Méthode Thys

DS202

D.D. Oui, il en rit ! Par exemple il y a un truc qui est… à un moment donné dans les débuts de l’utilisation de la partition, je l’ai vu proposer : en bleu vous écrivez quand vous jouez et en rouge vous mettez le silence et vous faites des zones, comme cela vous respectez le silence. Et puis quand les enfants ne respectent pas du tout, il trouve cela fantastique, tout aussi bien, il n’y a aucun problème, c’est très bien comme cela.
C’est peut-être plus Henriette et moi par exemple qui de temps en temps nous nous demandons si un tel enfant est bien en train de faire ceci ou cela. Et lui c’est plus la chose en elle-même… éventuellement, cela sera ce qui va sortir, ce que l’enfant va faire, la manière dont il va le faire, etc. - c’est là-dessus qu’il va s’accrocher.
Mais l’adéquation entre les consignes et la manière dont elles sont utilisées, détournées ou oubliées… il n’en parle jamais… sauf quand cela ne marche pas du tout, je veux dire quand les enfants ne peuvent pas se saisir de la proposition…

Là-dessus on est ok ? Ok, mais si tout cela c’est le cas… Alors ?
Oui, je prends le prochain pas. C’est que… et là on est déjà d’accord avec la première partie de ce pas, qui est que il ne s’intéresse pas à la musique proprement dite, ni à la danse… alors il s’intéresse à quoi, en fait ? Et c’est pourquoi je reviens à cette idée de dessins internes, parce que c’est avec ce dessin - je sais que c’est mystérieux de le dire comme cela, je ne sais pas comment le dire autrement - parce que c’est avec ces dessins internes qu’on va faire sa propre, unique, interprétation de la musique, même écrite, ou d’une danse, ou de n’importe quoi.
Et c’est là qui est la génialité de ces grands performeurs et aussi la génialité des grands créateurs de la musique ou de la danse, parce que…
Alors il cherche cela, il faut donner un certain nom à cela, et il veut aller de là… Comment peut-on appeler cela, ce qui l’intéresse vraiment ?

I.S. Moi je crois… je crois que c’est le comportement humain… Mais de l’individu unique ?
Dans "Éthique et valeurs" il disait bon - il le dit de manière assez forte et répétitive… il a l’impression qu’il faut… et donc prenons la différence entre éthique et morale, il dit que jusqu’ici en période de pénurie, la morale c’était la loi de la tribu avec toutes les normativités de la tribu, tous les il faut, il ne faut pas de la tribu. Et lui il voudrait savoir ce que cela peut être l’éthique, une éthique nue au fond, une éthique…
Il est très intéressé par exemple par l’idée que nous savons quelque part à quel moment nous abusons de quelqu’un, nous dépassons une espèce de barrière et nous faisons violence à son monde et que ce quelqu’un peut être un autre humain ou un chat ou un chien… ou bien on trouve la bonne distance… Et que il y a une espèce d’éthique de savoir spécifique, et il a l’impression que dans le Tohu-bohu les enfants le montrent. C’est-à-dire que ils ne se font pas… alors qu’il n’y a pas de consignes, il n’y a pas de morale, il n’y a pas de tribu, il n’y a pas de morale donnée, ils réussissent à trouver des distances.
Et donc il y a une espèce, je crois, de confiance dans la possibilité que les humains trouvent des manières d’interagir qui correspondent à une éthique ou à une esthétique des bonnes distances, et pas à des interdits ou à des il faut, il ne faut pas. Voilà donc c’est pour cela qu’il veut être le moins normatif possible de l’extérieur pour que justement on puisse en apprendre et faire confiance. Quand je lui ai glissé faire confiance cela venait de William James - volonté de faire confiance comme possibilité pour les autres, justement de trouver ce qui ne vient que si on a confiance en soi, pour sentir la limite où on irait trop loin, il faut aussi avoir confiance en soi. C’est un peu la même chose entre les mères et les nourrissons dans ce que tu décris : il faut que la mère ait confiance en elle pour ne pas pousser, pour ne pas faire intrusion, pour ne pas aller plus loin que le nourrisson n’est prêt à aller.
Donc c’est pour cela qu’il a aussi tellement aimé tes textes, c’est que justement toute cette chorégraphie entre la mère et le nourrisson, la mère sachant ralentir si le nourrisson se détourne… et bien pour lui c’est l’art des rapports humains par excellence, enfin c’est vraiment cela qu’il veut montrer qui peut continuer à exister.. là-dedans et notamment à travers la musique, à travers le son… C’est cette éthique spécifique.

Ok, spécifique, cela c’est le mot-clé. Cela veut dire que ce qui l’intéresse c’est la spécificité de l’expression individuelle.
Oui mais en tant que espèce humaine… Comme l’individu lui-même…
Comme espèce humaine, telle que les différentes morales culturelles, historiques l’ont…habillé.
La spécificité de l’expression humaine individuelle… qui veut dire que pour moi au moment où on joue ou on agit dans les choses normalisées, l’expression humaine, unique, spécifique, sort dans la manière dont c’est fait… pas dans ce qui est fait ! Ok ?
Dans le Tohu-bohu, on essaye de faire tout ce qui est continu, pour n’avoir que l’expression, ok ?
Et puis son système de codage essaye en fait de se maintenir en phase avec l’expressivité spécifique grâce à un code mystérieux qui ne peut être normalisé par qui que cela soit… je fais un résumé dans ma tête de ce qu’il fait - ce qui veut dire que tout ceux qui discutent la musique : est-ce que c’est de la vraie musique, et qu’est-ce que la vraie musique, c’est vraiment à côté du point.
Et peut-être qu’il le pense, je ne sais pas ce qu’il pense de tout cela ?

I.S. Mais lui il voudrait que… ce que nous appelons musique, cela pour lui c’est les lois de la tribu.
Par contre ce qu’il demandait aux musicologues, mais que les musicologues ne lui ont pas donné, c’est la trace justement de la différence entre ce que font les enfants et l’arbitraire. Ce que tu appellerais dessin ou design, en tout cas quelque chose qui est abstrait, mais qui explicite bien que l’enfant est en train de produire quelque chose qui est de lui et pas de faire n’importe quoi.
Donc il lutte contre l’idée que si ce n’est pas de la musique, c’est n’importe quoi… non c’est quelque chose de très important. Enfin de très important… et dont les enfants eux-mêmes qui écoutent peuvent témoigner de l’importance dans le sens où ils l’écoutent, comme si ils entendaient quelque chose qui compte, cela il le dit de plus en plus…
Il le dit effectivement…
Mais c’est tout un apprentissage avec Hervé, parce que au début il est… apprentissage simplement de qu’est-ce que j’ose dire sans ouvrir la porte à tout ce que je ne veux pas. Ce qu’il ne veut pas c’est qu’on lui dise : ah tu vois bien il y a un modèle à partir duquel on peut dire c’est bien ou c’est pas bien. Et donc tant qu’il pense qu’il est en danger de dire cela, il dira non, non, non, et puis peu à peu si il se rend compte qu’il y a quelque chose dans l’événement qui en lui-même dit tiens là il y a de la réussite mais, ce n’est pas un modèle, mais simplement les autres enfants ont leur attention attirée… c’est un fait, à ce moment-là peu à peu il va le prendre avec plaisir, parce que lui aussi il sait très bien quand c’est réussi ou quand c’est raté, simplement il a terriblement peur des mots qui ouvriraient la porte à une théorie générale…
D.D. Il ne sait que quand c’est réussi. Il ne peut pas savoir quand c’est raté parce que cela c’est impossible à dire, il ne peut pas dire quelque chose est raté là-dedans… mais il y a parfois des exceptions, du particulier… il y a du particulier.
Mais ce particulier, il est très dépendant des gens, il y a des moments qui peuvent te toucher toi et pas les autres, c’est fort fluctuant. Il y a des choses qui rassemblent mais il y a aussi énormément de choses qui se passent de manière plus diffuse.
I.S. Mais pour lui vraiment, c’est cela qu’il dit par exemple c’était à la fin… la page 2, de la section F "Éthique et valeurs"…. Tu vois, il commente une phrase de William James qu’il a aimé : "Je suis contre la grandeur et l’énormité sous toutes leurs formes et en faveur des forces morales moléculaires et invisibles qui opèrent d’individus à individus se glissent au travers des fissures dans l’univers comme de tendres radicelles" etc. Et c’est bien à de tendres radicelles qu’il veut permettre de pousser y compris avec ses partitions. Et avec le temps, ce n’est pas la première partition qui dit quelque chose, c’est éventuellement les tendres radicelles de la manière dont pour l’enfant éventuellement le dessin va devenir éventuellement plus personnel, plus singulier...
Pour ceux qui ont l’habitude maintenant des notes pour donner un cours, aucune de nos notes ne ressemble à aucune de nos notes, cela traduit ce dont nous avons besoin et aussi étant donné le sujet et étant donné l’auditoire… Ce sont de tendres radicelles parce que personne ne va apprendre comment on écrit les notes pour donner un cours. Et pour lui le Tohu-bohu c’est quelque chose comme un moment où beaucoup de choses qui ont été mises, où on découvre une liberté qu’on ne savait pas qu’on avait… mais il le dit en dessous, ce sont des moments très intenses puisque de là tout va partir, toute une construction, tout un regard sur eux-mêmes et sur les autres… et il dit on ne peut jamais les remontrer à un enfant après, lui montrer les images qui ont été prises… mais le Tohu-bohu est tellement proche de la folie, de l’acte absolument non contrôlé, de la richesse, de la folie… mais on n’y reste pas, parce que la folie le problème c’est qu’on y reste.
Comment on fait pour ne pas rester au Tohu-bohu, mais sur un mode qui ne lui tourne pas le dos, enfin qui n’est pas, bon maintenant qu’on a été bien fous, c’était le carnaval, la semaine reprend comme d’habitude ? Donc comment on fait du Tohu-bohu quelque chose qui ne soit pas l’expérience d’un carnaval dans une année qui soit… la même ?
D.D. Dans une année scolaire… Parce que ce que Daniel dit, c’est que le Tohu-bohu c’est quand même très proche de l’expérience commune… Donc en réalité on est souvent dans des situations de Tohu-bohu…
I.S. Oui, mais on ne les prend pas au sérieux…
D.D. Mais si, les enfants prennent cela très au sérieux, ils n’arrêtent pas de devoir inventer des jeux ou des situations d’improvisation, ils sont tout le temps là-dedans…

Les improvisations mères enfants ce n’est que dans les jeux… parce que pour bien des autres choses, elle pousse l’enfant vers la normalité - pour toutes sortes de raisons nécessaires et évidentes, surtout avec le langage, et aussi avec les manières d’être, de manger, etc.
Mais dans les jeux… J’ai l’impression, je me demande si on a déjà fait un morceau de son : si ce n’est pas déjà dans les souvenirs, si ce n’est pas mémorisé ? J’imagine que c’est déjà suffisamment mémorisé, et alors je me demande ce qu’ajoute le codage ?
C’est peut-être une fausse question, parce que la raison d’être pour le codage c’est pas pour que cela soit une reproduction.
Mais on va avoir un souvenir pas en fait de ce qu’on a fait mais du sentiment derrière, qui est effectivement ce qu’on veut faire avec le codage. Parce que souvent quand tu entends les gens qui sont relativement verbaux par rapport au moment de création d’un son – et Mozart était relativement loquace par rapport à cela, il parle d’images très visuelles, une tasse de thé même ou sur une table, et puis cela devient de plus en plus élaboré, visuellement et en même temps musicalement tel que à la fin il a fini, c’est fait et quand il arrive chez lui, il peut l’écrire.
Oui, mais cela c’est Mozart… Oui, mais regarde…
Je reviens à ton ami William James, il a dit si tu veux comprendre la religion, tu connais cette citation ?
"Si tu veux comprendre la religion il te faut trouver l’homme le plus religieux du monde pendant le jour le plus sacré, au moment le plus transcendant et si tu peux comprendre ce qui se passe pendant ce moment tu as compris la religion", c’est pourquoi Mozart est un bon exemple…

I.S. Mais Hervé te répondrait, Mozart a passé toute sa jeunesse à faire, comme un petit surdoué, de la musique comme son père…Oui mais il a heureusement maintenu son dessin intérieur.
Oui, c’est cela comment maintenir son dessin intérieur en le nourrissant ? Comment nourrir un dessin en lui permettant d’étendre ses tendres radicelles, c’est-à-dire de dessiner de plus en plus de chose ?
Mais je crois que c’est parce qu’il est si ludique… c’est parce qu’il était si ludique qu’il n’a jamais pris au sérieux la musique - sauf la musique qui sortait de lui-même, dans son dessin intérieur.
Dans ce sens-là c’est comme jouer… parce que la maîtrise pour lui c’était si facile que il peut jouer avec, mais ce qui n’est pas le cas pour le reste du monde…

Non, non quelque part il y avait une rencontre entre l’écriture musicale, la musique et son appareil cérébral… Oui si a quatre ans il était déjà en train d’écrire des partitions. Mais si tu veux c’est quelque chose que Deleuze disait - Deleuze était un philosophe qui donnait superbement cours - il disait il faut beaucoup préparer parce que la seule chose qui importe c’est les moments de nouveautés qui viennent quand on donne cours, mais si on veut qu’ils viennent, il faut avoir bien préparé…
Oui et il faut un cadre parce qu’ils sortent du cadre, même en cassant le cadre…
Et c’est vrai que les cours que je donne sur Whitehead, je les prépare beaucoup plus que d’autres et il vient des choses beaucoup plus originales que dans les autres cours, donc je ne crois pas que la préparation soit contre la nouveauté, je crois qu’il y a une espèce de mise en sensibilité qui fait que tout à coup on va sentir le contraste. Et tout le problème aussi c’est justement pour qu’il y ait cela il faut développer un certain type de mémoire, de ce qu’on voulait faire.
Mais c’est intéressant pour moi cette question, il y a un autre mot pour ce dessin interne, c’est le style derrière l’expressivité…
Quand tu disais dessin, sin ou sein ? Parce que vous autres anglophones vous avez design, qui fait les deux. On a le dessein comme intention et le dessin, c’est le même son, mais ce n’est pas le même mot…
Un autre mot pour cela c’est style.
Et peut-être c’est mieux pour nous de parler de style, le style interne.
Tu sais pour moi, le style interne… qui est certainement quelque chose avec une partie très innée et une partie en-culturée… une partie du style interne c’est la forme et le répertoire des affects de vitalité qui t’habitent, qui habitent en toi et qui sont tellement caractéristiques.
Moi je suis tellement impressionné par cet aspect du style, c’est comme si on pouvait reconnaître quelqu’un de derrière quand il marche, et c’est dans toutes les manières… Ta manière maintenant de bouger ton pied, ce n’est qu’à toi, c’est un élément du style, même si quelqu’un fait le même rythme, la phase d’accélération va être très différente, l’attaque - comme on dit en musique - du mouvement sera très différente, et dans ce sens-là, nous devenons incroyablement sensibles à cela chez les autres qui sont les intimes et c’est comme cela qu’on sait toutes ces petites choses.
Et c’est cela que l’on voit aussi pendant que les enfants jouent…
mais je trouve que Thys ne peut pas adopter un vocabulaire même si c’est cela qu’il cherche parce que finalement il est lié à la musique, il aura son influence sur la musique et pas ailleurs… ah, si !

I.S. Disons, je crois qu’il est plutôt lié à la possibilité que ceux qui s’intéressent à la musique disent : ah ben oui c’est bien cela, ah on parle de style et reconnaissent immédiatement les termes de la tradition musicale. Donc il est aussi lié à la musique dans le sens où la musique s’est occupée de tout cela mais l’a mis en normes…
Ok mais la question c’est comment garder le style et pas le tuer pendant qu’on apprend l’utilisation de l’outil, c’est cela le problème de Thys. Et je trouve que pour moi c’est visible…
D.D. 0u encore dans l’autre sens, comment en se servant de l’apprentissage de l’outil développer ou permettre à la petite musique de l’individu de se développer et de se renforcer, de se nourrir, de s’amplifier de ce qu’elle rencontre… c’est les deux.
Ok, mais il y a des choses, des valeurs mentales dont il peut dire qu’elles sont vraies et qui sont importantes pour son argument comme… on va opposer le style contre quoi, qu’est-ce que le meilleur mot ?
Le modèle… Contre le modèle, ok. Qui implique l’utilisation d’un outil ?
I.S. Qui implique que ce qu’on fait est bien ou mal, vérifié de l’extérieur, le modèle dit comment il faut faire…
Oui… qui implique la maîtrise d’un outil.
Il faut dire qu’au niveau mental, le style précède le modèle. Et cela il ne le dit pas, mais c’est important à dire parce que c’est une des raisons d’être du Tohu-bohu, que le style est déjà là… sans maîtrise et sans modèle.

Et je trouve qu’il doit le dire quelque part.

Tout à fait, mais cela je crois qu’il accepterait de le dire puisque pour lui le Tohu-bohu est l’endroit où tous les modèles que les enfants ont ne marchent plus…
D.D. Mais par rapport à cette question-là, le problème n’est pas tellement est-ce qu’il est d’accord ou pas ? La question est à mon avis différente, c’est une question stratégique, quand tu parles comme tu parles c’est plus : est-ce qu’il est bon de dire cela, maintenant quand je vais dans les écoles où je vais, est-il bon de parler comme cela ? Mais je crois que sur le fond il est tout à fait d’accord, est-ce qu’il oserait l’utiliser dans des institutions non seulement pipées par la tradition musicale mais en plus pipées par les psychologues des écoles ?

Oui mais pour moi c’est une évidence de dire que le style précède le modèle ou la maîtrise. Et pour moi en fait c’est un pilier de son approche…
I.S. Et ce qu’il essaye de faire c’est de mener le style le plus loin possible là où avant le modèle venait.
Oui et de le maintenir pendant qu’on apprend la maîtrise et le modèle…
Tout au long en fait, il voudrait que le modèle ne vienne jamais. Ou alors le modèle vient quand on avance masqué parce qu’on est avec des ennemis alors on suit le modèle…

Interruption…

Je me dis comme comparaison, si on veut, avec les jeux mère/enfant qui sont un de nos points de départ, en tout cas entre moi et Hervé, je trouve qu’il y a plusieurs choses qui sont intéressantes dans ce jeu - je vais parler des jeux parce que je les connais mieux, mais en même temps il y a beaucoup de parallèles.
Premièrement, c’est que j’ai mentionné c’est que cette improvisation ce n’est pas complètement sans modèle : le modèle ce n’est pas quelque chose d’écrit et de très compliqué. C’est en général un but, une sorte d’équilibre ou de régulation d’un état… un certain point qui est recherché, soit de calme jusqu’à un point, soit de s’exciter jusqu’à un certain point.
Dans ce sens-là c’est vraiment dirigé vers un but flou et c’est vrai que le but change tout le temps, mais quand on s’en approche cela peut changer complètement. Aussi il y a dans cette forme de Tohu-bohu entre mère/enfant, étant donné qu’il y a un but, il y a toujours les déraillements et les réparations, et en fait une grande partie du bricolage, c’est exactement cela, c’est le déraillement et la réparation.
Et je me dis que probablement c’est le cas aussi pour l’enfant quand il joue avec l’instrument, il a un certain modèle en tête, ce n’est pas le modèle académique mais c’est un modèle quand même de ce qu’il veut au point de vue de son propre état de l’âme ou autre, ce style dont nous avons parlé, dans ce sens-là il travaille avec un modèle mais c’est simplement un modèle individuel ou peut-être à deux si il joue avec quelqu’un. Cela c’est une réflexion par rapport au jeu.
Dans l’autre il s’agit de cette question de faire quelque chose et puis de le représenter si on veut dans un code ou autre, et puis de reprendre, aller/retour avec le codage, je me dis que ce n’est pas complètement loin d’une situation avec une dyade dans le sens où si le bébé fait quelque chose, cela va être répété avec une variation en général après… ce qui veut dire que ce n’est pas simplement qu’il sait dans sa propre mémoire ce qu’il a fait, mais il sait qu’elle sait ce qu’il a fait, dans les moments précédents.
En fait le jeu c’est une variation sur quelque chose qui est devenu un modèle, qui change tout le temps et se construit au fur et à mesure, mais chaque fois il y a une sorte d’aller/retour entre une performance et un modèle en tête qui est partagé. Et un modèle partagé c’est presque codifié, dans le sens où ce n’est plus complètement narcissique - je ne connais pas le mot – ce n’est pas qu’eux, c’est la société au sens plus large qui est dans ce qui se passe entre les deux.
Dans ce sens-là ce n’est pas complètement différent… Oui parce que cette codification va vers l’arbitraire, pas simplement un souvenir de quelque chose qui arrive, mais quand même les deux impliquent un modèle…

I.S. Mais est-ce que c’est un vrai modèle, pourquoi est-ce que tu… Oui c’est un modèle au sens où c’est un peu plus qu’un style, dans le Tohu-bohu c’est du style… cela ne… éventuellement quoi que… Comment est-ce que tu emploierais le mot modèle pour qu’on évite l’idée que…
Ok, ce n’est pas un modèle - dans le sens où le modèle est assez généralisé et abstrait.
Mais c’est un plan, c’est un quelque chose, c’est une ligne directrice… parce que disons que si l’enfant fait (rythme – ta/ta/-/ta), et puis pour lui c’est faux ou ce n’est pas ce qu’il a voulu. Il a voulu vraiment faire (rythme – ta/ta/ta/-/ta/ta), il est en train de mesurer sa performance contre quelque chose d’interne, et même s’il ne sait pas qu’il veut faire cela (rythme – ta/ta/ta/-/ta/ta), il sait quand il fait (rythme – ta/ta/-/ta), que cela ne s’ajuste pas à quelque chose qu’il avait en tête.
Dans ce sens-là il travaille toujours avec un modèle, pas modèle mais avec un plan…
On pourrait presque dire avec une idée… Une idée, oui mais une idée qui dit qu’est-ce qui est bon et mauvais, par rapport à mon style, qu’est-ce qui est une bonne représentation de mon style ?

Adéquat, on pourrait dire… Adéquat, ok.
Non mais je dis que la différence entre l’atelier Thys et la situation académique est simplement que la métrique de bon et mauvais est interne et individuelle, ce n’est pas que cela n’existe pas !
Parce que de temps en temps on agit et on en parle comme si il n’y a pas une métrique, il n’y a pas un standard, mais en fait il y a un standard, tout le temps - qui change, c’est très organique et tout cela, mais il y en a - autrement c’est très difficile de comprendre comment on peut…
Autrement… les valeurs dans le sens biologique n’agissent pas, les valeurs nous donnent les standards, de l’adéquation de ce que l’on fait, et je me dis que ton propre style c’est une valeur biologique dans le sens dont nous avons parlé de cela.

I.S. Est-ce que c’est une valeur ou est-ce que c’est quelque chose qui peut devenir une valeur justement dans la mesure où cela produit un effet qui revient ?
Je veux dire valeur dans le sens plus large, c’est-à-dire qu’on le recherche, c’est du préféré, c’est une charge affective un peu différente que les autres choses, dans ce sens large…
I.S. Mais ce que je veux dire c’est que si par exemple tu dis le style c’est déjà la manière dont quelqu’un marche, la manière dont il lance sa voix pour commencer une phrase… il me semble qu’il y a une différence là avec un modèle ou avec une idée parce que, sauf si on devient acteur et qu’on essaie de poser sa voix par exemple, on n’entend pas en retour quand on la lance comme ceci ou comme cela, on ne ressent pas la différence immédiatement, tu vois ce que je veux dire ?
Oui mais je crois que l’on sait quand on sort d’une performance authentique, qui est spontanée… on sait, je ne sais pas comment, mais on sait et pour cela il faut qu’il y ait un standard - qui est difficile et je ne sais pas comment cela marche…

D.D. C’est pour cela que le terme adéquat est bien parce que c’est aussi quelque part des sensations quasi physiques de je suis à la bonne place en train de faire le geste qui correspond au moment où je suis, ou je n’y suis pas tout à fait, et c’est super fin…
Cela répond aussi à la question où on insiste sur le fait que le Tohu-bohu et d’autres choses sont… il n’y a pas de bon et mauvais, il n’y a pas de standard pour mesurer contre.
Moi je dis oui il y en a, mais simplement c’est interne et unique à toi et pas à la société… Mais c’est important cette distinction, qu’il n’y a pas.

I.S. Et aussi le fait qu’il peut y en avoir un mais que le fait qu’on soit à côté de ce qu’on voulait peut simplement relancer, ce n’est pas une sanction, ce n’est pas un verdict. C’est quelque chose où on cherche comme entre la mère et l’enfant, on cherche…
Oui et c’est aussi pourquoi j’aborde cette question de déraillement et de réparation. Parce qu’on est en train de chercher son style en même temps qu’on le met en acte. Alors c’était cela ce que j’ai voulu dire… je crois que j’ai assez bien dit, vous me direz si je ne me suis pas suffisamment exprimé sur le fait que je trouve que cette forme d’expression relativement pure d’un style a un effet assez fort sur l’état intersubjectif des autres.
Tu sais maintenant si il y beaucoup de nouvelles recherches concernant les "neurones miroirs" ?
I.S. J’en du en entendre parler… par toi d’ailleurs !
Mais c’est fascinant parce que je trouve qu’ils sont superbes pour "attraper" le style d’un autre - attraper ce n’est vraiment pas le mot, c’est plutôt d’être infecté ou contaminé.
Il y a deux choses, il y a les neurones miroirs et des oscillateurs adaptatifs. Parce que voici la question, avec les neurones moteurs la plupart des recherches ont été faites avec les singes, mais ils commencent maintenant avec les êtres humains et ce qui se passe effectivement c’est : si un singe fait un geste, et un autre singe le regarde, cela veut dire qu’il est engagé. Au même moment où le premier fait le geste, il y a des neurones dits miroirs - qui sont "en parallèles" avec les neurones moteurs chez celui qui regarde, ces neurones sont donc situés juste à côté des neurones moteurs qui lui permettent de faire le même geste… et ce qu’il se passe c’est que ces neurones miroirs déchargent !
Ils lui donnent les sensations - on ne sait pas exactement comment cela se sent - d’avoir fait le geste. Par contre les neurones qui commandent l’effectuation du geste, ceux qui déchargent dans une situation motrice, eux ne le font pas.
Ainsi il y a une sorte d’imitation interne, neurologique, dans le même temps, dans le même espace, que le geste effectivement effectué… et quand on réalise qu’on a cela et c’est surtout avec les choses des mains et de la bouche…

I.S. Oui si je vois quelqu’un marcher je ne vais pas marcher avec lui…
D.D. Oui mais c’est aussi l’adresse la plus spécifiquement simiesque… Pour la communication des humains mais aussi des singes…

Oui pour la communication mais n’oublie pas que nous sommes plus forts que les singes pour le visage et les mains, et l’autre chose c’est qu’on a beaucoup plus de muscles dans le visage que les singes pour les expressions faciales je veux dire.
Et ces oscillateurs adaptatifs, c’est une drôle d’idée que j’adore, ce qui se passe c’est le suivant : voici un exemple assez cru, si je cours sans béquilles après un bus, et si il bouge, il commence à bouger et si je veux l’attraper, tout le monde le fait et on y arrive - à l’attraper, alors qu’il est déjà en marche.
En fait la mise en coordination pour permettre cela - c’est la même chose de shooter un ballon au foot, ce n’est pas très différent - ce qu’il faut faire c’est qu’au moment où tu regardes le mouvement de la balle ou du bus, tu remets à l’heure les montres internes aux muscles qui te sont nécessaires pour cette activité, telle que tu fais une oscillation avec eux pour qu’il puisse y avoir une coordination qui permette le contact au moment qu’il faut…

I.S. Tu sais ce que tu dois lire : The Catch Trap de Marion Zimmer Bradley (Ballantine Books – New York, April 1979), c’est un superbe roman. L’auteur a été amenée à faire de bons et de mauvais romans mais celui-là est superbe… et c’est sur des trapézistes, parce que si il y a quelque chose où la synchronicité…
Mais si on a ces deux choses, ces oscillateurs adaptatifs et des neurones miroirs, ils sont pour moi idéaux pour attraper et résonner avec le style de l’autre.
Parce que c’est vraiment dans le style qu’on voit les variations dans le timing et dans la phase, pour que l’on soit porté par le style de l’autre et on est dans la peau, ou dans la tête. Et c’est dans ce sens-là aussi que je reste impressionné par le Tohu-bohu mais cela c’est plutôt pour les raisons "psy" que musicales…
Mais je trouve que c’est la même chose avec la musique parce que disons que quelqu’un joue, disons un violoniste - là je suis curieux de ce que dirait Hervé - mais quand un violoniste joue une pièce, ce qui le rend génial c’est les variations uniques qu’il fait avec le texte… Autrement cela n’est pas intéressant, et ce n’est pas l’interprétation même, et puis tout cela c’est dans le style. C’est dans sa manière de faire quelque chose qui est le contenu, et ce n’est pas le contenu - à un très haut niveau cela devient le contenu, mais à ce niveau-là ce n’est pas - alors c’est là où je trouve que nous sommes assez bien construits pour attraper le style des autres mais on n’en parle jamais.
Mais en fait c’est cela, pour moi, c’est cela que Thys veut garder.
Et quand je dis que sa lutte contre l’académie, peut bien utiliser le fait que le style vient avant les outils et le modèle, et le style est en fait soutenu et étayé sur des choses beaucoup plus biologiques que le modèle qui est beaucoup plus mental et appris. Dans ce sens-là il commence au bon moment, à la bonne place…
Mais pour dire une autre chose, dans cette citation de William James, j’aurais aimé aller plus loin que lui, dans le sens où il parle de choses qui sont dans les fissures dans un sens, pour moi le style ce n’est pas dans les fissures, c’est dans le tout, c’est l’ambiance, c’est dans tout ce qu’on fait…

I.S. Oui mais… justement pour la vision plus ample si tu veux, la question serait justement…
Thys est un optimiste, il dirait de toute façon on n’a pas le choix puisque le reste ne peut plus tenir - donc il ne dirait pas je suis optimiste il dirait on n’a pas le choix - c’est-à-dire que ce style est porteur - ce style si on lui fait confiance, si on le cultive - est porteur de quelque chose qui est ce en quoi ne font pas confiance les grandes forces - ce que James dit être la grandeur et l’énormité sous toutes leurs formes, donc morales quoi, les grandes obligations.
Pour lui au fond et c’est en cela peut-être que le triangle James, toi et Thys se marque, c’est justement parce que la mère n’est pas sujette à de grandes obligations morales mais toute à son affaire de rencontre entre styles, qu’elle est une bonne mère. En fait, elle fait la chose la plus extraordinaire qu’on puisse faire, c’est-à-dire accompagner un… - comme je dis toujours un petit d’homme qui devient un petit homme, donc c’est pas mal. Et elle le fait sans grande force morale, et si elle était surveillée tout le temps par quelqu’un qui lui dit…

Ce serait catastrophique… c’est la chose la plus catastrophique. Donc si tu veux c’est cela qu’il parie, c’est qu’au fond cette espèce de savoir que les mères ont avec leurs enfants et que les enfants ont avec leur mère est quelque chose qui peut d’une manière ou d’une autre se prolonger et être soutenu au lieu que cela s’arrête et que tout à coup quelque chose de tout à fait différent...

Interruption…

…ce que Thys disait c’est ce qui nous lie avec Daniel c’est cette joie quoi, c’est qu’on ne croit pas que l’homme est quelque chose de malade, est quelque chose… non, vraiment il y a une force, c’est comme cela qu’il sent votre lien…
Ce que je veux dire par rapport à ce manque de contrôle de l’extérieur…
Si on fait un autre parallèle, si on dit en fait c’est la mère qui fait le Tohu-bohu et son enfant cela c’est son instrument choisi ou donné. La chose la plus importante, c’est qu’il n’y a pas de contraintes extérieures, il n’y a pas un bon et un mauvais.
Et je suis convaincu, mais fortement, que ce qu’on fait dans les bonnes thérapies mère/enfant, c’est de faire une sorte de alliance thérapeutique avec la mère où tu ne lui dis pas quoi faire, tu ne la corriges jamais, tu ne critiques jamais, tout ce que tu fais, tu crées une sorte d’environnement, de "holding" qui est positif où elle sait qu’elle est sous un regard bienveillant… sur ce qu’elle fait et c’est comme cela qu’elle peut explorer son propre répertoire maternel. Et en fait il faut faire presque rien, pas d’éducation, pas de clarifications, pas d’interprétations, jamais de critiques, etc.
C’est vraiment une tentative de… d’enlever toutes les choses qui pourraient l’inhiber, l’empêcher de jouer librement de son instrument… le bébé.
Dans ce sens-là c’est très similaire à la situation thyssienne, on dit "thyssienne" ?

C’est la première fois, on va noter… C’est peut-être à côté parce que ce n’est pas vraiment notre sujet, mais j’ai beaucoup d’ennemis dans les thérapies mère/enfant parce que je leur dis toujours que en fait ils pensent que leur technique spécifique est l’aspect curatif le plus important, et j’ai dit non votre technique est un alibi, n’est que le moyen de mise en place d’un environnement, etc.
Ils n’aiment pas cela, mais je dis mais comment pouvez-vous expliquer qu’alors que vous faites tous des choses différentes, on dit que vous avez tous le même résultat, cela marche relativement bien, pas super bien ?
Cela veut dire que ce qui marche dans cette situation c’est le non spécifique, et le non spécifique c’est la relation qui fait… l’effet thyssien…

D.D. Oui, donc tu penses que au-delà de toutes les théories que les gens ont, que les thérapeutes ont, leurs différentes techniques, il y a quand même de toute façon un effet pertinent, positif ou intéressant pour les mères, qui est simplement d’aller dans un cadre où elles vont avoir la possibilité de donner libre cours… ou plutôt d’avoir la possibilité de s’explorer… tu penses que de toute façon il y a cela, quelle que soit la théorie qu’il y a derrière ?
I.S. Et y compris parce que tu avais dit cela dans la constellation – et cela c’était bien parce que Daniel, tu l’avais répété au colloque des systémiciens, tendance Moni Elkaïm – en disant en tout cas il y a un système, c’est la mère/l’enfant mais aussi éventuellement le père et enfin je veux dire tout ce qui… et donc éventuellement on pourrait même faire une thérapie qui dit que tout est dans le père alors que le père ne touche jamais ses enfants, son enfant, et cela marcherait encore. Je veux dire…y compris si le père ne s’occupe pas de son gosse, si une théorie dit que tout est dans le père, cela peut re…

Et c’est intéressant parce que de plus en plus les gens qui font une thérapie mère/enfant ou père/enfant voient dans cette direction, ils parlent maintenant toujours de cette alliance thérapeutique, ils parlent beaucoup de cette expérience d’un attachement avec leur propre mère mais qui est libérateur et pas imposant… mais…

Interruption…

D.D. Toi tu as fini de ce que tu voulais nous dire ? Et je voulais juste savoir si tu n’avais pas des choses à dire par rapport à ce que d’autres auraient dit éventuellement…
Dans ce que les autres ont dit ?
Comme je vous avais dit déjà, je trouve que toutes les discussions par rapport est-ce que c’est la musique, moi je trouve un peu à côté de la plaque, mais nécessaire, mais je crois que cela doit être encadré un peu différemment avec une explication, une sorte de : fait attention ici parce que c’est l’idée ce n’est pas que cela devienne "musique", qui n’est pas là dans le texte.
Mais je me dis que ce serait intéressant d’avoir quelque chose, et tu peux le faire même mieux que moi, sur tout l’aspect fascinant de l’auto-organisation qui arrive dans une improvisation style Tohu-bohu et comment cela c’est déjà… cela veut dire que quand on se sent le processus de auto-organisation, de trouver quelque chose qui est structuré, quand cela ne commence pas.
Que pour moi cela c’est une des grandes leçons de la créativité, d’avoir une confiance qu’on peut jouer dans le chaos ou dans le semi chaos, et d’avoir la foi que cela va prendre forme…

D.D. Oui je souffle parce que c’est vraiment cela la question, cette confiance là…
Oui mais il faut avoir l’expérience, je crois… qu’en fait cela arrive, et ici il y a une sorte d’expérience avec cela…
I.S. Mais il y a une expérience… je garde ce que tu as dit parce que cela correspond exactement à la question que moi je voulais te poser. Mais je veux dire le Tohu-bohu cela se produit, enfin je veux dire pour Hervé, cela se produit de toute façon. Que ce soit un Tohu-bohu qui impressionne ou que ce soit beaucoup plus discret, de toute façon cela s’appelle Tohu-bohu, et on ne va pas discuter pour savoir si c’était un vrai ou loupé… Sauf dans les cas vraiment où on peut dire là cela n’a pas marché parce que… par exemple on en a vu un, le seul auquel j’ai assisté, ils étaient trop peu nombreux et il y avait une petite fille qui avait des gadgets et elle montrait ses petits gadgets à ses copines et cela devenait, très sympathique, mais plutôt commère sur le côté d’une… s’échangeant des choses et donc ne profitant pas de l’occasion du tout, tournant le dos à l’occasion pour faire leurs affaires. Là on peut dire c’est loupé, et cela par exemple fait partie de ce que Hervé dit qu’il faut faire, les gosses n’entrent pas avec des gadgets et si ils en sortent un, normalement on vient le leur prendre tranquillement parce que…
Donc il y a des conditions si tu veux et les règles du jeu qui sont peu nombreuses, sont véritablement pensées… Donc si tu veux il y a éventuellement une pensée à créer sur le type de règle qui suscite, qui permette, ce type de procédé… Avec la mère et l’enfant il y a quelque chose qui est quelque part, qui appartient à l’espèce humaine, et qui crée ses propres… mais pour le prolonger il faut inventer des règles du jeu qui… Qui permettent…
0ui je suis d’accord avec toi.
Donc ce n’est pas simplement laisser faire la spontanéité, c’est quelque part protéger des lieux…
Non, j’ai dit cela parce que j’ai l’impression… maintenant je shoote les choses à un autre niveau, mais une des choses qui m’agacent avec l’éducation de mes enfants ici en Suisse, c’est que j’ai l’impression que c’est comme quand on apprend la musique académique, traditionnelle, et que il y a beaucoup moins de permission et de place pour qu’ils puissent faire ce qu’ils pensent de quelque chose, cela veut dire d’improviser sur un sujet.
On le fait beaucoup plus aux États-Unis, à tous les niveaux - je ne dis pas que l’éducation est mieux, c’est pire dans beaucoup de sens - mais dans les bonnes écoles au moins il y a cela. Et je le vois en partie par rapport aux étudiants suisses et américains, où je trouve qu’ils ont ici très peu de confiance dans leurs capacités de faire une interprétation individuelle de quelque chose, et ils n’en parlent jamais, ils veulent simplement reproduire ce qui est connu.
Et là je trouve qu’il y a beaucoup plus de l’aisance avec le bricolage personnel sur un sujet, et ils sont prêts à le dire, il y a une autre confiance, ici une contre confiance. Et c’est comme cela que je vois que c’est quelque chose qui peut être pratiqué, répété…

I.S. Mais justement la question, c’est la confiance, qui était ma question et je vais te donner un autre livre à lire "The power of the ideas"… c’est d’une américaine qui est l’une de celles qui ont… si tu veux une des choses qui moi m’énerve profondément - mais c’est sur la confiance que je voudrais revenir - qui m’énerve profondément dans beaucoup doctrines pédagogiques, c’est s’exprimer comme fin en soi.
Mais le problème est que on ne reçoit pas en général - et c’est cela qui est intéressant pour moi dans la partition - le résultat de ce qu’on exprime… Et dans le Tohu-bohu on le reçoit parce que les autres sont là, durant les solos les autres sont activement là, donc on n’est pas seul à s’exprimer, au contraire on doit tout le temps négocier son expression mais sans qu’il y ait quelqu’un qui dise toi tu as raison ou tu as tort, mais c’est dur. Mais la question que je voulais te poser après je te donnerai le truc, c’est justement la notion de confiance comme un ingrédient profondément actif si tu veux, pas seulement passif.
Non, non tu as profondément raison…
Et cela, par exemple je ne sais pas si… je ne t’ai pas vu écrire là-dessus, mais tout de même se mettre debout et marcher il faut le faire. C’est pas pour rien qu’on dit les premiers pas pour chaque type de nouvelle activité, c’est l’expression qu’on donne, les premiers pas…
La confiance c’est une sorte de feu vert pour les choses qui sont naturelles…
C’est cela mais donc cela veut dire que plus on réussit à créer au sens pratique… comme les adultes savent le faire quand les enfants se mettent à marcher, heureusement ils savent donner le type de réponse, le type d’encouragement qui va leur permettre de faire cette chose naturelle, le type de confiance que les adultes font aux enfants est aussi spécifiquement mis dans l’espèce, appartient autant à l’espèce humaine que le fait de marcher pour un jeune enfant… les deux sont nécessaires…

Et je trouve que l’improvisation que fait un enfant dans le Tohu-bohu, c’est comme marcher.
Mais il faut, pour les choses qui sont moins biologiques que marcher, il faut un contexte qui le supporte… et là on est d’accord…
Donc c’est créer activement les contextes… Qui donnent ce feu vert à quelque chose qui est relativement une tendance naturelle…
Mais qui va rencontrer des difficultés parce que ce n’est pas facile de marcher…
Non mais ce que je veux dire c’est que justement les adultes savent créer le contexte pour un enfant qui apprend à marcher ou qui apprend à parler, et au fond on pourrait dire qu’un des objectifs d’Hervé c’est de prolonger ces contextes aussi loin que possible…

Oui je vois, cela fait sens comme cela…
Mais c’est quand même compliqué à cause de cet aller/retour qui est fascinant…
Mais il y a tout le temps des aller/retour, enfin je veux dire chaque fois qu’il y a confiance cela veut dire qu’il y a aller/retour !
Mais je me demande de temps en temps si… pour faire la musique…
Non je vais changer ma métaphore avec quelque chose que je connais mieux.
D’être un très bon thérapeute, je sais qu’il faut maîtriser la technique ou plusieurs, après qu’elles sont complètement maîtrisées, pour moi cela c’est les notes, et la très bonne thérapie c’est la création d’une mélodie qui n’existe pas dans les textes, dans les techniques, ni nulle part.
C’est quelque chose qui est co-construit entre deux où on utilise les notes qu’on a apprises, mais dans la musique si il y a un moyen - et je me demande peut-être est-ce ce qu’il veut – si ils ont une formation académique pour qu’ils maîtrisent le système mais qu’ils gardent suffisamment de créativité pour qu’ils puissent la réutiliser après qu’ils aient maîtrisé tout cela, c’est cela. C’est pourquoi on fait les deux en parallèle ?

I.S. Les deux ? Non…
Pour la musique ?
D.D. Dans les conservatoires c’est cela qui se négocie… dans les différents conservatoires et en fonction de leurs différentes sensibilités évidemment…
I.S. Thys est pragmatique, il voudrait essayer, il sait que dans les conservatoires ce sera en parallèle… si il avait à faire à des enfants dans des écoles, ce ne serait pas en parallèle. Mais cela pourrait aussi produire ce qui devait de toute façon se produit mais au sens où… c’est-à-dire des jeunes gens qui vont se mettre à faire de la musique qui est hors conservatoire…

Il m’apparaît que si finalement on veut parler de la musique ou de n’importe quoi, il faut qu’il y ait une formation académique en parallèle, mais on a cette expérience thyssienne pour ne pas tuer l’autre aspect et de donner cette confiance qu’au moment où ils seront arrivés à une maîtrise, ils pourront l’utiliser encore… mais il faut maîtriser la technique quand même finalement.

I.S. Mais lui ce qu’il pense c’est que justement avec les techniques de type électronique et autre synthétique, et bien il y a des chemins qui ne passent pas par l’académie… Non c’est vrai… mais cela passe néanmoins par quelque chose… Et qui passent néanmoins par une fabrication, enfin moi j’aime bien le mot cérébral. Parce que cela veut dire qu’il se passe quelque chose là-dedans mais ce n’est pas une explication, parce que c’est en rapport avec ce qui se passe… et y compris socialement. Mais cela veut dire que pour lui je crois, on pourrait dire que la partition c’est une tentative qui n’a pas besoin de l’académie en parallèle, mais qui par contre peut faire que ceux qui aiment cela vont s’empoigner avec ce qu’ils peuvent faire avec le son, sur un mode plus fort, plus exigeant, plus créatif que ne l’aurait donné simplement l’expérience du Tohu-bohu, il peut y avoir un véritable trajet avec le son… qui ne passe plus par l’académie mais qui passe par le fait qu’il y a là du problème, que c’est le problème qui… C’est-à-dire que le style n’est pas tout puissant, que le style se met à rencontrer… parce que c’est vrai que quand on marche, que n’importe qui qui sait marcher quelque part a un style, mais que il y en a qui travaille leur style dans un domaine ou dans un autre. Moi j’essaye de travailler mon style comme prof ou comme écrivain mais quand je marche je ne peux pas dire que mon style est très travaillé…
Non mais cela existe quand même… Oui il existe…
Reconnaissable entre tous… Reconnaissable en plus, mais pas travaillé, cela m’est tombé dessus…
Mais tu sais quoi ? Thys a besoin de toi parce que il ne peut pas expliquer ces choses… il ne peut pas…

Tu vois le truc… je crois qu’il sait qu’il a besoin d’autres, de moi notamment, mais de toi aussi… mais c’est justement pour cela qu’on veut faire le site Internet "Violence et Vivant" pour essayer de ramasser… parce que si tu veux c’est cela, la violence c’est au fond les épreuves que le monde offre ou n’offre pas par rapport au style - qui sont des épreuves, qui ne sont pas des jugements. Qui sont des épreuves où - et c’est l’exemple que je donnais avec cette mathématicienne qui s’appelle Marie Millis dans le texte je ne sais pas si tu l’as vu, là je veux dire les mathématiques font partie du curriculum mais cela peut être soit vraiment quelque chose… une tristesse je veux dire, cela veut dire que des enfants…. Tu connais l’âge du capitaine ? Tu ne connais pas ?
On s’est rendu compte que si on donne, dans le contexte de l’école, un problème du genre soit un bateau dans lequel on entre vingt moutons, trois fois plus d’agneaux et cinq fois plus de vaches moins le nombre d’agneaux, et que on termine en disant calculer le nombre de vaches, le nombre d’agneaux et l’âge du capitaine… les élèves vont calculer l’âge du capitaine. Ils sont prêts à tout ! Si il se trouve qu’ils ont été amenés à confondre plus et fois et qu’ils disent dur comme fer 3 + 4 = 12, c’est parce qu’ils pensent qu’en math tout est possible, c’est-à-dire qu’ils ont laissé complètement de côté leur bon sens…
Cela c’est beau, c’est vraiment beau…
Donc l’âge du capitaine c’est tout les endroits où on se rend compte que le cours de math fait le contraire de ce qu’il devrait faire, au lieu de donner une intelligence plus exigeante, on est prêt à tout, à 3 + 4 = 12 ou à ce que l’âge du capitaine puisse se déduire du nombre de vaches, d’agneaux ou de moutons embarqués dans le bateau. Et donc Marie a cette technique pour les maths qui est justement les règles on s’en fout, ce qu’il faut c’est que les enfants, les adolescents - puisqu’elle à affaire à des adolescents - soient aux prises avec le problème et ensemble.
Donc ses classes sont une espèce de Tohu-bohu, on pourrait dire, à propos d’un problème mathématique, elle est là, elle donne des explications mais si elle sait que quelqu’un peut donner l’explication qu’un groupe demande ou qu’un élève demande, elle le renvoie à cette personne et c’est l’idée que les maths, c’est la classe qui les comprennent, tous ensemble. Et que finalement qui est bon, qui est mauvais là-dedans… ce qu’il y a d’important c’est qu’ils ont tous goûté quelque chose du défi des mathématiques. Et donc quelque soit leur style et peut-être que leur style les écartera des mathématiques après, ils savent ce que c’est…