Méthode Thys

Méthode Thys. Une proposition nouvelle pour induire créativité et communication

I. Matériel de Méthode :

Un petit groupe d’enfants, plus
ou moins du même âge, accompagnés d’un enseignant, entrent dans une salle dont
la porte s’ouvre comme une boîte à surprise. L’espace est, en effet, investi
par une incroyable diversité d’instruments de musique : du piano à la contrebasse
en passant par les percussions et les flûtes. De vrais instruments qui ne sont
pas des jouets. Il y a même un micro.

Derrière une table, se trouvent
l’animateur qui est le meneur de jeu, et quelques adultes venus en observateurs
silencieux. Si vous aviez été parmi eux, voici à quoi vous auriez assisté.

On dit aux enfants : “Vous êtes
ici chez vous, faites ce que vous voulez !” Les plus timides hésitent,
impressionnés ; les plus déterminés s’emparent immédiatement d’un instrument et
s’évertuent à en tirer des sons en frottant, en frappant, en soufflant, sans
trop savoir comment. D’autres touchent à tout en s’esclaffant. Bientôt, c’est
un beau vacarme, un vrai Tohu-bohu.

Pendant ce temps, une lampe verte
est allumée. Mais, au bout d’un quart d’heure, elle s’éteint et une lampe rouge
s’allume. L’animateur dit : “Ecoutez le silence !” C’est ce que signifie la
lampe rouge : plus un son, plus un cri, plus un mot ne doivent perturber le
lieu. Ce qui n’interdit pas de bouger, mais sans bruit.

Des cassettes audio, portant un
signe distinctif pour chaque enfant, sont mélangées dans un sac. L’animateur en
prend une au hasard. Celui qui est ainsi désigné par le sort s’avance vers le
micro et se nomme. Pour lui, la lampe verte s’allume ; pour les autres, la rouge
reste de rigueur. Il est alors le soliste qui improvise à sa manière et selon
ses moyens. Sa prestation est enregistrée sur sa cassette. Après trois minutes
d’improvisation, la lampe rouge s’éteint et le “Tohu-bohu” recommence jusqu’au
tirage au sort d’une autre cassette.

L’enfant désigné peut demander à
être accompagné par un ou plusieurs de ses camarades. Chaque enfant devient
ainsi soliste pendant trois minutes, à moins qu’il ne refuse de jouer. Les
improvisations ne ressemblent évidemment à rien de ce qui est généralement
considéré comme oeuvre musicale ou simplement musique.

La séance ne dure pas plus d’une
heure. Alors tout le monde s’en va, aucun observateur n’ayant donné le moindre
conseil ni le moindre signe d’appréciation. Bien entendu, les enfants, garçons
et filles, ne doivent pas être nombreux : minimum trois, maximum dix. Ils sont
réunis selon leur âge. Les séances ne sont pas fréquentes : une par mois
pendant l’année scolaire. En bref, c’est la méthode Thys. Ou l’a-méthode.

II. Les résultats sont-ils une récréation ?

De quoi s’agit-il donc ? Est-ce
une récréation, un jeu, une initiation à l’art des sons ? Ou peut-être une
thérapie, une méthode, une approche pédagogique ? Une invitation, une
incitation au développement de la créativité et/ou de la communication chez les
jeunes ?

1a. Un aspect psychopédagogique
est, assurément, affirmé par la répétition des trois séquences qui structurent
les séances : le tohu-bohu, le silence, l’improvisation. Celle-ci est d’autant
plus libre que les enfants sont parfois très jeunes et sans aucune connaissance
du solfège ni de la pratique instrumentale.

1b. L’Observateur ne pourrait-il
avoir l’impression de participer à une sorte de psychanalyse ? En effet, Hervé
Thys reconnaît la similitude de ces principes de base. Ainsi, les réalisations
des enfants doivent être totalement libres, sans influence ni intervention des
adultes présents ; et ce qu’ils font ne doit jamais donner lieu à un jugement.

1c. D’autre part, vu le micro que
les enfants utilisent pour se nommer, les séquences minutées, les lampes qui
s’allument et s’éteignent, le fait de jouer en présence d’adultes spectateurs,
instaurent une sorte de rituel, sans applaudissements ni commentaires.

Voilà donc une organisation
apparemment facile où chaque élément a cependant sa raison d’être.

L’imagination réfléchie d’Hervé
Thys et la collaboration étroite d’Henriette, sa femme, participent activement
à ses ateliers.

2. Bref rappel historique.

Le premier de ceux-ci fut ouvert
en 1983 dans un institut pour enfants handicapés : le Centre d’Enseignements et
de Traitements différenciés de Woluwé (Bruxelles). Les résultats ont été si
manifestes que les ateliers n’ont jamais cessé leurs activités. Pour ces
enfants, il a bien fallu introduire des instruments de musique d’un accès
approprié où l’électronique a permis de résoudre quelques problèmes. Mais
l’intention n’était pas d’élaborer un système pour les handicapés. Il devait
être également valable pour tous.

Aussi, dès l’année suivant, des
ateliers ont pris place au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, d’abord en
collaboration avec les Jeunesses Musicales de Bruxelles (flamandes et
francophones) ; puis, à partir de 1988, en collaborations successives avec
différentes écoles de Bruxelles. En 1991, d’autres ateliers ont été ouverts au
Conservatoire de Liège pour des enfants relevant d’un enseignement spécial. En
1995, c’est l’Ecole de Musique de Rixensart qui a souhaité inscrire dans son
programme ce type d’activité, pour des enfants à partir de trois ans. Cette
même année, un autre atelier a été ouvert au Conservatoire Populaires de
Musique de la Ville de Genève, en collaboration avec une unité
pluridisciplinaire de recherche sur la communication non verbale, créée par
Daniel Stern, attaché à la faculté de psychologie et des sciences de
l’éducation à l’Université de Genève.

Entre-temps, deux associations
ont été constituées : l’asbl “Musique et Société”, dans le cadre des activités
de la Société Philharmonique de Bruxelles, dont l’un des objectifs est le
développement de la méthode Thys dans la Communauté Française ; et l’asbl
“AREMI” qui assume la responsabilité juridique des droits sur cette méthode. Un
comité d’éthique, d’autre part, réunit des spécialistes attitrés des
universités de Bruxelles et de Louvain ; il apporte sa garantie contre des
dérives éventuelles.

Pour entreprendre une telle
démarche, il fallait la compétence et la curiosité d’esprit propres à Hervé
Thys.

C’est le violon qui l’a conduit,
dès l’enfance à franchir les étapes d’une formation musicale classique. Dans
les années ’50, il se trouva concerné par le foisonnement d’idées nouvelles qui
agitait l’avant-garde. Avec le compositeur Henri Pousseur et l’ingénieur
Raymond Liebens, il créa un studio de musique à Bruxelles, le troisième en
Europe, après ceux de Cologne et de Milan. Il s’investit aussi dans une
association pour promouvoir l’audition des oeuvres nouvelles des jeunes
musiciens d’alors, ses contemporains : Boulez, Stockhausen, Berio, Maderna et
d’autres.

Quelques années plus tard, il
s’inscrivait, sans renoncer à ses idées, dans une orbe obligatoirement plus
conventionnelle : il était nommé
Directeur de la Société Philharmonique. Pendant vingt-cinq ans, il allait
fréquenter solistes et chefs d’orchestre internationaux. Peut-on rêver d’un
meilleur poste d’observation pour découvrir les comportements des musiciens et
du public, pour mieux comprendre l’importance des effets que la musique exerce
sur l’être humain ?

Cependant, les conceptions de
John Cage, sur le hasard, le silence, l’instant présent, l’ont profondément
marqué. Attiré par la philosophie et la science, il s’est sérieusement
intéressé aux récentes découvertes en biologie génétique sur le comportement du
fœtus, et en neurobiologie, sur le rôle des hémisphères cérébraux.

Sans s’appuyer sur l’élaboration
de quelque théorie préalable, sans avoir d’autre projet que d’observer les
réactions des enfants incités, dans un certain cadre, à une création libre, la
démarche d’Hervé Thys n’en est pas moins déterminée par ses connaissances et
ses multiples pôles d’intérêt.

La perception des sons et la
sensibilité de l’être humain, avant la naissance même, étant prouvée, l’enfant,
avant d’avoir acquis toutes les subtilités de notre langage verbal, ne
pourrait-il pas se construire, avec les sons, un moyen de communication non
verbal ?

D’autre part, notre système
occidental d’éducation et de formation scolaire tendant à privilégier les
sciences dites “dures”, ne fallait-il pas compenser, le plus tôt possible, la
formation d’un éventuel déséquilibre ?

Le domaine sonore, pour de
multiples raisons, ontologiques et structurelles, scientifiques et
spirituelles, s’imposa alors comme le champ d’expérimentation le plus apte à
éveiller l’imagination spontanée, dégagée de tout apprentissage et d’une trop
forte imprégnation culturelle. N’était-ce pas le meilleur moyen ludique pour
l’activation des zones “compensatrices” du cerveau ?

Il ne fallait cependant pas
oublier l’apport indispensable du raisonnement. Hervé Thys a donc introduit un
élément complémentaire au déroulement des séances : l’écriture, qui suppose le
raisonnement. Elle intervient dans un modèle de “partition”, sans notes de
solfège. Il s’agit pour nos jeunes improvisateurs, de suivre quelques simples
indications pour inventer les traits qui vont représenter les divers paramètres
de leur musique : timbre, intensité, rythme, variation des hauteurs. Ces
partitions conçues pour être réalisées et jouées à deux, sont le “support”
méthodique “offert” à l’enfant…

III. Résultats :

Au cours de ses ateliers, il a
été réuni une masse de documents sur cassettes et sur films vidéo. Ces
enregistrements ne sont pas destinés au public, ni même aux parents : ils sont
à usage scientifique. En les revisionnant, en les réécoutant, ils permettent
d’affiner les observations et servent à étayer les discussions avec les
personnes intéressées.

Assez vite, quelques
scientifiques ont corroboré la démarche. Georges Thinès, psychologue et
éthologue, professeur à l’Université de Louvain, Isabelle Stengers, professeur
de philosophie à l’Université de Bruxelles, Thierry De Smedt, attaché au
département Communication à Louvain, Herman Sabbe, professeur en musicologie à
l’Université de Gand, ont été parmi les premiers à mettre en évidence les
implications de la méthode Thys. Ils ont souligné son originalité et son
influence possible sur l’évolution du comportement.

Les enseignants eux-mêmes ont
témoigné de résultats imprévus et positifs apparus chez leurs jeunes élèves :
développement de la personnalité, meilleure intégration dans le groupe.

Enfin, mémoires et thèses sur
cette méthode ont déjà été présentés.

Hervé Thys démontre que c’est le
jeu de la liberté qui engage la créativité et la communication, indépendamment
de tout conditionnement culturel “appris”, bien que les instruments de musique
les plus classiques, prêtés aux enfants, soient la manifestation établie d’une
culture.

CONCLUSIONS :

Dans l’Encyclopédie Fasquelle, dont la parution a fait date en 1958, parmi les préliminaires se trouve un texte étonnant d’Henri Michaux, intitulé “Un certain phénomène qu’on appelle musique.” En voici les premières lignes : “L’enfant qui si longtemps a joué avec les choses, avec le sable, avec l’eau, avec les vagues, que va-t-il rester en lui plus tard de son pouvoir de jouer ? Lion accompli ne joue plus, ou si peu. En l’homme toutefois, être au développement lent, le jeu, finement insinué, ayant eu le temps de devenir important, ruse pour survivre autrement qu’en traces, et cherche et trouve parfois, au milieu de conduites d’adulte, une nouvelle organisation ludique… Il y a ce qu’on appelle musique.

De la musique, Michaux dit que c’est un “art de l’élan”, primordial “comme le jeu de l’enfant dans les vagues et le sable” ; il dit que c’est un “art du comportement, quoique sans références au monde extérieur… une façon non d’être, mais de vivre, de se sentir vivre – quoi de plus communicable ?
En fait, les propositions actuelles d’Hervé Thys rejoignent les idées d’Henri Michaux. Comme lui, il souligne l’importance du jeu et avance une certaine conception de la musique par rapport à l’homme. Ses déclarations à Martine Dumont-Mergeay lors d’une interview publiée en novembre 1992 (revue “Continuum”, édit. Société Philharmonique de Bruxelles) sont les plus explicites en ce sens. Il conclut : “La communication à partir de la musique improvisée (et non d’une musique ayant fonction d’art dans une société hiérarchisée et normative) permettrait d’appréhender l’ensemble de l’être, partant du plus proche vers le plus lointain ; elle permettrait de reconnaître l’infini et le multiple de la nature. De cette démarche, la musique improvisée pratiquée par les enfants m’interpelle : à voir et à entendre ces très jeunes enfants tels qu’ils s’expriment dans les groupes de sensibilisation dont je m’occupe, il m’apparaît de plus en plus clairement qu’ils ont infiniment moins peur du chaos que l’adulte, et même qu’ils nous ont déjà précédés dans le territoire qu’on appelle désordre. Curieusement, au lieu de faire n’importe quoi, ils font une vraie musique, qu’on ne peut rattacher ni aux cris ni aux chants des animaux, ni à l’art tel que nous le connaissons, une musique qui est la leur et dont il me semble désormais impossible de ne pas tenir compte.”

BIBLIOGRAPHIE :
- John CAGE “Silence” – Denoël 1970
- Joan HUIZINGA “Homo Ludens” – Essais sur la fonction sociale du jeu – Gallimard 1988

M. Verken
Administrateur de l’asbl “Musique & Société”. 1996