possibilité de s’exprimer, quel que soit l’âge, sans modèle, sans critère de bon ou de mauvais, pour que chacun se débrouille avec ce qu’il fait, tu comprends, pour permettre justement au style de chacun de s’assumer, de s’introduire. Il n’y a pas moyen pour lui de ne pas s’introduire, mais au lieu de s’introduire comme Mozart dans une musique de son époque, la tentative est qu’il s’introduise dans quelque chose qui ne leur répond pas, c’est bon, c’est mauvais, vous réussissez, vous ne réussissez pas.
D.S. pourquoi veux-tu que les enfants s’expriment autrement, authentiquement,
H.T. parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement et que si on leur donne des moyens d’expression uniquement face à des adultes qui disent cela est bien, cela est mauvais, on les assassine, on les tue complètement,
I.S. De toute façon ils seront amenés à exécuter des tâches prédéfinies. On pourrait dire qu’il s’agit de les amener à habiter une situation qui ressemble à cela, qui peut-être met en branle le même genre de problématique cérébrale, de triangle entre quelque chose qui est là, quelque chose qu’on fait, quelque chose qu’on entend, etc... mais sur un mode tel que c’est justement l’exercice cérébral qu’il ressent et pas l’adéquation au modèle… une sorte d’exercice, pour qu’ils fassent l’expérience de ce que cela leur fait de vivre cela sur un mode où ce n’est pas surchargé en plus d’une adéquation au modèle. Moi je suis très contente de l’attention des enfants y compris de leur rétrécissement, pour moi cela veut dire qu’ils sont en train de rencontrer quelque chose de tout à fait différent, qui sera quelque chose qui n’est pas d’expression justement : tout à coup ils ne s’expriment pas, ils sont dans un autre problème que s’exprimer,
D.S. est-ce que l’idée c’est qu’il y aura finalement dans le monde la musique plus authentique ? Ou est-ce que le but c’est plutôt d’être garant d’une autre société ? Est-ce que le but est d’aider les gens à vivre plus authentiquement dans leur vie ou de produire les sonorités plus fascinantes ?
H.T. Il n’y a pas de but, il y a une tentative, comme Isabelle vient de le dire, d’empêcher que toute la société produise à l’avance ce qu’il faut produire et que l’enfant quittant le monde du babil et quittant le monde de l’enfance entre dans un monde assez terrorisant. Nous sommes en plein concours Reine Elisabeth, tout à fait passionnant puisque il y a des gens qui viennent du monde entier et qui à travers une musique qu’on connaît essayent d’intéresser le jury, essayent d’intéresser le public, à eux et pas au Concerto de Beethoven. Si ils jouent une sonate d’Ysaye ou n’importe quoi, on peut écouter de très bonnes versions chez soi, mais il s’agit de la confrontation avec un garçon ou une fille qui ont travaillé cette sonate d’arrache-pied. Il y a un modèle et on sait très bien qu’il ne faut pas faire une fausse note, et il y a un modèle esthétique également, c’est comme cela qu’il faut la jouer. Mais on leur donne l’ordre en même temps, le jury, le public : faites-nous connaître votre style à vous, votre confrontation avec le Concerto de Mozart, surprenez-nous, donnez-nous une version de ce Concerto de Mozart qui est la vôtre. C’est insensé, ce Concerto de Mozart c’est le piège absolu pour la plupart des musiciens de 20, 25 ans, ils font un Mozart le plus Mozart possible, et eux on ne les trouve pas, on n’arrive pas à les trouver. Alors j’ai passé mon temps à essayer, non pas de savoir où est Mozart, on le sait plus ou moins, mais de savoir quel est le style de cette personne, fille ou garçon qui est là. Cela pose énormément de questions parce qu’il y a très peu de marges pour lui de laisser passer son style. On voit énormément d’asiatiques, etc... qui font le plus beau possible, qui sont des machines techniques éblouissantes, là il n’y a pas moyen de savoir où ils sont. Il y a des jeunes qui entrent dans Mozart avec un enthousiasme, une sorte de pulsion qui naturellement ne correspond pas du tout à Mozart, pour autant qu’on puisse dire Mozart c’est cela, Mozart ce n’est pas du glissando perpétuel pour faire du jazz. Enfin pour autant qu’on admet que telle oeuvre, que tel compositeur, on peut plus ou moins cerner ce qu’il a tenté de nous transmettre à travers quelque chose qui est virtuel. Puisque les signes ne transmettent pas ce qu’il a fait, on est amené à en faire autre chose, mais si on ne peut pas faire ce que Mozart voulait, on ne peut pas faire n’importe quoi, tout le monde le sait. Alors j’ai vu spécialement des filles, et des garçons également, qui introduisaient une sorte d’enthousiasme de la vie qui pour moi était une catastrophe…
I.S. il me semble que Daniel avait demandé est-ce que c’est pour guérir ou est-ce que c’est pour produire un autre type d’initiation à l’écriture musicale et donc à la musique,
D.S. : je crois qu’il a répondu, pour lui en tout cas c’était plutôt guérir,
I.S. non il a plutôt parlé du concours Reine Elisabeth,
H.T. Ce concours appartient à une société dans laquelle, au niveau sonore, on ne peut s’exprimer que par rapport à une partition, partition qui est totalement codée. Donc il me semble voir dans le Concours Reine Elisabeth des gens qui répondent à ce qu’on leur propose de faire d’une façon totalement horrifiante par rapport à la relation à l’autre, la relation à l’autre étant la relation à Mozart, Mozart nous fait une proposition, et puis si on respecte le Mozart qu’on a imaginé, on ne parle pas de soi, et alors on n’a pas interprété, donc c’est le quiproquo absolu. Est-ce qu’il n’existe pas d’autres possibilités qui sont complètement bloquées fermées sur elles-mêmes. Est-ce que dès le début en leur proposant ce genre de chose, nous n’assistons pas à des prises de responsabilité par rapport à ce qui est proposé, sans que nous ayons à susciter ce genre de choses…
I.S. Si je peux me permettre de parler des terrains de Daniel, j’ai l’impression que l’invention humaine cela se traduit par l’invention du langage. L’écrit est venu après et historiquement, le langage a inventé les humains et les humains ont inventé l’écrit. Il me semble que dans ce que tu décris ce qui mène le petit d’homme au langage est quelque chose de tout à fait intéressant et non normatif puisque c’est en relation d’accordage, d’enrichissement mutuel, de choses qui sont d’un ordre à peu près privé, qui se négocie sans chaos. Enfin c’est une petite merveille de pédagogie au sens où il n’y a pas de pédagogue mais il y a un processus qui mène, qui produit. C’est seulement après qu’on tombe sur des gens qui vous diront non on ne dit pas cela comme cela, qu’est-ce que tu veux dire, explique-toi clairement, je n’ai pas compris, etc... et on devra tomber toute la connivence qui faisait que le langage venait s’inscrire dans d’autres choses. Donc au moment où on rencontre le tiers normatif, on a déjà tout ce qu’on a produit dans d’autres conditions et qui accompagne et qui permet éventuellement de rencontrer le tiers sans être défini par une norme. Evidemment il n’y a plus rien de tout cela dès que on rencontre quoi que ce soit qui ressemble à l’écrit puisque là on est à l’école, avec des pédagogues. Moi j’ai l’impression que c’est cela que Hervé veut faire, c’est-à-dire une rencontre de connivence, de processualité avec quelque chose qui ressemble à de l’écrit, de telle sorte que éventuellement dans la situation inévitable où on rencontre du "vrai écrit", codé, il y a ce capital de confiance en soi, d’expérimentation... Au fond c’est essayer d’injecter dans le monde de l’écrit quelque chose des civilisations orales.
H.T. Je n’aime pas le mot but parce que ce dont il s’agit c’est de rendre des possibles possibles sans les reconnaître à l’avance comme des bons possibles par rapport à des mauvais possibles.
D.S. je suis d’accord avec cela, si l’idée c’est de faire des gens qui peuvent soit apprécier, soit produire une musique qui est plus libre, plus personnelle, plus authentique, ou je ne sais quel mot.
I.S. moi je dirais que ce n’est pas forcément autour de la musique, mais autour de tout ce qui est impliqué par l’intervention d’un écrit préalable, par cette temporalité qui dissocie ce qu’on pense qu’on va faire et ce qu’on fait.
DS : ce serait une sorte de thérapie préventive...
H.T. ma surprise est de retrouver chez certaines personnes dans les textes des "attracteurs" une forme de critique de la société telle qu’elle existe et une utopie qu’elle pourrait être. On demande plus ou moins à ce dispositif de définir son but pour une autre société. Comme si on pouvait… C’est typiquement chez Herman Sabbe puisque Herman Sabbe se réfère à John Cage en parlant d’une société qui n’aurait plus de commerce, d’hiérarchie, de valeur d’échange, etc..., une utopie post-marxiste et post-Cagienne. Tandis que moi je dis qu’il y a d’autres formes de sociétés possibles parce qu’on l’a bien vu, mais je n’attaque en rien la société dans laquelle je me trouve. J’ai beaucoup de plaisir d’aller au Concours Reine Elisabeth et je proclame que le Concours Reine Elisabeth dans notre société est une chose extrêmement importante, qu’il ne faut démolir d’aucune façon parce que cela fait partie de l’ensemble de notre société. Je ne suis pas critique de notre société, je n’ai pas envie d’une autre forme de société, parce que j’estime quelque part que l’autre forme qui pourrait venir ne nous regarde pas. Elle fait partie d’un possible, rendu possible parce qu’on ne cesse de dire à l’avance ce qu’on veut des humains, aussi bien enfants que des autres. On verra bien, pourquoi se poser la question aujourd’hui, pourquoi nous demander comment cela va se passer. Cela ne nous regarde pas. Quelque part c’est indiscret. Comment demander à la société d’être autre, telle qu’on souhaiterait qu’elle soit. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas énormément de possibles à examiner, mais sans réintroduire dans ces possibles un "cela c’est le bon chemin, cela c’est le bon chemin", par exemple définir le but au nom duquel on voudrait que ces enfants fassent ce cheminement. Moi je suis paralysé par l’idée. Laissons cette société sortir de ce piège dans lequel elle est entrée, et qu’on ne trouve pas dans les sociétés africaines, qu’on ne retrouve pas dans d’autres types de culture.
I.S. : mais qu’est-ce que tu as contre "thérapie préventive" ?
H.T. : Le mot thérapie déjà, il est frauduleux parce que cela sous-entend qu’il y a des patients d’un côté, et de l’autre des gens qui ont cela de plus que le patient qu’ils ont des projets pour que les patients soient mieux portants…
X : on pourrait parler de "rituel préventif".
I.S. : Oui, un rituel préventif, cela ne signale pas un projet, mais le savoir du caractère redoutable de la rencontre avec le signe faisant projet, avec ce jeu sur le temps que constitue un projet.
H.T. : Je crois que l’enfant est confronté dans nos pays à quelque chose de redoutable, qui est ce que la société, les parents attendent de lui, et que cela soit au niveau des mauvais parents ou au niveau de bons parents, des bons professeurs, des mauvais professeurs. C’est toujours redoutable à cause de cette pression où on lui dit, voilà comment tu devrais être. Mais cette pression, laissons-là s’exercer, ne tentons pas de la supprimer. Que l’enfant soit confronté à ces pressions, à sa famille, à ses grands-parents, à des tas de projets pour lui, on ne va pas le changer, on ne va le protéger. Mais est-ce qu’on ne peut pas lui rendre possibles des armes, avec des contraintes dans lesquelles il a pu expérimenter, essayer, des comportements que la société ne peut pas supposer puisqu’on ne les comprend pas, et qui permettrait de l’outiller petit à petit dans des expériences successives…
I.S. : un équipement préventif…
H.T. : Sans que nous puissions aller voir ce qui se passe, on pourrait effectivement constater, comme on le fait depuis vingt ans, qu’il y a des expériences successives, qu’il y a des situations qui sont résolues par l’un ou par l’autre, d’une façon totalement différente, et dont nous ne pouvons pas savoir, nous n’avons pas à savoir, comment ils vont la transposer dans leur vie professionnelle ou ailleurs. Ce que nous savons très bien, actuellement, c’est que nous dépossédons les enfants, les humains, de leur richesse, de leur style, de ce qui est justement ce sur quoi ils reposent, et c’est cela qui m’angoisse : voir des enfants de 12 ans mal dans leur peau, ayant peur de leur physique, ayant peur de leur voix, ayant peur de s’exprimer, ayant peur également d’utiliser des instruments de musique parce que on a dit, cela ne se fait pas, vous allez vous ridiculiser… Mais vous n’allez pas corriger la société dans ce qu’elle a de dramatique, la société, comme dit Thierry, elle dit que tout a été fait, tous les monuments sont faits, tout est fait, on a plus rien à créer soi-même parce que tout a été fait. Ce n’est pas modifier la société qu’il faut faire, c’est rendre possible des expériences chez l’enfant grandissant dans lesquelles il trouve une certaine assurance, qu’il ne demande pas toujours à l’autre "est-ce que j’ai bien fait, j’ai mal fait, comment dois-je faire". Sur le plan technique on peut demander aux gens compétents "comment faut-il faire", puisque là il y a une technique. Mais pas sur le plan de l’imagination, pas sur le plan de la petite fille qui dans son lit se raconte tout ce qui aurait pu être la rencontre avec la grand-mère. On n’aurait pas envie qu’il y ait quelqu’un qui vienne lui dire "mais ce n’est pas comme cela que cela s’est passé, tu ne dois pas dire cela". Mais c’est ce qu’on fait, on le fait perpétuellement dans la vie. A ce moment, dans son lit à trois ans, on peut encore rêver, mais à un moment donné on ne peut plus rêver dans la vie parce que tout est bloqué, on trouve toujours quelqu’un qui dit "mais ce n’est pas comme cela"…
M.C. je voudrais évoquer, non pas des neurones, mais un petit événement familial que j’ai vécu la semaine passée. J’ai un petit-fils qui a deux ans et demi et mercredi il était à la maison et il parle, ce qui était une découverte inouïe la semaine avant. Je lui lis une histoire et puis il m’interrompt et il dit "en fait grand-papy…" Il commence une phrase par en fait, et à bon escient. La semaine passée, quand sa mère vient le rechercher, et il voulait dire quelque chose à sa mère, mais c’était incompréhensible, et sa mère, qui est ma fille, lui dit "mais Romain je ne comprends pas ce que tu veux dire". Là-dessus l’enfant essaye de répéter mais il n’y arrive toujours pas, et la mère dit "mais non je ne comprends pas, exprime-toi correctement, je ne comprends pas". Là-dessus le gamin s’énerve, se met à pleurer. A quoi assiste-t-on ? Est-ce que à un moment donné il y a un objectif : l’enfant doit se faire comprendre, c’est-à-dire qu’il doit entrer dans le code, il doit mettre des mots dans un certain sens, il doit utiliser des mots correctement, il doit avoir des phonèmes corrects, sinon la mère ni personne ne comprend ce qu’il veut. Mais l’enfant il veut se faire comprendre, il demande quelque chose à sa mère, et là tout à coup il y a un objectif, l’enfant veut demander quelque chose à sa mère, il a deux ans et demi, ce n’est plus un bébé, et sa mère dit mais je ne te comprends pas, entre dans le code…
I.S. donc la mère, au lieu d’essayer de négocier avec lui, l’a mis en défi…,
M.C.La mère effectivement a été représentante de la société qui dit "mais tu dois entrer dans le langage sinon on ne te comprendra pas, et je ne pourrai pas répondre à ton besoin" Peut-être que d’ailleurs sa mère avait compris ce qu’il voulait,
I.S. c’était peut-être parce que vous étiez présent,
M.C. peut-être, c’était peut-être un jeu assez compliqué… sa mère dit "il va aller à l’école bientôt, il est temps qu’il parle cet enfant", et donc la société arrive là. Alors est-ce que je vais dire à la mère "enfin ne te comporte pas comme cela, laisse-le faire", je ne sais pas,
H.T. je crois que cette idée qu’il faut tout comprendre et que de part et d’autre il y a quelque chose à comprendre… il n’y a pas toujours quelque chose à comprendre. S’il veut un biscuit il saura bien montrer qu’il veut un biscuit. Il doit apprendre à parler, il doit apprendre à marcher, il n’y a pas de danger qu’il n’apprenne pas à parler, donc il ne faut pas s’affoler et je pense qu’une des choses les plus graves c’est de vouloir comprendre l’autre au-delà de ce qu’on peut comprendre,
I.S. oui mais il y a un problème politique là-dedans. Je pense au langage des jumeaux, les jumeaux qui parlent leur langage, c’est inquiétant pour les adultes parce que la première langue est à deux, et on ne sait jamais quel va être le rapport entre la langue publique et cette langue. De la même manière il y a la crainte qu’a suscitée le langage des signes des sourds-muets. Ceux qui partagent un langage auquel les autres n’ont pas accès sont un peuple, et donc il y a toujours des possibilités de guerre civile, de sécession. Je veux dire ce n’est pas rien un langage,
H.T. oui les jumeaux, je crois qu’il y a des tribus où on les noie directement, tellement ils sont dangereux justement pour cette entente possible et cette mystification des autres .. , mais dans tout cela il y a également pour moi une notion de confiance. Je crois qu’on sape la confiance qu’on peut avoir en la vie ou la confiance qu’on peut avoir en sa différence. Et donc, l’histoire du petit fils, on voit très bien qu’il a confiance dans ce qu’il fait, et lui laisser uniquement cette confiance sans lui donner une contrainte je crois que cela n’est pas possible. Nous n’avons pas peur de la contrainte, nous n’avons pas peur qu’il échoue… La méfiance n’existe pas pour moi. Il y a la confiance dans son terrier, la confiance dans la relation ou la chaleur de la mère, et il y a le besoin, d’une nécessité absolue, de sortir de cette seconde matrice pour arriver à explorer le monde, et il est évident que c’est à travers les jeux chez les animaux et les jeux chez les humains, qu’on peut expérimenter l’insécurité que peut représenter le contraire du terrier. Mais pour moi ce n’est pas la méfiance sur laquelle on se construit, c’est la confiance qu’on a, le désir de faire des choses au niveau d’une expérimentation. Il est évident que dans notre société on ne peut pas dire qu’on fait confiance à tout le monde, mais la société qui est en train de retourner le problème pour dire, ne faites confiance en personne, c’est l’horreur absolue. On ne sait plus monter un escalier si on croit que chaque marche est du bois vermoulu. Toute la vie se fait sur base de confiance absolue dans ce qui nous est donné par la vie elle-même. La confiance que l’enfant entouré des autres fait à ses congénères du même âge, la confiance qu’il fait que les adultes, en cas d’incendie, vont intervenir, donc il n’y a pas de drame possible. Et il y a cette peur qu’on donne à l’enfant pour qu’il devienne adulte, méfiez-vous de tout, prenez des assurances pour tout, méfiez-vous des maladies, méfiez-vous de la mort…
I.S. moi j’aime bien équipement préventif. Tu l’as bien dit toi-même, pour les animaux peut-être qu’ils ont leurs problèmes, mais on ne les connaît pas tellement, alors qu’on sait tout de même que les petits d’hommes doivent affronter des épreuves redoutables. Donc essayer de les aguerrir par rapport à ce qui les attend, c’est de la bonne politique au niveau de l’espèce humaine….
D.S. Mais pour la partition, lorsque cela devient un déroulement mélodique ou une mise en forme et que il y a une tentative de le reproduire, si la correspondance entre ce qui a été joué et ce qui se passe visuellement n’est pas discutable non plus, cela revient à quoi ? Cela voudrait dire que l’idée d’une partition c’est vraiment pour les accrocher, pour les amuser mieux ?
H.T. Ce qui se passe là a certainement des conséquences sur ce qui se passe ailleurs, mais nous n’avons pas à le savoir, nous n’avons pas à le maîtriser, et si cela n’a aucune conséquence, cela n’a pas d’importance. Je ne vois pas pourquoi il faut maîtriser la relation entre ce qui se passe au sein d’un atelier, quel que soit l’âge, avec ce qui se passe en dehors des ateliers. C’est un pari sur le vivant qui se construit, en n’amenant ni modèle ni critique ni admiration. L’admiration est tout aussi terrible, terrorisante que la critique, tu es d’accord avec cela ? Mais aller vouloir savoir ce qui en advient…
I.S. Dans la version sans doute idéalisée qu’on a des civilisations orales, il y a l’idée que tout le monde va évidemment entrer dans la musique, et cela avec la même évidence que pour la mère l’enfant va évidemment se mettre à parler. C’est évident, tout le monde y va, donc ce n’est pas sélectif puisque tout le monde va le faire. Peut-être que l’introduction à la rythmicité musicale se fait là avec d’autres protagonistes que l’introduction au langage, mais avec la même évidence, c’est pour tout le monde, c’est comme cela qu’on est dans ce peuple, d’abord on bouge et puis on parle, on rebouge, on bouge encore autrement, on danse, etc... tout cela est donné à tous donc il n’y a pas de soupçon quant à qui y arrivera, qui n’y arrivera pas. Dans nos sociétés, l’évidence est conservée jusqu’à un certain point, tout le monde peut à peu près parler et marcher, et puis partout ailleurs il y a du doute, il y a ceux qui sauront danser, ceux qui ne sauront pas, ceux qui sauront exécuter, ceux qui ne sauront pas, cela sélectionne.
H.T. c’est toujours une question de modèle, comment une société perpétuellement justifie qu’elle a le bon savoir, que cela soit le savoir hitlérien ou autre chose, n’importe quoi, c’est cela enfin le bon. Alors il est évident qu’avec ces enfants on ne va pas dire qu’une telle musique est bonne par rapport à une autre. Nous n’avons pas les moyens d’aller voir, nous n’avons pas les possibilités. Mais quand il s’agit des ateliers pour adolescents de musique électroacoustique, là les ateliers vont être reliés par Internet avec d’autres ateliers dans les quelques mois qui viennent. Leur production diffusée sur Internet pourra être commercialisée bien entendu en ce sens que la production d’un adolescent dès 15 ans qui maîtrise de l’électronique et produit une musique qu’on ne connaît pas puisqu’il n’y a pas de modèle, est tout à fait normalement commercialisable, appréciable par rapport à l’argent grâce à des circuits comme Internet. S’ils se présentent chez Philips on leur dira "votre musique ne m’intéresse pas parce que n’êtes pas capable de vendre beaucoup", mais toutes ces musiques-là peuvent être jugées, appréciées, récupérées, etc...
(femme) disons je suis un peu mal à l’aise parce que j’ai l’impression qu’on parle de deux niveaux différents à la fois, en les mélangeant. D’une part il y a la méthode Thys qui est donc, si j’ai bien compris, une manière de permettre à l’enfant de s’exprimer, d’exprimer son répond en toute liberté et de l’exprimer au fond pour lui permettre de le renforcer et de trouver sa propre personnalité, sa propre relation avec les autres. Et puis il y a d’autre part l’autre niveau, c’est toutes les expériences qui ont été faites de la méthode et qui permettent, par l’analyse qu’on en fait, de justifier le bien-fondé de la méthode ou disons d’apprécier les résultats de la méthode. Et je me demande par rapport à ces résultats et à ce qu’on en voit, dans quelle mesure on ne pourrait pas affiner encore l’expérimentation de la méthode de manière à pouvoir trouver la réponse finalement. Parce que le but, quand on met au point une méthode de ce genre-là, c’est, me semble-t-il, qu’elle soit accessible à autant de personnes que possible si elle a un effet bénéfique, si on est persuadé qu’elle a un effet bénéfique.
H.T. oui si on prend disons la méthode Dalcroze, on peut montrer en quoi cette méthode Dalcroze est bénéfique. Ici ce n’est pas le cas, ce n’est pas une meilleure méthode qu’une autre. Donc à partir du moment où on est en train de la justifier, de dire "elle a telle vertu", on l’assassine, on la tue.
(femme) oui mais alors on est dans le vide, parce que si on croit à quelque chose, et j’aime à croire que vous croyez en votre méthode quand même,…
H.T. on est dans une situation nouvelle. Il ne s’agit pas d’une bonne méthode parmi d’autres méthodes, qu’elles soient sonores ou autre, qui a ses vertus, et qu’on vend, ou qu’on répand à travers cette affirmation, avec toutes les conséquences perverses des gens qui vont l’utiliser pour avoir des résultats et qui vont naturellement assassiner les résultats puisqu’il y aura de nouveau un projet… C’est pour cela que je m’écarte si possible des conservatoires. Donc ici on est dans une situation qui ne se compare, je crois, à rien du tout, et qu’on la laisse vivre sa vie, qu’on ne commence pas un grand article dans les journaux en disant on a découvert quelque chose… moi j’ai mon expérience, c’est que les parents sont enchantés, les enfants sont enchantés, les écoles sont enchantées comme on l’a vu chez Catteau et ailleurs, les conservatoires sont enchantés pour des raisons à eux,
(femme) oui mais ceux qui sont en mesure de l’appliquer parce qu’ils en on entendu parler, finalement c’est un tout petit monde, on est dans la confidentialité…
I.S. ce qui serait l’idéal pour moi, ce serait une ou deux écoles qui puissent le faire sur un plus long temps que ce qui a eu lieu jusqu’ici et qui soit pas des conservatoires, qui soit des écoles normales, usuelles quoi,
(femme) est-ce qu’on les cherche, est-ce qu’on fait quelque chose pour que cette méthode soit expérimentée sur un plan plus large qui permette de…
H.T. mais est-ce que ce n’est pas déjà un miracle qu’on ne lui ait pas tordu le cou à cette méthode depuis le début. En Belgique, dans tous les milieux que je connaissais, cela a soulevé presque de la haine contre moi, une opposition farouche en disant c’est idiot, il ne faut pas l’écouter, etc... C’est pour cela que je suis parti un peu en Suisse et en France, là où on ne me connaît pas, c’était plus facile. Donc je suis bien heureux qu’elle existe encore. Maintenant il est évident que il faut procéder par étape. Je crois que le document des attracteurs sur Internet ne va pas faire que toute la presse va mettre cela en première page, c’est une étape d’ailleurs destinée à nous-mêmes, pour mieux comprendre. Ce travail qui a débuté il y a trois ans, moi cela m’a apporté énormément, de comprendre de quoi il s’agit dans ce dispositif…
I.S. Il n’est pas question de convaincre un ministre, de créer des données qui fassent que toutes les écoles au pas de l’oie se mettent à appliquer cela, mais ce serait bien d’avoir une stabilisation, qu’on puisse dire tiens dans cette école cela fait partie de ce qui se fait naturellement, cela vit, et puis là aussi, il y a deux, trois écoles où cela vit et puis pour le reste on verra… qu’il y ait certaines écoles où cela s’est enraciné comme l’évidence que tu voudrais que cela soit,
H.T. oui mais si chacun de nous avait une baguette magique et pouvait voir ce que je désire, moi je dis : rien du tout. Laissez faire les éléments, laissez faire le collectif qui s’est mis en marche, ne restez pas à dormir simplement mais laissez faire les événements. Il y a quelque chose qui est en marche, on le sent absolument sinon on ne serait pas là aujourd’hui…Donc laissons faire les choses, soyons extrêmement attentifs mais je ne vois à propos de quoi je pourrais dire "ah si cela pouvait arriver". Non, je ne sais pas, je n’ai aucune idée de ce que je souhaite au point de vue d’une extension…
DD : une école classique, d’enseignement normal qui ne soit pas un conservatoire, dans laquelle il y a une classe qui commence à suivre le processus, et on peut regarder ce qui se passe avec les partitions sur le long terme, cela vaut quand même la peine d’essayer de le mettre en place, le budgéter, dire combien cela coûte… On peut trouver un endroit pour le faire avec le nombre de débilités qui se passe dans les écoles pour le moment,
H.T. il est évident que si je pouvais retrouver Catteau que j’ai eu pendant trois ans avec des centaines d’enfants cela c’était le paradis. Puis il y a eu changement de directrice, donc le nouveau directeur a trouvé cela fort compliqué…. On peut retournez chez Catteau, toi ou moi, et dire voilà nous pouvons maintenant démontrer que ce qui a été expérimenté chez vous pendant trois ans vaut la peine de recommencer. Mais ce n’est pas moi qui veut le faire…
DD : je trouve que ce qui est de très intéressant aujourd’hui dans la manière dont on a avancé c’est de pouvoir dire ce que la méthode amène comme questions éventuellement dans des lieux comme des écoles actuellement. Par rapport à la norme qui est : on s’adresse aux enfants en leur demandant de s’exprimer, on arrive et on dit la méthode ce n’est pas de l’expression, cela c’est le point minimal de ce que je comprends, et si je dois aller discuter avec un directeur d’école c’est le seul point théorique que je ferais, c’est une chose qui est relativement petite mais qui est énorme parce que les 9/10èmes des choses qui se passent dans les écoles quand on dit "on va faire quelque chose avec les enfants, pour les occuper parce qu’ils sont trop violents, ou pour essayer d’ouvrir leur petit cerveau, etc...", c’est toujours de l’ordre de l’expression, "exprimez-vous, allez-y, vous êtes merveilleux, oh quelle belle peinture tu as fait, etc..." Donc cela c’est la norme, le courant de fond dans lequel on est, et des gens qui sont hors de cela, c’est des exceptions rarissimes,
H.T. mais il ne faut pas attaquer la norme,
DD Il n’est pas question d’attaquer mais il est question de pouvoir quand même un tout petit peu articuler les choses, c’est le seul point sur lequel les directeurs d’école, les profs doivent marquer un minimum d’accord,
I.S. on peut ne pas dire l’expression c’est mauvais, mais on peut dire ici c’est un peu différent,
F B : Il y a, en tout cas en Suisse, je ne sais pas comment cela se passe ici, une espèce de contrepoint des écoles qui sont les centres de loisirs, où on essaye de compléter ou de contrebalancer, en tout cas de montrer un autre aspect de l’existence aux enfants, qui est de leur montrer comment en choisissant ce qu’ils ont envie de faire, ils peuvent exprimer leur goût, leur tendance, leurs désirs, leurs paroles, leurs difficultés, avec des gens qui les écoutent. Et c’est là, c’est dans un environnement comme cela qu’il faudrait commencer des expériences du genre de la vôtre, seulement il faut y aller, il faut démarcher, il faut expliquer…
H.T. Pour moi on connaît mal les enfants, on connaît mal les pré-adolescents, je suis bouleversé des relations que j’ai eues avec les pré-adolescents dans leur quiproquo, malgré leur bonne volonté, ou de ma bonne volonté. Donc il y a encore énormément de recherches à faire et je pense qu’il ne faut pas arriver dans une école, d’ailleurs Catteau a été une merveille pour cela, en disant "vous allez voir ce que vous allez voir", ou "il y a un contre-projet de la société, où ils vont pouvoir s’exprimer". Par évidence on verra bien, et qu’un professeur puisse dire non après un certain nombre de séances cela arrivera, mais cela prouve simplement un malaise profond, dans ce sens qu’ils ne supportent pas d’essayer…
D.S. Je me sens frustré parce que je vois que tu crois que cette méthode est bonne et que cela aide et que cela fait du bien, et aussi que c’est nécessaire dans notre société et tu le crois avec une grande passion et conviction. Et en même temps tu dis que tu ne veux pas la vendre ou la pousser. En fait ce n’est pas l’idée, moi je ne sais pas comment le dire, mais il faut que tu te déclares, je suis paralysé, si tu ne dis pas "je voudrais",
DD : Oui mais lui aussi est paralysé dans cette situation-là. Evidemment que cette méthode il y croit, nous y croyons, évidemment qu’il faut la diffuser d’une manière ou d’une autre. Il n’a jamais dit d’ailleurs "il ne faut pas la diffuser", "il ne faut pas en parler", il dit "non cela va aller tout seul", ce qui n’est pas vrai,
H.T. Cela ne va pas aller tout seul mais la société elle-même est en train de se poser des questions et de se mettre elle-même en faute, de se demander est-ce que nous sommes sûrs après tout qu’il faut faire des holocaustes, est-ce qu’on est sûrs de nous et de ce bel occident, es-ce qu’on est vraiment sûrs d’avoir la plus belle musique du monde… On sent très bien que notre société est déstabilisée,
M.C. un processus ne peut pas aller tout seul. Tu es un homme entêté, c’est pour cela que cela avance,
H.T. oui mais ici il n’y a pas un contre-projet de société, il n’y a pas de projet de société, il y a une situation qui, quand on la laisse exister, provoque pour les participants, provoque pour les gens qui regardent une sorte de fascination indiscutable… Mais je ne veux pas qu’on arrive en disant "on a trouvé un bon truc et on vous le propose et vous verrez les résultats", "on a découvert quelque chose et nous sommes sûrs de nous". Toujours l’être humain a été sûr de lui, sûr des règles, du codage des règles auxquelles ils avaient été amenés, des règles du mariage, des règles de cuisine, n’importe quoi. Moi je suis sûr, absolument sûr d’un certain nombre de choses, qui fait qu’il n’y a pas de problème : le terrain a laissé échapper un dispositif, ce n’est pas moi qui l’ai inventé, le terrain a laissé échapper un dispositif qui s’est codifié, qui a trouvé lui-même ses règles, et qui ne peut pas être évacué par la société. C’est-à-dire la société ne peut rien faire contre le dispositif à partir du moment où on ne réveille pas cette société en disant "vous ne savez pas comment il faut faire, vous ne provoquez que des ratés, nous allons vous dire comment il faut faire"… Le dispositif n’a plus besoin de moi, n’a pas besoin de moi, vous n’avez qu’à lire les attracteurs, ce que j’ai à dire se trouve dans le dispositif. Je n’ai pas envie de disparaître mais si je disparais demain, cela n’a au fond aucune importance parce qu’il y a un collectif qui s’est fait avec les multiplicités des approches… J’ai peut-être trop de confiance, mais la société ne sait pas ne pas changer, elle est acculée à un changement et les problèmes auxquels la société occidentale est acculée sont des problèmes absolument dramatiques pour elle, dramatiques parce qu’elle ne peut pas revendiquer planétairement de savoir comment il faut faire,
D.S. mais tu parles souvent de la peur que cela devienne la nouvelle règle, et je me dis pourquoi pas. Parce qu’en fait l’idée c’est simplement de changer quelque chose pour une période de temps, après ta méthode sera devenue le canon, il y aura un autre Thys dans la prochaine génération qui va faire basculer la vieille méthode Thys… cela ne résiste pas parce que c’est devenu le canon, et je ne dis pas c’est le progrès, parce que je ne sais pas où nous allons, je dis c’est l’évolution et il faut une évolution, autrement on meurt, on se meurt. C’est dans ce sens-là que je me dis qu’il faut utiliser la méthode Thys, il faut pousser pour que cela arrive, cela va faire du bien, et puis il y aura un contre-mouvement,
H.T. bien entendu il y aura un contre-mouvement par rapport à une certaine présentation. Le contre-mouvement fait partie de la façon de le présenter, et c’est bien entendu ce contre-mouvement que je veux éviter,
D.S. Non je ne veux pas dire un contre-mouvement conservateur, un contre-mouvement pour redémarrer,
H.T. On a à faire avec les mêmes êtres humains, ils n’ont pas changé, donc les problèmes seront les mêmes quinze ans après, vingt ans après. Quand on prend la méthode Dalcroze, etc... il y a fascination parce que tout d’un coup il y a quelqu’un qui dit "mais enfin la musique c’est également la motricité, etc...", et puis il y a un Boulevard Dalcroze et puis il y a un conservatoire Dalcroze, plus personne n’y croit beaucoup. C’est exactement comme la méthode Susuki, qui a été un raz-de-marée : il n’y a plus un Japonais qui ose parler de la méthode Susuki tellement elle s’est écroulée, parce que Susuki avait mis dans cette méthode des ingrédients qui ne pouvaient que s’écrouler au bout d’un certain temps. Moi je n’ai pas mis d’ingrédients dans cette méthode, cette méthode est un dispositif de terrain dans laquelle tout vient de l’être humain qui y participe, adultes y compris puisque les adultes sont extrêmement nécessaires à la réussite de la chose. Si on examine les vidéos, on ne voit que trop de résultats de thérapie, on ne voit que trop de changements de comportement, par exemple la chose la plus certaine, c’est que les gosses timides cessent d’être timides parce qu’ils vont comme les autres, ils marchent comme les autres. Si on emploie cet argument, qui est un argument massue par rapport aux échecs scolaires dans les écoles, pour moi c’est la mauvaise entrée dans l’école, parce qu’ils vont dire voilà telle et telle classe va là, pourquoi est-il encore timide celui-là, pourquoi es-tu encore timide, on t’a dit que tu pouvais faire ce que tu voulais… puis c’est terminé. C’est là où on se trouve pour moi non pas avec une amélioration d’une situation qu’on connaissait, mais avec quelque chose qui a l’air de venir d’une autre planète, qui a l’air de venir d’ailleurs et qui ne peut pas être démontrée comme étant meilleure qu’autre chose, ou donnant tel résultat… Il ne faut pas la répandre comme on a répandu la méthode Dalcroze et tout cela.