Méthode Thys

Une initiation des enfants à la Créativité Musicale

Entretien de Georges Thinès et Jean-Pierre Legrand avec Hervé Thys

Depuis plus de dix ans, Hervé Thys, directeur de la Société Philharmonique de Bruxelles, s’est préoccupé d’amener les enfants en âge d’école au contact des phénomènes musicaux, entendant par là un univers sonore dont les composantes figurent en deçà de la musique au sens courant du terme. Ceci ne se solde pourtant pas par un déni de l’héritage musical classique et contemporain ; il s’agit plutôt d’une tentative visant, à travers l’univers sonore, à sensibiliser les enfants à la différence profonde qui les habite. Dans un contexte comparable à celui des adultes, les ateliers se déroulent dans un lieu où les instruments, pour la plupart ceux de l’orchestre, sont accessibles, en sorte que l’expérience immédiate des enfants face à ces instruments n’est ni une imitation ni une réduction de la réalité. Il est donc clair que la perception de cet environnement par l’enfant s’opère à son niveau propre, mais par rapport à un monde qu’il retrouvera identique par la suite. Ceci constitue une des grandes originalités de la méthode. Ajoutons que, dans ce contexte, la liberté de l’enfant s’exerce sous le regard permanent d’adultes qui constituent des références très significatives pour lui : l’animateur et le titulaire de classe.
 

La méthode Thys permet aux enfants de manipuler les instruments en toute liberté, ce qui, dans un premier temps, a pour conséquence un tohu-bohu généralisé. A ce désordre initial succède progressivement une structuration de la performance à la fois motrice et vocale. Les résultats étonnants que l’on constate sont de deux ordres. Premièrement, les performances manifestent un degré d’élaboration spontanée qui en fait d’authentiques tentatives musicales, en raison des rythmes et des modulations que l’on observe. Il s’agit d’une forme d’expression primitive, au même titre que les danses et les rondes spontanées des enfants, mais ici avec le secours du son. La méthode met en évidence des potentialités qu’aucune pédagogie traditionnelle ne peut espérer détecter en raison des contraintes du système. Deuxièmement, la structuration active des sons librement produits entraîne une structuration de la personnalité toute entière. Ceci a pour conséquence une diminution marquée de l’agressivité spontanée et une harmonisation des rapports entre enfants. Il s’agit d’une méthode pédagogique originale, fondée sur le respect des dimensions expressives du comportement et par laquelle le respect mutuel s’acquiert progressivement au fil des ateliers.

L’enthousiasme des enfants et l’avis des enseignants permettent d’affirmer que la méthode se recommande d’ores et déjà comme un outil pédagogique de grande portée, d’une part parce que la participation aux ateliers transforme complètement les relations des enfants entre eux et avec l’institution scolaire, et d’autre part parce que la méthode se révèle aussi fructueuse pour les enfants normaux que pour les enfants atteints de handicaps ou de troubles comportementaux divers.
 

Afin d’aboutir à une estimation aussi objective que possible d’une méthode qui soulève de nombreuses questions tant sur le plan musical que psychologique, un entretien nous a paru intéressant entre Hervé Thys, directeur de la Société Philharmonique de Bruxelles et créateur de la méthode, Georges Thinès, professeur d’éthologie et d’anthropologie philosophique à l’Université Catholique de Louvain et le docteur Jean-Pierre Legrand, professeur de psychiatrie à la même université, et qui, pratiquant tous trois un instrument, peuvent donc émettre un avis autorisé sur la méthode.
 

Notons qu’au cours de cet entretien, il sera fait principalement référence aux ateliers fréquentés par les enfants de l’école Catteau-Aurore qui se déroulent depuis quatre ans au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et au Centre d’Enseignement et de Traitement différenciés (C.E.T.D.) de Woluwé. Ils sont tous animés par Raphaëlle Holender, psychologue.
 

Georges Thinès : Vous avez une formation musicale, et comme directeur de la Société Philharmonique, vous avez organisé de très nombreux concerts, ce qui vous a mis constamment en présence des plus grandes œuvres et des plus grands artistes. Cela étant, comment l’idée des ateliers vous est-elle venue ?
 

Hervé Thys : je suis parti de deux idées. La première m’est venue principalement en raison de mes relations avec John Cage, qui a été un ami intime, et qui m’a convaincu que toute situation sonore fait partie de l’univers musical au sens propre. Ceci ne signifie en aucune façon que j’oppose cette idée à l’immense patrimoine musical qui est le nôtre et dont la splendeur m’a toujours conquis et reste pour moi un objet de très grande admiration. Si toute situation sonore doit être considérée en elle-même, il n’est pas indispensable à mon sens de la référer aux modèles classiques, qu’ils soient anciens ou contemporains. Il est donc possible d’imaginer une accession à l’univers musical qui ne passe pas nécessairement, au moins au début, par une tentative de maîtrise des techniques et des œuvres qui ne peuvent être vraiment comprises qu’à travers un apprentissage souvent pénible et une formation que les enfants ne possèdent pas encore. La seconde idée est, en gros, une certaine réflexion philosophique sur la liberté. A la liberté par rapport à l’art constitué vient s’ajouter une libération de la pensée qui, cette fois encore, n’oblige plus à se référer exclusivement à des modèles établis. Cet affranchissement se fonde avant tout sur l’unicité de chacun ou, si l’on préfère, sur les différences individuelles. Dans cette perspective, il me paraît possible de ressentir ces différences sans porter sur elles le moindre jugement. Cette position, je l’ai adoptée à la suite de certaines lectures qui m’ont particulièrement inspiré. Ici sont intervenus des philosophes comme Nietzsche et bien d’autres encore.
 

Pour revenir à John Cage, il faut souligner le fait que j’ai déjà moi-même tenté de faire accéder au monde sonore de façon tout à fait libre un certain nombre d’adultes. Or, lorsqu’on leur donnait la possibilité d’improviser librement au micro sur divers instruments, ils avaient tendance à s’aligner sur certains modèles musicaux de l’époque, en l’occurrence le free-jazz, dans le cas qui nous occupe. Cette circonstance a été pour beaucoup dans ma décision d’organiser des ateliers de sensibilisation libre à la musique pour de jeunes enfants n’ayant pas encore subi de façon trop marquée l’influence culturelle ambiante.
 

A ma grande stupéfaction, en mettant ce système en marche avec des enfants âgés de huit à dix ans, ceux-ci ont immédiatement accepté ces ateliers comme un jeu qui devenait rapidement pour eux la source d’une grande fascination. Dès les premiers essais, qui furent modestes mais dans lesquels intervenaient déjà des instruments assez divers, je constatai que certaines règles spontanées de découpage du temps se manifestaient. Disons, pour faire bref, que, dans toute séance d’atelier, trois phases se sont rapidement dégagées : la première est caractérisée par un désordre marqué, du fait que tous les enfants s’essayent ensemble aux instruments ; la deuxième phase est caractérisée par un silence, lequel est nécessairement imposé, faute de quoi la première phase ne pourrait être dépassée ; la troisième phase, qui est la plus typique, consiste en ce que chaque enfant improvise librement au micro sur l’instrument de son choix. Je tiens à souligner ici le fait que, sauf exception, les enfants ne disposent d’aucune formation musicale préalable et manipulent dès lors les instruments sans aucune compétence acquise.
 

Georges Thinès : Ce que vous avez dit jusqu’à présent définit la nature des ateliers par rapport à certaines contraintes culturelles et en particulier par rapport à l’apprentissage musical courant. Vous montrez aussi que, dans ces conditions non directives, des principes informulés semblent apparaître. Qu’en est-il de la spontanéité dans les productions libres des enfants ?
 

Hervé Thys : Peut-on légitimement considérer comme musicales de telles productions libres ? Au début, je considérais les improvisations des enfants comme totalement dénuées d’intérêt sur le plan proprement musical. Il faut dire qu’à cette époque, je m’étais plus particulièrement intéressé aux enregistrements sur vidéo plutôt qu’aux productions sonores elles-mêmes. Ce n’est que très récemment que j’ai été amené à reconnaître que les fragments improvisés tendaient à s’organiser en des sortes de structures musicales élémentaires, propres à chaque enfant et même parfois à certains groupes d’enfants. Lorsque je parle de groupe, j’ai en vue les petites associations spontanées de six ou sept enfants qui se réunissent et jouent, chacun à sa guise, sans concertation aucune sur le plan sonore. Ces groupes sont enregistrés lors d’improvisations et manifestent une certaine spécificité d’exécution, différente de celle d’autres groupes.
 

Georges Thinès : En soulevant le problème de la musicalité ou de la non-musicalité des productions spontanées des enfants, vous soulevez nécessairement celui du plaisir de l’audition. Il me paraît en effet que, si musique il y a il doit y avoir, de quelque façon, une satisfaction esthétique du côté de l’auditeur.
 

Hervé Thys : Vous voulez sans doute dire que, si les improvisations des enfants présentent un minimum de musicalité, elles doivent satisfaire l’oreille d’une manière ou d’une autre. Pour répondre à cette question, je crois qu’il faut considérer les productions sonores isolément, c’est-à-dire indépendamment de l’enregistrement vidéo. Ceci me paraît nécessaire si l’on veut les mettre en regard avec des musiques qui sont d’authentiques productions de compositeurs, lesquelles nous atteignent la plupart du temps en dehors de toute autre information sensorielle. Je peux dire à ce propos qu’ayant écouté des enregistrements d’enfants dans ces conditions, j’y ai pris progressivement un certain plaisir. Ceci me paraît être d’une grande importance, car s’il m’a fallu un certain temps pour éprouver un plaisir d’audition à partir de ces enregistrements, il en a été de même pour moi, et pour la plupart d’ailleurs, avec des musiques éloignées de celles que l’on a coutume d’écouter et qui répondent au modèle traditionnel. Il suffit de songer aux difficultés que l’on a éprouvées, à l’époque de Webern, de Bartok et d’autres encore, pour apprécier et comprendre leurs œuvres. Sans vouloir prétendre, faut-il le dire, que les productions des enfants se situent à ce niveau, leur caractère insolite, en comparaison avec des musiques dignes de ce nom, exige lui aussi un certain temps de familiarité pour livrer sa nature musicale éventuelle.
 

S’agissant de plaisir, il faut également évoquer celui de l’exécution. Encore une fois, ce mot ne saurait désigner ici une exécution musicale au sens propre. Cependant, les actes accomplis par les enfants au cour des ateliers aboutissent à la production de sons et par conséquent, peuvent être considérés comme des formes élémentaires d’exécution. Celles-ci, mon expérience peut en témoigner, produisent chez les enfants un plaisir immense. Il se manifeste en particulier par le fait qu’au moment où l’animatrice demande qui désire se faire enregistrer, tous les enfants se précipitent littéralement sur elle pour accéder au micro. Les enfants manifestent donc un désir évident d’improviser, même ceux qui par ailleurs sont fort timides.
 

A partir du moment où j’ai compris que ce plaisir d’exécution, qui n’était autre qu’un jeu, s’observait chez tous les enfants, même gravement handicapés, j’ai voulu approfondir cet aspect et je me suis tourné naturellement vers la psychanalyse de l’enfant et vers la psychologie du jeu.
Or, à mon grand étonnement, j’ai découvert qu’aucune de ces deux disciplines ne faisait de place à la musique. Ceci est peut-être dû à la conviction que la musique est réservée exclusivement à ceux qui apprennent et pratiquent un instrument.
 

Jean-Pierre Legrand : Les analystes, de même que beaucoup de psychologues, ne se sont guère intéressés àl’univers sonore comme expression ludique de l’enfant. J’ajouterai que Freud était tout à fait fermé à la musique de même que Goethe. Dans le cas de Freud, la musique provoquait chez lui une émotion tellement viscérale, qu’elle ne pouvait être transposée à l’ordre du langage.
 

Hervé Thys : Il en va de même, pour Musil et Wittgenstein, ses contemporains.
 

Jean-Pierre Legrand : Je voudrais pourtant vous faire remarquer que les psychiatres se sont tournés vers la musique lorsqu’ils ont songé à ce qui est devenu la musicothérapie.
 

Hervé Thys : Effectivement. Si je n’ai pas évoqué ici la musicothérapie, c’est qu’à mon avis, elle n’utilise pas l’improvisation spontanée comme procédé thérapeutique.
 

Jean-Pierre Legrand : Je crois néanmoins que l’on utilise une certaine forme d’improvisation en musicothérapie par l’utilisation libre d’instruments à percussion. Mais peut-être s’agit-il dans ce cas d’une rythmothérapie plutôt que d’une musicothérapie au sens propre. J’ajouterai que, dans cette formule, on ne préconise pas l’utilisation d’instruments à haute technicité, comme les instruments à cordes par exemple, alors que c’est le cas dans vos ateliers.
 

Il ne faut pas non plus négliger le fait que la musicothérapie, au moins en France, a pour but principal d’entrer en communication avec des malades, mais il s’agit d’un mode d’accès au sujet qui reste très périphérique en ce sens que ce type de thérapie ne constitue qu’une première approche dans la voie de la communication.
 

Georges Thinès : Pour résumer la question qui vient d’être évoquée, je dirai que la différence principale entre la musicothérapie et la méthode Thys gît dans le fait que la première utilise un système déjà accompli, et que par conséquent elle ne fait pas réellement de place à l’expression spontanée qui caractérise la seconde.
 

Hervé Thys : La confrontation de la musicothérapie avec les ateliers que j’ai créés me met toujours un peu mal à l’aise, encore que l’on puisse estimer qu’à la limite, ces ateliers instaurent, à leur façon, un certain type de musicothérapie. Les conditions dans lesquelles les enfants sont placés au cours de ces séances permettent en effet la manifestation de comportements qui traduisent une désinhibition dans leurs rapports avec les autres et avec eux-mêmes. Je songe ici au cas d’un enfant à tendance autiste, qui refusait tout contact avec les autres et effleurait à peine les instruments, et qui, après un certain nombre de séances, grâce à son immersion dans la situation sonore et du fait qu’il n’était ni jugé, ni sanctionné, a pu découvrir le plaisir de la participation.
 

Je crois que ceci témoigne du caractère propre de la méthode et la différencie complètement des situations contrôlées dans lesquelles interviennent, entre autres choses, des apprentissages spécifiques. Ainsi, les enfants qui arrivent aux ateliers en ayant déjà appris un peu de musique font systématiquement la différence entre l’exécution d’un morceau et les improvisations spontanées de l’atelier. Ces enfants exécuteront à l’occasion un petit morceau devant le groupe, qui se montrera d’ailleurs très admiratif ; cependant, il ne s’opère jamais aucune osmose d’un domaine à l’autre. Les enfants qui ont eu un début de formation musicale participent comme les autres aux activités du groupe.
 

Jean-Pierre Legrand : Considérez-vous que les performances observées ont un rapport quelconque avec l’art musical ?
 

Hervé Thys : La question de l’art ne se pose pas, à mon avis, à propos des ateliers. La musique a sa spécificité. Il y a en elle une potentialité de structuration que l’on peut considérer comme l’origine de l’autostructuration du sujet et ceci constitue pour moi la dimension active principale à laquelle ma méthode, je le crois, permet de se manifester.
 

Bien entendu, la fréquentation des ateliers aura, je l’espère, un effet positif sur la curiosité musicale que les enfants pourraient éventuellement développer plus tard. Je ne vous cacherai pas que, lorsque j’ai initialement songé à organiser de tels ateliers, c’était aussi pour favoriser le désir des enfants de participer à des concerts et de découvrir de la sorte toute la richesse de notre univers musical. Mais j’étais en même temps convaincu que ce n’était pas le seul but à poursuivre et j’étais intimement persuadé que les effets que les ateliers exerceraient sur les enfants iraient aussi dans le sens d’un meilleur équilibre tant intérieur que dans leurs relations avec les autres et notamment avec les divers groupes auxquels ils se trouveraient mêlés.
 

Georges Thinès : Effectivement, les résultats acquis jusqu’à présent le prouvent abondamment et, de l’avis même des enseignants, les classes qui ont fréquenté les ateliers se signalent par une diminution notable des actes agressifs, une meilleure cohésion du groupe, et surtout une satisfaction accrue à participer activement aux activités scolaires de toute nature.
 

Jean-Pierre Legrand : Puisqu’on vient d’évoquer l’action pédagogique, je souhaiterais faire remarquer qu’il existe une antimonie nette entre les contraintes de l’apprentissage scolaire et l’entière liberté des ateliers. Je serais même tenté de dire que ces derniers créent des conditions de liberté d’expression qui s’opposent nettement à toutes les contraintes de la vie ordinaire. Je me demande dès lors dans quelle mesure l’influence des ateliers ne pourrait pas se traduire par un éloignement éventuellement dangereux par rapport aux conditions réelles de la vie.
 

Hervé Thys : C’est effectivement une question fort importante et je crois pouvoir y répondre en soulignant des faits qui semblent au contraire montrer que, si les ateliers ont une valeur formative quelconque, elle ne va apparemment pas dans le sens que vous dites. En premier lieu, je voudrais rappeler que j’ai dès le début établi un programme de dix séances, échelonnées sur une seul année scolaire. Les enfants ne reviennent donc plus par la suite. Néanmoins, comme les ateliers s’intègrent au programme de la première année scolaire (du moins dans l’enseignement de type traditionnel), ils constituent selon moi un complément intéressant du programme obligé et représentent une ouverture indispensable vers la liberté d’expression, laquelle agit positivement, nous l’avons vu, sur les apprentissages imposés par l’école. Ajoutons que la fréquentation des ateliers a déjà déterminé, sur un nombre important d’enfants, le désir d’apprendre à jouer d’un instrument, ce qui constituait du reste pour moi un objectif non moins fondamental que le reste. Enfin, il est assez remarquable que, loin de mener à un désordre, voir à une désorganisation accrue du comportement, la situation d’atelier détermine, dès les premières séances, un climat général de tolérance réciproque et de respect du matériel. Nous n’avons jusqu’à présent constaté aucun bris d’instrument et les rapports inter-individuels n’ont jamais pris des formes violentes. Il semble donc bien que les enfants, placés dans une telle situation, ont tendance à autoréguler leurs relations malgré la très grande liberté qu’on leur consent.
 

Georges Thinès : Si je puis conclure par quelques remarques d’ordre général, je dirai que, ce qui me paraît important du point de vue psychologique, c’est le fait que la méthode Thys introduit un facteur de liberté expressive dont l’effet semble très favorable dans un domaine pédagogique où l’on a fait plus d’une tentative en ce sens, sans jamais la réussir vraiment. Je songe particulièrement aux essais de la méthode globale et plus récemment, à des modifications dont les procédés pédagogiques qui, comme l’effort de l’enseignement rénové, ont offert aux enfants des libertés qui n’avaient à leurs yeux qu’un sens restreint. Ainsi le fait d’accroître la liberté de l’élève en lui offrant précocement des options ne peut mener qu’à la désorganisation. Il est donc intéressant de constater que, lorsque l’on accorde aux enfants des libertés plus grandes dans les programmes, elles ne peuvent apparemment réussir que si elles sont liées à des activités expressives. C’est du reste ce qui s’est fait à propos de l’expression graphique, laquelle a souvent été une réussite dans les écoles où on la pratique. La raison pour laquelle ce couplage de la liberté et de l’expression réussit particulièrement bien dans le domaine sonore tient au fait, souvent souligné, que la musique ne possède pas de sémantique, ce qui veut dire qu’elle ne véhicule au départ aucun message particulier et que, par conséquent, elle est toujours prête à traduire les états psychiques des individus les plus divers. On comprend mieux dès lors l’enthousiasme des enfants pour les ateliers, mais ce qui est surprenant, c’est qu’en dehors de toute préparation et d’organisation collective préalable, il s’établit très rapidement ce que nous avons appelé la tolérance réciproque et ultérieurement une écoute attentive de chaque enfant par le reste du groupe. Il ne faudrait pourtant pas conclure à partir de cela à une action psychologique résultant d’une réelle performance artistique. L’un de nous a fort justement remarqué tout à l’heure que les manifestations sonores observées dans les ateliers restent étrangères à l’art proprement dit, même sous sa forme la plus élémentaire. J’ajouterai qu’en ce qui concerne l’art je me réjouis de constater que, partant de manifestations sonores étrangères à l’art, les ateliers mènent les enfants après quelques mois à demander à apprendre la musique et ce dans une proportion étonnement élevée. Ce que sera le rendement final de cet intérêt précoce, il est difficile de le dire, mais il est certain que l’enfant aura de toute façon été sensibilisé aux phénomènes musicaux, ce qui est bien le but poursuivi par la méthode Thys. Celle-ci apparaît donc comme d’autant plus utile que notre système d’enseignement belge ne fait aucune place sérieuse à l’art en général et à la musique en particulier.
 

Nous avons affaire, avec la méthode Thys, à une tentative pédagogique originale qui ouvre de nouveaux horizons dans l’exploration de l’univers de l’enfant. La méthode a dès maintenant soulevé beaucoup d’intérêt dans certains milieux universitaires. Quelques études y ont déjà été consacrées. Celle-ci intéresse en effet plusieurs disciplines telles que la psychologie clinique, la psychiatrie, l’éthologie humaine, l’anthropologie et bien entendu la musicologie.
 

Cet article est paru dans la "Revue Générale Belge" n°11 de novembre 1992.