Méthode Thys

Micro séminaire du 03/05/2002 _ Première partie

Présents :
Pierre Bartholomée (P.B.) ;Antoine Hennion (A.H.) ; Yvan de Launoit (Y.L.) ; L.Lery (L.L.) ; Didier Demorcy (D.D) ; Henriette Fritz-Thys (F.T.) ; Isabelle Stengers (I.S.) ; Nicolas Dernoncourt (N.D.) ; Hervé Thys (H.T.) ; Thierry De Smedt (D.S.) ; Michel-Etienne Van Neste (V.N.) ; Anne Fontigny (A.F.)

Le 3 MAI

Quelques réactions après une présentation d’un texte d’Etienne Souriau "Du mode d’existence de l’œuvre à faire" (Bulletin de la société française de Philosophie, séance du 25 février 1956) par I. Stengers et D. Demorcy

H.T. Je suis gêné … quand un enfant fait des choses extraordinaires, on ne va pas lui demander "comment as-tu fait". Il y a une sorte de recul vis-à-vis de ce qu’il a fait, qui ne le permet pas. Ici c’est la même chose pour moi, c’est le recul devant quelque chose qui s’est passé. Indiscutablement on sent bien tous que le fils Mozart écrit des choses plus intéressantes que son père, tout le monde le sait, mais cela ne vous regarde pas, quelque part.

I.S. Il me semble que Souriau ne fait pas intrusion, comme tu le crains. Souriau crée des concepts qui sont faits pour que ce moment-là, qui peut être majeur ou mineur, ne soit pas réduit. Créer des concepts, ce n’est pas dire la vérité de l’expérience de Mozart, c’est résister…

D.D. Souriau ne fait qu’utiliser des descriptions qui existent, ce sont des descriptions super plates que n’importe qui a entendu cent fois, il ne révèle pas du caché, c’est ceux contre qui il résiste qui veulent révéler du caché.

I.S. Quand un créateur parle, surtout depuis qu’il y a la sociologie, on tant à dire oui c’est ce qu’il dit mais nous on sait mieux on va rabattre sur ceci ou sur cela, qui est ce que cache ce qu’il dit. Souriau instaure la description que ces gens donnent de ce qui leur arrive en créant des concepts qui empêchent que cela soit rabattu sur quoi que ce soit d’autre.

H.T. J’ai eu beaucoup de proximité avec des compositeurs comme Milhaud, Varèse.. jamais on ne pourrait poser ce genre de question aussi intime qu’on soit, le seul être à qui je l’ai fait parce qu’il n’était pas uniquement compositeur c’était Markévitch, qui était en même temps chef d’orchestre et compositeur. Je l’ai pourchassé un jour, je lui dit "qu’est-ce qui vous arrive, à quel moment quand, pourquoi tel accord", et cela n’a pas pu continuer parce que je touchais à simplement quelque chose où évidemment il y avait hésitation et puis à un moment donné c’était cela et pas autre chose, et il ne le savait pas pourquoi lui-même,

I.S. Ce qui intéresse Souriau c’est qu’est-ce qui fait hésiter le créateur, pas les raisons de son choix.

D.D. Il parle du sentiment que à cet endroit-là c’est bien cela qu’il doit faire, indépendamment de ses choix, ce n’est pas de lui qu’il s’agit.

I.S. Pour lui, il y a toujours un triangle, il y a l’opérateur, enfin l’artiste mais qui est un opérateur, il y a ce qu’il a déjà fait et il y a le halo autour de ce qu’il a déjà fait qui fait que la suite est la suite de ce qu’il a déjà fait et pas sa suite à lui. Quand j’écris c’est bien cela, je sens la tension entre la liberté de continuer comme je veux et l’attention à ce que demande le texte. Pour Souriau, si je crée, c’est si je me refuse la liberté de faire comme je veux.

A.H. Ce qui compte pour Souriau, c’est le moment où c’est l’œuvre qui prend la main et ce n’est pas nous. Effectivement quand on écrit, on voit cela constamment. Au moment où on se rend compte précisément de la situation, l’impératif porté par l’œuvre avec un petit o qui est en train de se faire, cela suppose beaucoup de choses derrière mais en situation cela se décrit très bien. Même dans les critiques banales de Schubert par rapport à Beethoven on a un peu cette idée-là.

I.S. C’est vrai que où cela serait dangereux c’est si cela devenait une espèce de modèle impératif terrorisant. En revanche, ce qui m’intéresse là-dedans c’est que c’est une description où il ne s’agit pas de "libérer la créativité". La créativité elle est dans le dispositif, comme dans la méthode Thys. La créativité des enfants elle n’appartient pas aux enfants, elle appartient aux enfants plus le dispositif qui les fait être comme cela plutôt que comme de bons petits élèves. Donc ce n’est pas qu’on libère leur créativité c’est que on les situe, quelque chose les capture, ils sont capturés. Moi j’aime bien l’idée que l’on produit quand on est capturé.

H.T. je crois que le rôle du compositeur, du créateur est tout de même très différent de l’interprète. Ce qui me fascine dans le rôle de l’interprète, c’est qu’il y a un jeu des possibles. On a une partition et on joue toute cette partition, ce qu’elle pourrait être autre que ce qu’elle a l’air de nous indiquer. Et dans ce jeu du possible il y a l’ensemble du bazar qui vous dit "non vous ne pouvez pas me faire cela, vous me disloquez, vous me détruisez ma structure d’ensemble", comme si on lui faisait mal. Pourquoi est-ce qu’on est interprète ? parce qu’il n’y a pas de réponse aux questions qu’on pose, c’est un jeu absolument sans fin…Il y a une question, un "oui peut-être" ou "non cela tu ne me fais pas". Mais il y a une petite sarabande de Bach qui, elle, ne m’a jamais dit non parce que c’était une sorte de danse bourrée ou on pouvait aller plus vite, plus lentement, on pouvait mettre des accents par ci par là, qu’on respectait plus ou moins. J’aurais pu passer trois siècles sur la question "qu’est-ce que je peux te faire", et là le jeu était merveilleux parce que incessant, incessant de curiosité. Alors est-ce qu’il n’y a pas malgré tout et chez le compositeur et chez l’interprète, un jeu avec tous les possibles, un jeu qui naturellement se nourrit de ce qui se passe avant, qui se nourrit de quelque chose et ce jeu reste un jeu même si cela peut provoquer une certaine panique ou une certaine inquiétude, c’est gratuit, c’est un jeu sans histoire, tout en étant passionnant ou passionné, tout en étant un jeu avec Dieu si on croit en Dieu, avec tout ce qu’on veut… Je comprends la curiosité parce que c’est vraiment une question très passionnante, pourquoi cela et pas cela, etc... je ne comprends pas l’espoir d’aller plus loin,

I.S. mais Souriau ne va pas plus loin, il met juste en scène. Je comprends très bien que toi tu sois tout à fait explicite sur l’interprète parce que justement interprète tu l’as été. Moi je peux dire que le texte aussi peut me dire "non tu ne peux pas me faire cela", ou bien "tu vois tu me l’a fait et voilà maintenant, regarde dans quelle situation tu t’es mise".

H.T. pour en revenir au créateur, Picasso joue comme un enfant et toute sa vie il recherche à retrouver sa peinture d’enfant, je crois que c’est cela qui est prodigieux chez lui, c’est que quelque part il la trouve. C’est évident que sa peinture ce n’est pas celle d’un enfant, tout le monde le sait bien, mais malgré tout quelque part aucun peintre au monde n’a été si loin dans le barbouillage, dans la recherche d’échapper, mais c’est un jeu,

I.S. mais comme tu sais Picasso est aussi celui qui a dit " j’ai fait énormément de faux Picasso". Il savait quand son geste était à la manière de. Ce n’est pas grave d’avoir fait des tas de faux Picasso mais tout simplement il savait la différence. Encore une fois, l’instauration, ce que Souriau fait avec les concepts, cela ne donne pas un modèle, ni une explication, cela essaie de déployer ce que propose un certain type d’expérience. Pour moi, c’est une anthropologie intéressante parce qu’elle lutte contre le psychologisme, le sociologisme enfin toutes les sciences humaines. Les concepts n’expliquent pas, c’est comme des piquets qui doivent donner à la toile, à l’expérience, toute son ampleur. Donc le concept n’existe pas indépendamment de l’instauration de la toile dont on s’occupe au moment où on s’occupe d’elle.

D.D. Hervé tout à l’heure tu t’interrogeais sur la question du grand changement nietzschéen ou deleuzien, entre une époque où on pouvait écouter d’une certaine manière, et pour écouter d’autres choses il faut être autre. Ici, il s’agit d’une continuité, et c’est assez amusant de se rendre compte que, alors que les exemples de Souriau me semblent, en tous cas à moi, assez passés, on peut déployer ce qu’il décrit dans des actes très contemporains.

I.S. effectivement, du moment que c’est un geste qui intéresse celui qui le produit et pas un geste qu’on fait en s’embêtant, pour combler le temps. On ne pourra pas instaurer un geste qu’on a fait pour remplir le temps en s’embêtant. Donc c’est un peu comme l’éternel retour de Nietzche, si il y a de la joie dans le geste ce geste peut être instauré. Le manque de joie ce serait peut être l’angoisse qui fait qu’on se précipite, on trahit…

H.T. je suis intéressé par le mot trahison, ce serait la trahison de la joie de vivre, ce serait la trahison de la pulsion qui se serait abîmée pour une raison ou pour une autre,

I.S. oui, cela peut être pour plein de raisons, cela peut être de la trouille, cela peut être du "j’ai bien le droit, c’est moi qui décide"…

H.T. cela me touche beaucoup parce que j’ai l’impression que beaucoup de musiques d’enfants me touchent à partir du moment où leur motivation est grande, plus leur motivation est grande et plus ils s’investissent, que le produit soit bon ou mauvais il est beau, il est bon, il est riche de quelque chose d’autre qui n’appartient pas... Et ce qui est très curieux c’est que les autres enfants le savent, c’est-à-dire que les autres enfants très souvent ils ne s’intéressent pas au solo, mais on a plusieurs cas d’enfants très motivés, et les autres enfants abandonnent les choses qu’ils font et ils font groupe autour, ils viennent pour voir d’où vient cela et là on toucherait à une réussite qui appartient à tout le monde et pas à ceux qu’on a décidé,

I.S. et peut-être que quand les improvisateurs disent on a eu un bon moment…

H.T. Dans une improvisation il y a de bons moments parce que toute la démarche est pour qu’il y en ait. Ou bien réellement chez des improvisateurs ou chez des enfants ou des jeunes, il y aurait quelque chose d’acquis qui veut passer à travers et qui passe d’ailleurs à travers tous les codes, à travers toutes les règles.

H.T. C’est cela qui me passionne, cette chose qu’on a considérée ne passant qu’à travers des grands hommes, à travers des génies, à travers des gens qui utilisaient des règles de leur époque, et qui pourrait sans doute passer sans règle aucune, tout simplement avec les possibilités du bord, électronique ou autre, n’importe quoi, du moment qu’il y a cette volonté de communiquer, ce besoin de dire aux autres un quelque chose,

D.D. quand tu dis volonté de communiquer c’est beaucoup par rapport à "il y a quelque chose qui les traverse et qui les prenne, qu’ils veulent respecter".

I.S. Quand j’écris un texte mon problème c’est ce texte par rapport à des tas de choses que j’aurais envie de lui faire dire mais comment, mais jusqu’où… Ma volonté de communiquer, elle, tend vers zéro, c’est peut-être un défaut d’ailleurs,

H.T. à travers du texte, mais quand tu t’exprimes à travers une conférence ce n’est pas la même chose. Quand on fait une conférence, quand on explique aux autres des choses, on n’a plus le temps, c’est comme un ballon qui circule et pourtant on se dit tiens est-ce que ce que je dis passe, est-ce que je ne passe pas,

I.S. oui mais faire une conférence c’est quelque chose de très bizarre. Quand on parle devant un public on tend à trouver une ou deux personnes qui font les bons gestes, qui ont l’air d’être intéressés et ils deviennent ceux à qui on a des comptes à rendre, donc ce n’est pas une volonté de communiquer aux gens empiriques qui sont là, c’est une situation qui se fabrique,

A.H. ce n’est même pas pour communiquer, c’est pour travailler ce qui est la chose à dire et qui a besoin de l’audience présente à la différence de la page écrite,

I.S. On se dit, tiens si je le fais passer comme cela je vais les avoir, on se sent pas parlant à, mais manipulant un être et parfois on se dit c’est raté je croyais que je le manipulais,

H.T. et les premiers mots comptent beaucoup, je pensais à Annie Fischer qui joue mal la première partie de son concert et à l’entracte, je vais la voir et elle me dit j’ai pris un mauvais tempo pour commencer, je n’ai jamais pu me rattraper et après l’entracte elle a joué d’une façon superbe, elle sentait qu’il y avait quelque chose,

Le 4 MAI 02

I.S. Pour ceux qui n’étaient pas là, Thierry notamment, il y a une chose sur laquelle nous sommes restés hier, c’est Antoine nous a compliqué tout jugement à propos de où nous en sommes aujourd’hui puisque primo il y a les amateurs, ceux qui conservent le goût de tel ou tel style de musique, savent tout ce qu’on peut dire à ce sujet, et disent oui d’accord c’est parce que je suis fils de médecin, etc. oui c’est parce que…, mais quand même voilà j’aime l’opéra italien. Bref, ils cultivent leur goût dans le plus parfait savoir de tous les jugements qu’on peut poser sur eux et qu’ils acceptent sans que cela les en détourne. Donc, le rapport entre un savoir de l’époque et la production d’un goût non honteux est une des manières de compliquer, de faire diverger tout "nous" de l’époque.

H.T. Cela doit diverger sinon cela n’a pas d’intérêt mais d’un autre côté est-ce qu’on ne peut pas voir que nous sommes aujourd’hui en pleine utopie d’un retour en arrière, d’un paradis de la belle France avec Jeanne d’Arc à sa place, et de l’autre côté des gens qui n’arrivent pas à trouver l’ombre de formule qui pourrait être tentante pour l’ensemble d’un nous et qui ne sont tentantes que pour chacun d’eux. Moi c’est une chose qui m’effraye terriblement. On avait posé cette question "que faire face à un Le Pen". Moi, je vois là une sorte de rassemblement de gens qui dont ce n’est pas le métier de penser, dont ce n’est pas le métier d’intellectualiser, qui ont l’espoir qu’on pourrait revenir à une situation qui d’ailleurs n’était pas telle qu’ils croient qu’elle était, face à des gens qui par leur singularité, par leur différence, ont chacun un petit chant d’oiseau autre, qui naturellement n’est pas attracteur.

I.S. je voudrais terminer, pour les autres, de résumer les deux points où me semble-t-il ont pourrait revenir. Antoine a aussi souligné que ce que nous appelons le passé de la musique a été construit au XIXe siècle, avec Bach comme inventeur de la musique classique, et que le XIXe siècle lui-même est beaucoup plus compliqué qu’on ne le pense puisque le jugement même sur le XIXe siècle a été initié à la fin du XIXe siècle et beaucoup de musiciens hyper connus à l’époque - on a parlé de Massenet, on a parlé de Bizet, Gounod et d’autres, ceux qui étaient les musiciens qu’on allait écouter - sont devenus ceux qu’il serait ridicule d’écouter. Bref, il y a toute une construction continuelle du où nous en sommes qui se produit à chaque époque. C’est peut-être une question qui est propre aux palabres puisque on est au fond comme les autres à demander où nous en sommes. On est chaque fois comme d’autres qui ont fabriqué chaque fois la réponse, avec peut-être ce petit iota de différence que grâce aux travaux historiques on sait en plus que toute réponse à ce sujet se fabrique. Mais, comme les amateurs, il n’y a aucune raison que cela nous empêche de fabriquer encore une réponse. Une question, ce serait quelle différence peut faire ce iota de différence, le fait qu’on sait que c’est construit… les amateurs nous montrent que c’est parfaitement vivable.

H.T. Il y avait une autre question qui m’avait fort intéressée, que tu avais posée Thierry à Pierre Bartholomée. Tu lui avais demandé, si mes souvenirs sont bons, si quelque chose pouvait naître du chaos des différences entre élèves, si c’était une richesse qui ferait que au fond Pierre Bartholomée ne serait pas au centre. Ou bien est-ce que c’est quelque chose qu’on gère avec tolérance, auquel on s’adapte mais quand cela devient vraiment sérieux…

I.S. : Oui, il avait parlé de cours privés quand cela devient vraiment sérieux…

T.D. : Je pense que la place du collectif dans la démarche de Pierre est importante mais n’est pas vraiment centrale, c’est peut-être un peu dû aussi à l’ancrage institutionnel.
(…)
L’enseignement universitaire c’est quand même une formation personnelle centrée. Elle a évidemment d’importantes dimensions collectives, transversales, interpersonnelles, mais au départ l’institution, je crois, oblige à formuler cela en termes de projets personnels, etc... Ceci dit visiblement Pierre ne se pense pas en relation binaire, lui avec chacun des participants, il tente d’élaborer un collectif mais je ne crois pas non plus qu’il se donne comme contrainte que cette dimension collective soit la première. Elle existera si la masse critique évolue mais elle peut aussi se focaliser par petits groupes. Je pense qu’il n’en fait pas une dimension tout à fait première. En revanche je sens très bien que la notion d’interaction est tout à fait centrale chez lui. Mais cette interaction existe au moins autant dans l’axe de la génération d’une oeuvre destinée à être exécutée. Ecrire pourquoi, écrire d’abord pour fixer un objet en devenir, parce que on lui devine un potentiel qui appelle un travail, un développement mais aussi écrire un texte pour autrui, c’est-à-dire un texte destiné à tomber entre les mains de quelqu’un qui aura pour mission d’interagir avec ce projet inscrit d’une certaine façon, d’en faire un acte de jeu. Et puis aussi donc Pierre inclut dans le projet de l’atelier l’idée que obligatoirement les oeuvres devaient à un moment être jouées pour quelqu’un, donc à la fin on ramène ses copains, ses amis, la famille, d’autres étudiants etc. et on s’assied tous et on découvre les œuvres. Donc je pense qu’il y a une dimension effectivement collective mais je ne crois pas qu’il la situe au cœur de l’acte d’écriture, elle est là et elle prend aussi l’envergure que l’écrivain en fait, décide de lui donner. C’est cela qui est très intéressant dans la démarche de Pierre c’est que visiblement pour lui, inventer c’est avant tout se déterminer un cadre et une série d’interdits, ce à quoi d’emblée on va renoncer et puis quand le cadre est devenu petit, contraignant, avec des passages obligés etc. alors on développe des choses à l’intérieur. C’est un dispositif de contraintes, choisir un instrument, choisir une durée, choisir un contexte d’exécution, choisir une technologie. Choisir aussi un système, système tonal, système modal, système rythmique. Et souvent en plus choisir, en termes un peu savants, un algorithme, un principe selon lequel quelques objets qu’on met dans un état initial vont commencer à se transformer et alors il fait des figures, inversion etc... Mais cela, c’est, je dirais, la partie où il dit aux étudiants "moi je fais comme cela, mais vous vous faites à votre façon". Par contre je l’ai vu sanctionner des étudiants, il y a certains actes apparemment qu’il ne tolère pas. A mon avis le plus intéressant et ce qui m’a le plus frappé, c’est le cas d’un étudiant qui avec un équipement technologique assez important du type ordinateur synthétiseur, fabriquait tout de suite son objet final. Là j’ai vraiment ressenti que Pierre l’a mis à la question. Je pense que pour Pierre cet étudiant faisait l’impasse sur tout le dispositif d’élaboration et d’interaction, il faisait du produit fini. Là, il y a eu une vraie partie de bras de fer avec l’étudiant et cette partie était très belle d’ailleurs parce que ils se sont vraiment confrontés, cela a fait crise. L’étudiant était très malin, très attachant. Pierre a choisi un degré de résistance tout à fait correct résister assez pour que l’autre puisse s’ébranler…

I.S. ce qui peut être intéressant c’est que l’étudiant éventuellement savait très bien que il allait scandaliser son professeur, il voulait voir comment son enseignant allait s’en tirer,

T.D. Cela s’est produit l’année passée, lorsque ce cours n’était pas crédité dans le programme universitaire. Donc c’était un atelier expérimental. L’étudiant est arrivé au début de cette année, toujours aux études et il se fait qu’il est dans le programme que je dirige. Il est venu me dire "au fond l’année passée cela ne comptait pas, je pourrais le reprendre", c’est-à-dire qu’il a justement terminé l’année en disant je veux continuer. Donc il a utilisé deux fois le même cours, il s’est réinscrit, il le refait cette année.

H.T. Moi ce qui me donne le vertige c’est que la transmission des savoirs est une des choses les plus importantes qui existe actuellement, transmission du savoir ou transmission du comportement au niveau des enfants. Or, hier je me suis dit "mais qu’est-ce q’il transmet encore comme savoir ?", parce qu’il sait, il sait composer, il sait des tas de choses, mais il n’arrive pas là comme justement le professeur qui sait à dire "je vais vous transmettre mon savoir". Alors est-ce qu’il fait le pari que ce n’est pas tellement çà qui compte ou bien que cela compte, justement, terriblement pour la personne qui en fait le cheminement, mais que dans ce processus-là, dont on ne peut pas faire l’économie, va se trouver le savoir,

T.D. Je n’aime pas le mot savoir, je ne crois pas que c’est un problème de savoir. Moi j’utiliserais plutôt le mot méthode ou dispositif et éthique, donc l’éthique c’est qu’on ne saute pas le processus,

H.T. On ne sait plus juger…

T.D. Non ce n’est pas une question de jugement c’est-à-dire que il faut avoir fait le chemin, donc là il y a une exigence. Sinon on n’appelle pas cela composer. D’autre part, il y a, je pense, une méthode qui est celle de Pierre : par cadre limitatif. Il y en a qui ne peuvent être transgressés, dans la mesure où un instrument, une contrebasse ne peut pas jouer dans l’aigu et à l’inverse un violon aigu ne peut pas jouer dans le grave… c’est l’instrument qui limite par sa nature, sa puissance, sa capacité de faire des notes tenues, etc... Et puis aussi des cadres qui sont plutôt logiques ou de lois etc... je décide que ceci ne se fait pas. L’année dernière d’ailleurs je crois ils ont décidé de n’utiliser que quatre notes, et bien en fait avec cela vous pouvez faire énormément. Donc pour moi c’est un peu mélange éthique et dispositif. Le savoir est-ce que ce ne serait pas plutôt alors ce que chacun, en participant à l’atelier, finit par s’être construit. Il reste avec quelque chose, avec un ensemble de connaissances, de notions. En plus, il y a un séminaire avec des conférences, avec des gens qui viennent parler de leur manière de composer, Pierre lui-même fait des citations. Bref, tout cela s’accompagne de transmission de l’information proprement dite mais à mon avis c’est très périphérique par rapport au fondement de l’expérience…

A.H. Je fais écho à plusieurs choses entendues, fiction, méthode, dispositif, éthique. Lors du débat qu’on a eu, en ne prenant pas forcément le vrai travail de Pierre, on voyait qu’une partie était expérimentale et une partie qui n’était pas encore complètement élaborée, qui était un peu contradictoire. Et précisément cette partie là était autour de l’objet à transmettre : est-ce qu’il reste là ou non. Moi je vois deux modèles de façon de penser cela, qui sont vraiment au cœur de la question. L’un désignerait quelque chose que l’on garde, le modèle traditionnel avec un objet qui existe même si il est très problématique, à venir, etc... avec des méthodes pour y arriver, un collectif qui est instrumenté pour cela, qui compte plus ou moins comme tu l’as dit au début. Dans ce cas-là effectivement on avance avec sa méthode, et à un moment donné on est devant une situation bizarre que Pierre a bien incarné hier en disant "moi je sais bien que j’ai quand même des problèmes de valeur, d’objets, de choses à transmettre mais je sais que je ne peux plus les transmettre comme avant depuis ma chaire, donc je suis un peu soit tolérant, soit coupable, soit de temps en temps un peu interventionniste". C’est cette espèce de malaise que moi j’appelle la réflexivité et qu’on voyait bien chez les amateurs. Ou alors, il n’y a pas cette distribution d’un objet, d’une méthode, l’activité elle-même est réflexive, faire de la musique, on va faire de la musique c’est-à-dire la musique est là et puis je prends ma partition et je commence à jouer et puis on me dit que c’est comme cela qu’il faut faire, ce travail même de se demander ce qui se passe quand je suis en train de jouer c’est cela la musique.
(…)
Dans ce cas-là il y a bien un savoir, mais ici ce n’est pas une stratégie parce que d’autres choses ont raté, je sens une ouverture, un processus qui lui appartient en propre, qu’il connaît parce qu’il l’a. Il donne un savoir, une richesse, aux autres, à trouver dans le dispositif. Je pense que Anne Fontigny fait la même chose avec le Centre de Création à sa manière à elle, qu’elle vous a expliqué. Du coup le rapport avec l’espèce de réhabilitation éthique du grand amateur se fait très bien parce que de même que du coup le savoir n’a plus à être honteux c’est-à-dire cet objet que moi je maîtrise, c’est exactement la même chose pour les goûts non honteux. Le fait que mon goût soit indéterminé, cela veut dire en rapport aux différents savoirs qu’on peut lui apporter, cesse d’être une mise en cause.

I.S. Ce qui m’importe, c’est l’idée que le goût est robuste et notamment par rapport à la réflexion parce que souvent on pose le problème : si vous réfléchissez, si vous êtes en situation de réfléchir sur et de déconstruire, vous allez effectivement déconstruire votre goût. Ici on voit que le goût peut intégrer toutes ses réflexions tout en restant goût, en ne se dissolvant pas dans la réflexion. Ce n’est pas une dissolution, cela fait des nouveaux plis.

T.D. Moi je ne crois pas, je vois beaucoup plus de tensions que cela. J’ai presque envie de faire le portrait contraire, oui c’est cela l’avocat du diable. Je pense au contraire que il existe d’énormes tensions entre tout ce que la musique représente comme attachement à des choses que chacun aime, qu’il porte en lui, qui prennent une part importante de ses capacités d’existence - c’est nos fonds de mémoire, nos fonds de discothèque, nos fonds de cassettothèque, les petits morceaux de partitions, des choses qui nous traînent en tête etc... - et les valeurs du bon goût, ceci doit s’écouter ou ne doit pas s’écouter, aussi du bon savoir musical, de savoir que aujourd’hui cela doit se jouer comme cela, et puis il faut bien faire la différence entre quelque chose de mal joué et bien joué, et telle musique est vraiment trop ringarde et que c’est vraiment très mal venu de la diffuser etc. Oui Massenet cela revient, mais c’est un deuxième niveau, c’est déjà un niveau de ceux qui ont réussi à oser dire que Massenet finalement ils aimaient bien. Je trouve qu’il y a vraiment une imposition des valeurs qui fonctionne très fort et qui donne lieu à d’infinies stratégies pour essayer d’utiliser quand même son plaisir et son sens de la cohérence dans un ordre social,
J’ajoute pour attachement qu’il est le lieu d’une vraie honte, à la limite il peut tourner à l’oppression, il y a du terrorisme social. Là je résiste un peu à l’idée de dire que nous vivons dans une époque où chacun peut complètement vivre ses goûts, sans honte…

I.S. C’est ce genre de chose-là que j’aurais aimé qu’on discute. Hier, il y a eu un petit échange sur comment on décrit une sortie de concert, ou d’opéra ou Dieu sait quoi, avec celui qui attend de voir ce que les autres vont dire pour déclarer tout haut qu’il a aimé ou pas : est-ce que c’est une attitude "à dénoncer" ou est-ce intelligent : c’est ce que je soutenais, je crois, ne serait-ce que parce qu’il s’agit de repérer dans quel monde il est : le monde est dangereux, il n’y a pas à avoir honte. Mais en plus de la prudence, cela peut aussi se vivre sur le mode d’une négociation entre hétérogènes, on se repère aussi par rapport à soi-même, on discerne ce qu’on sent "conformiste", ou ce qui vous en apprend. Et puis on peut se décider à dire qu’aujourd’hui le moment est venu, je fais mon "coming out" et je dis à tous ces gens et bien non ! j’aime Massenet, ou un autre goût qu’on a cultivé de manière clandestine, inavouée. Mais on peut très bien ne pas le faire…

A.H. Il y a des représentations de l’ordre social le mettent au-dessus de nous, c’est ce qui nous échappe et qui est oppressant, et donc une seule position c’est la libération et l’émancipation.
(…)
Une des choses qu’on peut dire c’est que même me soumettre, c’est une chose à décrire de manière positive et non pas négative. Je ne suis pas simplement ce que j’ai aimé, quelqu’un d’autre me dit quelque chose de beaucoup mieux et avec allégresse je prends. J’aime cette soumission et le fait de se laisser aller à, d’être pris par, devient une passion, une chose positive et non pas une chose négative. Le discours de la critique c’est aussi un discours performatif, un effet terrible : des gens n’ont plus vécu leur goût que comme quelque chose de coupable.

I.S. et cela me rappelle Brin, un auteur de science-fiction que j’aime bien qui a annoncé publiquement sur son site web qu’il attendrait cinq jours avant d’aller voir le quatrième film de la série "Guerre des étoiles". Il n’aime pas le type de mythe que Spielberg chevauche, pour des raisons politiques. Mais il reconnaît que ça marche, c’est très fort : j’aime mais j’aimerais bien apprendre à aimer un peu moins parce que je trouve que pour le moment cette drogue est devenue très dangereuse. Comment apprendre non pas à rejeter cette drogue mais à s’en détacher un peu : donc moi j’attends cinq jours avant d’aller voir ce film pour fabriquer l’écart qui me semble nécessaire par rapport à la prise premier degré. Cela me semble intéressant parce qu’il propose non pas de se priver mais d’apprendre à prendre ses distances et à faire un pli par rapport au premier degré de l’effet.

H.T. est-ce que le goût ce n’est pas toujours le goût de l’autre également, partager avec le voisin quelque chose d’une "semblablit". Hier je suis tombé sur un documentaire où les habitants d’une tribu qui se réunissaient pour chanter, pour danser, avec leur tradition et au lieu que ces chants, ces danses se passent comme généralement sur un terrain solide, ils avaient inventé le trampoline. Une construction avec des planches très souples et ils étaient là vieux, enfants, jeunes, bébés, partout de tous les côtés, et ils étaient absolument les uns les autres dans le cerveau du voisin, ils ne se posaient plus de questions autres : nous sommes semblables parce que on pense, on danse on chante. Alors je pense à l’avant dernier concours Reine Elisabeth : tout le public, tout le jury, tout le monde étaient semblables : nous savions que nous avions entendu la plus belle exécution qu’on aie jamais entendu. J’ai partagé cette opinion, on s’interpellait les uns les autres, un membre du Jury applaudissait à tout rompre… Alors cette envie d’être encore dans le trampoline, je voudrais lui couper les ailes, nous n’appartenons plus à ce genre de tribu, nous sommes des étrangers les uns pour les autres et ce qui est intéressant c’est justement des communications où nous nous ne mêlons pas de dire ce résultat je l’impose aux autres.

I.S. oui mais dans l’épisode que tu racontes, on peut dire "oui cela arrive simplement après on se réveille", le moment d’adhésion collective n’est pas un moment de jugement c’est un événement. Le problème c’est que quand on se réveille de cela, quand on sort de cela, ne pas en avoir ni nostalgie ni honte,

H.T. je crois que l’être humain a une nostalgie profonde pour ne pas être dans la tête du voisin,

T.D. Je voudrais poser aussi une question personnelle par rapport à la démarche de Pierre, donc toujours relatif au goût, aux différentes dimensions, oppressions, contraintes etc. Je suis toujours frappé de voir que en musique contemporaine, les compositeurs qui parlent de leur travail ont souvent tendance, exactement comme le fait Pierre, à dire voilà je travaille à travers un système, je prends cela, je le retourne, ceci est une alternance, etc. Hier, au concert il y avait Harry Albrecht, c’est un puits de science, il a décortiqué des passions de Bach.
(…
Bach était parait-il numérologue, et gravement atteint. Donc d’un côté on a cette approche du compositeur, qui parvient à montrer combien tout cela finalement c’est du mécano, il y a du boulon, des attaches, etc. et le fait que le goût musical c’est tout à fait autre chose. Un compositeur dit voilà j’ai pris un motif, j’en ai fait deux symétries, j’obtiens sept thèmes, dans le premier renversement etc. et puis moi qui entre dans une salle j’entends cela et parfois je ne réagis pas ou bien tout à coup j’entends des chatoiements, des choses qui petit à petit se fixent, sur lesquelles je m’accroche de façon pulsionnelle etc. Le fait que la mesure 41 de tel prélude qui fait 82 mesures a 14 notes à l’intérieur parce que c’est le signe de Bach, c’est la numérologie, la composition où la fugue mène on ne peut pas dire que ce soit indifférent, mais est-ce que tous ces calculs, ces éléments d’analyse etc. qui sont intellectuellement intéressants rajoutent du plaisir ou enlèvent du plaisir, est-ce que cela a une importance quelconque dans le plaisir ?
(…)
Dans les enregistrements des ateliers d’Hervé j’imagine quand même que les petits enfants qui pianotent ou qui font d’autres choses n’ont pas de projets "numérologiques", mais ils produisent des petites musiques pour lesquelles j’ai finalement le même attachement, donc je dois y trouver même plaisir à les remettre à les entendre etc. On pourrait dire simplement il y a aussi une loi de composition mais je ne la connaît pas, elle n’est pas explicite,

I.S. Je crois qu’il faut distinguer entre la manière dont éventuellement pour des raisons qui lui appartiennent ou qui ne lui appartiennent même pas chacun d’entre nous se situe et un problème de principe du genre ou bien ou bien. Par exemple quand on a affaire à des prestidigitateurs moi je suis de ceux qui aimeraient bien savoir le truc et qui prétendent que cela n’enlèverait rien à mon plaisir de voir le truc bien exécuté que de le connaître, au contraire. Mais quand on devient prestidigitateur on apprend à penser en prestidigitateur qu’il faut garder le secret, que si le public connaît la manière dont c’est fait on perdra le plaisir. Mais cette disjonction-là elle fait partie du personnage du prestidigitateur,

H.T. Je voudrais revenir au concert. Dans une salle de concert, il y a autant d’amateurs qu’il y a de personnes dans la salle alors tous les travaux qui ont porté sur le cerveau ont bien montré que l’écoute des amateurs par rapport à l’écoute de professionnels ne se fait pas de la même façon et que l’hémisphère gauche se met de plus en plus en marche au fur et à mesure que le professionnel peut faire référence à ce qu’il écoute. Chez l’amateur le plus pur qui n’analyse pas, qui prend le plaisir, son goût ou son dégoût, l’hémisphère gauche est en sommeil. Enfin c’est une caricature mais les travaux sont tout de même très sérieux, alors je voudrais tout de même arriver à ce refus de certaines musiques contemporaines de l’objet œuvre qu’on prend avec soi parce qu’on la trouve belle : dès les premières notes on sait que le compositeur nous mène où il veut depuis le début jusqu’à la fin, le cerveau ancien est dans une joie profonde d’être guidé. Les amateurs de musique contemporaine, et il y en a beaucoup, ne veulent pas être guidés. C’est une autre gymnastique du cerveau qui fait que malheureusement il y a un fossé que Pierre Bartholomée connaît très bien. A l’Orchestre de Liège il a essayé de mettre des oeuvres contemporaines. Les quatuors de Milhaud, on ne les joue pas parce que le quatuor dit "ah non il en a écrit 18, si il en avait écrit un comme Ravel alors on pourrait mémoriser et on pourrait apprivoiser le langage de Milhaud, mais 18, non. " Milhaud est refusé par toutes les salles de concerts parce que il a été trop prolixe, il a écrit sans arrêt…

A.H. Le projet même de la musique contemporaine est extrêmement complexe puisqu’il y a à la fois un aspect iconoclaste ou dé-constructeur, qu’on ne peut pas prendre au deuxième degré. Qu’est-ce que cela fait d’être aussi dé-constructeur, un objet très intéressant mais qui ne trouve pas son public. La démarche même de ne pas trouver son public fait aussi partie de la musique contemporaine.

T.D. On devrait poser la question à Pierre Bartholomée, les avoir tous les deux là Pierre et Henri Pousseur. Dans la foulée de l’atelier de Pierre il y a eu un séminaire l’an dernier et un des soirs Henri Pousseur était là et il a tout à coup sorti quelque chose d’une façon extrêmement explicite. Il a dit que dans les années 50/60 on se sentait vraiment investi d’une mission de rupture, il fallait casser, je ne sais pas exactement pourquoi il voulait rompre mais j’imagine que cela tournait autour de la guerre 40-45, du génocide des Juifs, de cette musique tellement construite, accueillante etc... Il fallait traverser un désert. En fait c’est un peu la métaphore que j’emploierais, il fallait arracher, il y avait une histoire à finir parce qu’elle était aussi celle d’un monde dont le bilan était catastrophique. Il fallait faire une révolution et cette révolution elle devait se faire dans tous les domaines et eux comme ils étaient musiciens ils la faisaient en musique,

H.T. Je crois que c’était politique mais je crois que ce n’était pas du tout au niveau d’autre chose, ce n’était pas faire contre, mais c’était une histoire arrivée à son achèvement et on se trouvait devant le désert,

T.D. La décision de renoncer à quelque chose, s’arracher à, casser, rompre, c’était visiblement aussi rompre avec une certaine idée du succès, rompre avec une certaine idée que plus il y avait de gens dans la salle et plus ils étaient contents et mieux cela valait. J’ai été témoin d’œuvres, je me souviens c’était en 65 ou 66, où les gens se tapaient dessus pratiquement dans la salle, se huaient mutuellement et c’était visiblement dans l’œuvre, cela devait se produire,