Méthode Thys

DS201

Daniel Stern : second entretien, le 6 décembre 2000

Je prends dans n’importe quel ordre : premièrement c’était en fait je crois, le "Jeu des Parties et du Tout"…
Toute cette deuxième partie de la méthode où c’est écrit, cela m’a toujours dérangé un peu…
Je dis cela parce que je ne peux pas exactement situer ce que sont ces signes, ils sont alogiques, mais en même temps, ils sont à mi-chemin avec quelque chose qui est verbal - ou arbitraire en tout cas, même si ce n’est pas verbal…
Je ne sais pas ce que cela ajoute, et j’ai presque l’impression que cela va défaire ce qu’il veut faire dans le Tohu-bohu, pour moi c’est comme un texte en quelle sorte qui réintroduit quelque chose d’assez contraignant parce que maintenant il y a une bonne manière ou pas de suivre le texte écrit. Et cela me fait peur par rapport au but principal, cette liberté complète.

Puis, je ne peux pas situer le statut de cette écriture - si je peux dire écriture là - ce n’est pas un système de notation musicale traditionnel, ce ne sont pas des mots, c’est analogique mais pas complètement.
Et puis cela m’amène à une autre petite considération qui est vraiment déclenchée par cela, c’est suite à une petite discussion par rapport à la connaissance implicite, parce que j’ai l’impression que tout ce qu’ils font là dans le Tohu-bohu est avec une connaissance implicite d’eux-mêmes et aussi des règles et des dispositifs. Et il faut dire qu’il y a une chose que j’ai toujours aimé dans la méthode Thys : cela ne travaille principalement qu’avec des choses implicites.
Cela fait également une autre supposition - je crois que c’est implicite dans ce qu’il dit - c’est que jusqu’à récemment, tout le monde et surtout en psychologie (en général et en psychanalyse), pensait que la connaissance implicite des choses, procédurales etc. est d’abord… c’est primaire. Cela veut dire cela vient avant une connaissance verbale, explicite, déclarative comme on pourrait dire, mais aussi que c’est plus pauvre, que cela manque de richesse, de complexité, que finalement toutes ces connaissances doivent ou peuvent devenir explicites et verbales…
Bon cela c’est clairement le modèle paradigmatique de toutes les thérapies où on rend explicite l’implicite. C’est une autre manière de parler inconscient/conscient… d’une certaine manière, pas complètement.
Et puis c’est probablement faux que la maturation implique cette transposition de ce qui est implicite en ce qui est explicite, parce qu’en fait dans la plupart on ne peut pas le faire.
Deuxièmement il n’y a aucun avantage à le faire - il y a certaines situations où c’est aidant, c’est super, mais dans la plupart ce ne l’est pas. Aussi, il n’y a pas de grande raison de croire même que le monde explicite de toutes ces connaissances est plus riche et profond…
J’utilise l’exemple de la musique : est-ce qu’on peut dire qu’un quatuor de Beethoven n’est pas riche, complexe, avec sens, profond, on ne peut pas le dire… Mais c’est complètement implicite, toutes ces connaissances de ce qui se passe là ! Bien sûr on peut le rendre en mots… mal, approximativement.
Alors ce que je veux dire c’est qu’il y a deux systèmes qui se développent… l’un implicite avant et puis l’explicite après et le but de la maturité, du développement, ce n’est pas de transposer tout cela ici (dans le cerveau), dans l’explicite. C’est d’avoir les deux en parallèle avec un certain dialogue important et fascinant, mais quand même il y a deux domaines qui restent et qui deviennent plus riches chacun, en soi.
Et c’est pourquoi je suis un peu inquiet par le fait qu’il veut introduire quelque chose qui est demi explicite dans cette écriture ici, quand je pensais que l’avantage de la richesse était de rester complètement dans l’implicite, tu vois ce que je veux dire ?

I.S. Oui, sauf que on pourrait dire quand il s’agit du langage usuel… ce que tu décris toi-même : c’est à dire le début où le langage est contextuel et relationnel, et puis il y a le moment où n’importe qui peut parler à un enfant et l’enfant doit accepter que ses mots doivent être négociés avec n’importe qui…
Ce chemin-là, on ne le retrouve pas en musique, on passe de l’implicite le plus fort quand on écoute ou quand on est dans le Tohu-bohu, à une explicitation complètement normée et qui est d’une normativité extraordinaire - l’écriture musicale. Donc cela c’est quelque chose que Thys nous a encore dit - j’avais noté pour justement voir ce que cela donnerait - pour lui, il veut que les signes entrent parce qu’il dit il n’y a pas d’humain sans signes. Parce qu’il voudrait que cette méthode puisse accompagner… pour la première année, c’est le Tohu-bohu mais on ne peut pas faire faire du Tohu-bohu d’année en année pendant six ans !
Il faut que quelque part le Tohu-bohu rende possible quelque chose qui fasse un autre chemin, qui crée un chemin. Je crois que c’est comme cela que l’idée de cette pseudo partition a pris naissance : comment empêcher que tout à coup on soit brutalement chassé du paradis de l’implicite en temps réel et qu’on arrive à la notation musicale qui elle est le contraire du paradis, parce que là il faut tout apprendre…

Et il voit ce qu’il fait comme une demi-mesure… dans cette démarche ?
Je crois qu’il ne dirait pas demi-mesure parce que cela voudrait dire un triste compromis mais comme une tentative…
Non pas un triste compromis mais un demi-pas nécessaire parce que l’autre pas est trop grand…
Que l’autre pas est trop abstrait…
Abstrait… ok.
L’autre pas est trop abstrait et les 9/10ème de ceux - y compris de ceux qui font le conservatoire - ne liront jamais une partition pour s’amuser… comme nous lisons un texte par plaisir. Et donc même pour ceux qui passent des années, des années, à faire de la musique, la partition n’est pas du tout l’équivalent de l’écriture usuelle…
Un moment…(bruit de voisinage) parce que cela va faire un problème, c’est des gens là à côté qui… chassent des feuilles… cela va arrêter mais on ne peut rien faire… Cage serait certainement content… on peut fermer les rideaux, cela va aider, cela vaut la peine ? On peut essayer…

Donc si tu veux, comment faire que le son et le signe se nouent ? Mais se nouent sans toute la tradition qui va avec l’écriture musicale… et sans que cela conduise brutalement au bien exécuter, mal exécuter, bien lu, mal lu, donc toute la normativité qui va avec, qui est que finalement c’est comme si on passait directement du babil à l’écriture…
Ok, mais voici pourquoi pour moi c’était quelque chose à côté de mes intérêts. Je réalise que pour lui c’est important que après un an ou deux de Tohu-bohu, il introduit l’écriture et cela amène à la vraie musique - d’une sorte ou l’autre…
Ou en tout cas, à un rapport riche…

D.D. Mais je crois que c’est aussi des biais… je ne suis pas tout à fait d’accord parce que ce n’est pas… avec le Tohu-bohu il n’est pas question de fuir l’écriture musicale : la plupart des élèves etc. si ils sont dans un conservatoire, ils ont à côté de l’atelier Thys leur propre atelier de solfège et même lors de la première année de Tohu-bohu, ils sont déjà en train de faire du solfège, donc ce sont deux voies parallèles…
Et dans les écoles, 90% ou beaucoup plus même, quasi 100%, des élèves ne vont de toutes façons jamais avoir à faire avec le solfège, c’est vraiment deux mondes à mon avis séparés, plutôt que deux choses qui devraient être aux bouts… le Tohu-bohu et le solfège aux extrémités du même continuum…

Oui mais l’idée c’est d’aider les enfants à rester ouverts par rapport au son, à la musique… d’introduire quelque chose qui est normatif dans ce sens-là… et donc qu’ils puissent rester créateurs même avec la musique notée classiquement ?

I.S. Je crois que l’idée… je crois que pour Thys la musique classique a besoin de la notation classique, mais que par contre il a l’impression que on peut aller vers une culture du son, notamment avec tous les médias électroniques etc. mais que pour cela, tout ce que le signe permet, c’est-à-dire l’anticipation… enfin donc si tu veux dans le temps réel tu as tout à la fois et pas de mémoire, ni de projet.
Dans le Tohu-bohu, on n’a le temps ni d’avoir une véritable mémoire ni de véritables projets, donc autour de la production du son, tout ce que permet le signe en tant que contraste entre ce qu’on imaginait qu’on allait faire…
Donc la notion d’image au fond, que la notion d’image, d’image sonore on pourrait dire, se cherche…

Oui mais est-ce que au fond il n’y a pas avec cette écriture un moyen d’éviter la contrainte du système classique de notation ? Mhmm…
Ok, c’est dans ce sens-là que je le vois : où le but finalement c’est d’avoir une "éducation" - dans le bon sens du mot - de son et de musique, mais pas classique, qui n’est pas aussi contrainte.
La raison est que pour moi cela c’est une issue à côté, je reviens maintenant au point central : c’est quand j’ai vu la méthode Thys, je n’avais pas du tout en tête l’apprentissage ou l’appréciation de la musique. J’avais tout à fait autre chose en tête qui était en fait la socialisation des enfants dans des situations difficiles…
Et c’était cela qui m’a frappé d’emblée parce qu’il a parlé de faire cela avec certains enfants dits "autistes" ou en tout cas avec des problèmes d’une sorte ou d’une autre. Alors c’est pourquoi pour moi c’était si important qu’il reste dans l’implicite parce que je me dis que c’était là et dans ce domaine qu’on peut faire une forme de "thérapie" chez ces gens-là. J’étais tellement impressionné par les possibilités d’ouvrir le champ d’intersubjectivité entre les enfants.

Et exactement parce que l’expression sonore est telle que on est forcé de voir à l’intérieur de l’autre… parce que c’est si personnel, grâce en fait à l’aspect créateur, grâce également au fait que ce n’était pas normalisé, qu’il n’y a pas un seul moyen etc. Et que l’on est mis dans une situation où le dessin formel - et les rites formels si on peut parler de cela - la particularité de quelqu’un s’exprime et son propre système nerveux était capturé par cela.
Mais pour moi cela c’est un acte d’intersubjectivité fort… alors c’était dans ce sens-là que j’étais tellement impressionné par la situation que j’ai oublié complètement qu’il y a un but musical…

I.S. Disons qu’il y a un but… au long cours, au long cours en plus.
Mais je pense qu’il dirait il vaut mieux une année de Tohu-bohu et puis plus rien que désormais il faut commencer directement avec les partition. Le Tohu-bohu est la matrice de beaucoup de choses et notamment des partitions.
Par exemple à la page 4, dans le montage on a fait le rapport, du Jeu et de la Partie du Tout, section B… on t’a mis alors que tu n’en parlais pas mais on s’est dit, tiens cela ajoute quelque chose ici : l’histoire de la petite fille qui se rappelle sa journée et c’était un peu cela si tu veux, cette possibilité d’activer une mémoire, de tenter…

Je trouve que c’est vrai, si cela c’est le but et c’est clair que c’est le but pour lui. Et je te dis simplement que une des choses qui est derrière tout ce que je dis : c’est que pour moi, j’ai pensé que c’était une grande opportunité de faire autre chose avec ce système. Et exactement parce que… j’ai dit cela mais pas assez bien quelque part, je me dis que on s’exprime dans toutes les choses qu’on fait, bon cela c’est clair.
Mais dans la plupart des choses qu’on fait, il y a une compétition, une concurrence, tout le temps, entre le contenu de ce qu’on fait comme les mots et les phrases qu’on dit, ou même entre un geste où il faut que je lève le verre pour boire l’eau, qui va m’exprimer aussi, sur mon état actuel dans un sens précis, très fin… et on peut centrer l’attention sur le fait que je veux de l’eau.
Quand on est face à quelque chose comme un nouvel instrument où on ne sait pas quoi faire, où il n’y a pas de règles par rapport à qu’est-ce que c’est une utilisation correcte ou non-correcte : on n’est pas distrait par un contenu, soit gestuel, soit verbal, soit n’importe… Et c’est dans ce sens-là que il y a quelque chose de la personne qui est déclarée, ou dévoilée - les deux - qui est très fort, que nous avons tous senti.
Et ici il faut que je revienne à l’idée que j’ai commencé à exprimer là mais pas suffisamment que il y a un certain dessin interne, intrinsèque, de chacun qui exprime quelque chose d’important de leur… je ne veux pas dire personnalité - de leur manière d’être dans le monde. Et quand je dis cela je dis leur manière de commencer d’agir ou de ralentir d’agir ou de nuancer ce qu’ils font ou d’enchaîner certains sentiments ou mouvements d’excitation chez eux tels que tu reconnais tout de suite comment ils font.
Pour moi c’est comme la manière d’une performance de la musique où tout le monde sait la musique, c’est toutes ces petites différences qui rend quelqu’un de spécial ou qu’on aime ou pas, etc. et je vois la vie comme cela. On peut dire n’importe quoi mais le dessin interne va sortir et c’est cela qui capte l’autre, ce n’est pas le contenu, parce qu’en général le contenu c’est soit banal, soit déjà connu, ou normalisé, etc. c’est la manière d’exprimer qui tu es…
Et je trouve que cela c’est débridé dans cette situation, tel qu’on est forcé, frappé même, par la clarté de qui est cette personne, qu’est-ce qu’elle essaye de faire dans une situation sans contenu. C’est pourquoi j’ai dit que c’était un outil incroyable pour capter l’intersubjectivité d’un autre, et c’était là mon intérêt primaire dans la situation… et pour dire la vérité j’ai souvent oublié qu’il y a un but musical…

I.S. C’est l’avantage de cette chose, c’est que on peut oublier… on a le droit.
Mais tu vois ce que je veux dire maintenant par "expression de la personne" ?
Mais c’est vrai qu’il est en plus - mais c’est en plus, ce n’est pas au lieu de, c’est en plus - je crois à la recherche de ce que les populations traditionnelles ont réussi dans la transmission des rythmes au sens collectif, mais dont il ne pense pas qu’on puisse faire comme les populations traditionnelles parce que leurs gammes étaient justement signées de leur tradition. Donc on vit dans un monde où il y a plein de sons et plus du tout de distinctions fortes entre son et musique, et c’est vrai qu’il veut refaire la possibilité de trajets… que les musiques traditionnelles à transmission orale ont fait d’une certaine manière - collective parce que là tout le monde sait, que les musiques à tradition écrite, on fait d’une autre manière - sélective parce que là entre celui qui sait exécuter, celui qui sait lire et celui qui sait écouter… ce sont trois catégories vraiment différentes, et lui il veut encore rejouer ce devenir du son dans la vie collective et c’est cela qu’il essaye, il me semble non ?
D.D. Oui on peut dire comme cela, c’est juste sur cette histoire de partition, etc. Je crois qu’au départ il y a aussi le fait que c’était un atelier qui a lieu dans un cadre, qui est le cadre de l’école, qui est le cadre scolaire… et donc où il y a des contraintes en termes de qu’est-ce qu’on fait l’année d’après, qu’est-ce qu’on fait l’année d’après, je crois qu’il y a une pensée qui tient compte aussi de la réalité de où elle s’implémente…
Oui mais cela c’était un cadre, mais il y avait un autre cadre qui était d’emblée pour les enfants qui ont des problèmes…
Les cadres ne tiennent pas. Pendant quelques années ils peuvent agir dans un endroit, puis ils doivent faire dans un autre endroit, puis encore ailleurs. C’est cela aussi, le cadre change tout le temps…
Oui, la faisabilité est difficile mais…
Juste par rapport au Tohu-bohu, juste le passage pour dire sur la partition, c’est aussi quelque chose qui a à voir tout autant avec la "composition" qu’avec "l’interprétation". Je veux dire que c’est aussi plus une situation d’interprétation - même si c’est l’enfant lui-même qui a noté quelque chose - c’est plus le décalage de l’interprétation qui est visé, expérimenté. Donc effectivement ce qui est normatif c’est ce défilement du temps, le temps est pris, cela c’est super normatif, je dirais le temps est donné par le défilement de l’aiguille, mais la manière dont les enfants notent etc. il y a deux ou trois propositions qui structurent, mais elles sont très larges…
Donc la manière dont ils vont s’inscrire à l’intérieur est effectivement un peu structurée, le temps est très normé mais la notation elle, elle est complètement libre et le rapport entre celui qui joue et ce qu’il a noté est inconnu de tous, personne ne peut vérifier que ce qu’il est en train de jouer, c’est ce qu’il a effectivement voulu jouer… Je crois que c’est plus une, enfin je ne sais pas, je le vois un peu comme un moyen d’accompagner sur le long terme quelque chose qui est entamé, mais effectivement je suis tout à fait d’accord avec Isabelle pour dire que je pense que à la limite à un moment donné je peux imaginer qu’il ait pu imaginer de dire Tohu-bohu à six ans, Tohu-bohu à 9 ans, Tohu-bohu à 12 ans…
I.S. D’ailleurs il pense que le Tohu-bohu doit continuer à accompagner le reste…
D.D. Les enfants qui commencent à 12 ans, ils font du Tohu-bohu, il ne font pas autre chose que du Tohu-bohu. Tout simplement maintenant comme il essaye - je crois que c’est la première fois qu’il le fait vraiment avec des enfants de 12 ans, enfin que je sache - et qu’on a beaucoup discuté, sur les deux années qui viennent de passer, de cette possibilité de répondre aux enfants quand ils commencent à poser des questions, il introduit cette nouvelle donne… Il me demande d’y venir alors que je ne vais pas suivre l’ensemble de ces séances, d’y venir deux trois fois pour qu’à la séance finale lorsqu’il y aura toutes les questions des enfants, ce soit un "parfait inconnu pas tout à fait inconnu des enfants" mais quelqu’un qui n’est pas… un monsieur lambda donc, qui puisse répondre… pour prouver que c’est possible, c’est cela aussi détacher la méthode de sa personne. Mais je pense que les dispositifs d’interprétation, etc. ce sont aussi des choses qui permettent de répondre effectivement à la demande des profs et des parents, il y a une dimension de cet ordre…
I.S. Et des enfants eux-mêmes… Ce qu’il craignait c’est que, six ans c’est très bien, sept ans c’est très bien, mais à la troisième année les enfants… d’ailleurs les enfants avaient exprimé le désir qu’il y ait quelque chose de l’ordre de jeux organisés. Ah, ils disent cela ? Il avait une fois interrogé, les enfants disaient qu’ils étaient contents, mais si on leur demandait ce qu’ils voulaient en plus, ils avaient envie qu’il y ait une espèce d’enjeu et comment introduire un enjeu sans réintroduire toute la normalité de "on a bien fait, on a mal fait" ?

Non mais dans ce système d’écriture il y a aussi un aspect de bien fait / mal fait, parce qu’en fait on essaye de reproduire quelque chose même si c’est ce que l’on a fait soi-même, il y a un certain aspect de reproduction, même si il y a beaucoup de marge de manœuvre… dans ce sens-là cela devient normatif à un, si tu veux ?
I.S. Mais le point est que justement dans des tas de… probablement que quand l’enfant apprend à parler, il est normatif à un si sa mère n’est pas normative. Mais on n’apprendrait jamais à parler si on devait apprendre à parler à normatif à deux immédiatement. De la même manière quand l’enfant commence à faire ses premiers pas, il est probablement normatif à un, le pas est bien fait ou mal fait…
Même pas, mais… Quoi ? Même pas… Mais enfin, il peut être furieux, pleurer, parce que…
J’ai dit cela dans le sens où il ne fait jamais deux fois la même chose, dans ce sens-là il n’est pas même normatif à lui-même. Tu connais toute cette littérature maintenant qui est superbe sur les développement des systèmes dynamiques, sur le "reaching" ? C’est important parce que ce n’est pas si différent dans un sens, parce ce qu’il dit c’est qu’il n’y a pas un schème pour atteindre cela, pour reaching - je ne connais pas le mot en français…
Atteindre…
Si tu fais une vidéo, un enregistrement d’un enfant qui est en train d’apprendre comment atteindre quelque chose : il le fait très différemment chaque fois, en fait. Et étant donné que chaque fois qu’il le fait c’est pour un but différent, c’est-à-dire les conditions locales sont si différentes, si c’est pour cela alors il faut qu’il fasse cela avec les mains, ce qui veut dire que les muscles-là sont différents pour supporter cela, pour faire comme cela.
Si c’est cela il faut qu’il tourne comme cela et si c’est dans cette position il faut qu’il fasse une rotation là… et en fait il n’y a jamais deux états qui sont les mêmes et l’idée d’un schéma généralisé chez Piaget d’une atteinte est fictive, cela n’existe pas.
C’est quelque chose qui est mis en place chaque fois qu’on le fait et puis dans ce sens-là c’est une créativité continuelle. Et en fait la manière de le faire et le geste final - parce que c’est vrai, il y a certain qui sont mieux - pour chaque enfant est différent. Je dis cela du point de vue de casser un petit peu l’idée de normativité – et même d’auto normativité - dans ces choses…

mais cette écriture cela ajoute une forme de normativité… individuelle.

I.S. Mais est-ce que ce ne serait pas une normativité - je plaide - qu’on pourrait comparer avec le fait que effectivement dans le geste de l’enfant, il va rencontrer une tasse qui a sa normativité parce que si on le prend comme cela, c’est raté. Ou bien quelque chose qui est plus léger ou quelque chose qui est plus pesant et dans la manière dont mes muscles… on sait si on croyait prendre quelque chose qui était très lourd et que c’est léger on risque… le geste risque d’être catastrophique, en tous cas on est surpris…
Ce que j’imagine avec l’écriture c’est que au moment de la création de la pièce, du truc… il est dans un état, et je dis état dans le sens le plus complexe du mot avec certains backgrounds, feelings, positionnements, etc. et puis c’est écrit, et maintenant il revient à l’écriture, il est dans un autre état, c’est pourquoi il ne peut pas ne faire que correct ou non correct.
Cela veut dire qu’il faut récupérer quelque chose qui n’est plus là, qui n’est plus lui, c’est une autre chose que lui, même si c’est lui qui l’a fait. C’est dans ce sens-là il y a la même contrainte et distorsion qu’on a avec la vraie musique, cette notation… je ne veux pas dire cela comme critique, mais comme problématique dans cette situation…

I.S. Et bien justement pour moi c’est cela qui serait riche, c’est que c’est problématique, c’est-à-dire cela lui pose problème. Alors que dans la musique au sens usuel il n’y a pas de problème, c’est réussi ou raté. Tandis qu’ici il a le problème de quelle liberté il prend avec ce qui évoque quelque chose de passé, quelle liberté il prend, il n’y a personne qui peut intervenir et lui dire mais ce n’est pas cela, même pas lui puisqu’il n’a pas véritablement mis en mot, il y a toute une négociation problématique…
Entre lui-même et son passé…
Lui-même et son passé… et sa mémoire et sa capacité de récupérer les états intérieurs qui sont signalés par cette écriture ou déclenchés, ou évoqués, je ne sais pas le mot… c’est fascinant cela.
I.S. C’est cela que je trouve intéressant, c’est que ce problème qu’il a, personne ne peut, même pas lui, savoir que vaut la solution qu’il lui trouve, mais il doit quelque part prendre position par rapport à un problème.
Oui, mais Hervé, il le voit comme cela ?
Oui… tout à fait.
Il réalise qu’il y a un travail énorme de refaire ce qui est écrit ?
Et il est même très impressionné par l’espèce de tension de certains enfants, vraiment il se dit parfois est-ce qu’on a le droit de les soumettre à une épreuve pareille mais sauf que c’est eux-mêmes qui entrent dans cette épreuve…
Et il le voit comme une auto-retrouvaille… si on peut dire comme cela ?
Auto-retrouvaille ? Pour lui il dirait plutôt, c’est cela qu’il avait dit, la puissance de qu’est-ce que c’est un signe.
La rencontre là où on n’en a pas l’habitude avec un signe, des signes… mais oui en tout cas il la voit comme quelque chose… est il ne veut pas, il aime la musique très profondément - il le dit de plus en plus souvent, tout en sachant que l’époque de la grande musique est finie - mais donc il voudrait réouvrir une histoire avec le son qui ne soit pas de nostalgie envers la grande musique ni de nostalgie envers la manière collective de faire de la musique en tradition orale.
Donc il cherche une voie ni nostalgique ni d’un côté ni de l’autre et c’est cela qui l’intéresse je crois… pour la musique comme tu dis, quand il a à faire avec des enfants autistes ou caractériels, c’est la puissance du son et de l’être ensemble, et là il ne va pas commencer à donner des partitions à ces enfants-là. Mais même pour les autres, il cherche un nouveau type de trajet… il nous l’a dit, ce qui m’intéresse, ce qui me passionne avec l’époque moderne c’est qu’elle a complètement raté.
Oui, il dit cela…
C’est-à-dire par exemple notre écriture musicale est sélective, elle est hyper sélective. Ouais… On a fait une écriture mais c’est le contraire d’une écriture au sens où on attend maintenant de l’écriture que normalement on apprenne à lire…
Moi j’ai toujours eu l’impression que… son but c’est de ne pas contraindre les enfants avec une éducation académique qui va les tuer, c’est tout simple.
Et que cela c’est l’idée centrale qui le pousse et que le Tohu-bohu est une manière radicale - bien sûr - de faire cela et j’ai compris l’écriture comme une autre manière pour lui d’approcher les mêmes choses que l’académie a fait mais sans les mêmes contraintes. Et pas… il n’avait pas en tête en fait la complexité de cet enjeu "entre soi-même et ce que tu as fait"… mais tu dis oui, mais je me dis : cela c’est toi qui le dit ou c’est lui qui le dit ?
Parce que quand tu le dis comme cela, je me dis oui on est d’accord toi et moi, mais je n’ai pas l’impression que cela ait évolué comme cela pour lui… je n’insinue pas qu’on est prisonnier de l’histoire de son évolution, mais tu vois ce que je veux dire ?

I.S. Regarde, au début… cela a échoué parce que les enfants étaient trop petits, ils ne savaient pas lire au sens usuel du terme, l’une des choses qu’il faisait avant - en même temps que la partition - c’est qu’il y avait des collants, des blocs collants qui reprenaient des fragments du "Corbeau et le Renard" et il demandait aux enfants d’organiser la phrase en collant et puis de la lire, il voulait leur apprendre à utiliser leur voix, à utiliser ces mots non pas comme une phrase à lire mais comme une partition et à fabriquer des choses avec leur voix que suscite la manière dont il a…
Bon, cela n’a pas marché parce qu’ils connaissaient la phrase par cœur… donc c’était trop tôt ou trop tard, je ne sais pas mais en tout cas ils avaient appris la phrase par cœur bien avant de pouvoir jouer, donc il n’y avait plus d’endroit pour jouer, mais c’est leur apprendre à jouer avec les choses qu’il veut faire. C’est leur apprendre à jouer avec quelque chose qui est soit dans le temps, le jeu indique un certain type d’aller/retour…

Après que c’est écrit, il faut le jouer ? C’est écrit sur la base de quelque chose qui est en tête ou de quelque chose qu’ils ont déjà fait, comme son ?
Personne ne leur demande. On ne sait pas ?
On ne sait pas, on ne sait rien, mais ce qui se passera après c’est que effectivement il y aura des doubles partitions où un autre enfant pourra - voyant la première - écrire sa propre ligne et ils joueront ensemble, chacun regardant sa partition…
Cela veut dire qu’il y a une double tâche : premièrement c’est la tâche de mettre en code visuel quelque chose qui était à la fois sonore et expérimenté, corporel, sensoriel.
Et la deuxième tâche, c’est d’aller dans l’autre sens, oui ?
Ok. Cette histoire avec Émilie, cela c’est la première direction, cela vent dire d’aller d’une expérience vécue déjà habitée et de la mettre en code, les mots. Et elle n’est jamais forcée d’aller dans l’autre sens… qui est absolument bizarre pour nous, on ne le fait pas.
Je ne dis pas que ce n’est pas superbe de le faire, et peut-être c’est cela qui est extraordinaire…
mais c’est une toute autre chose qui me fascine en tant que pas, mais c’est ce pas qui est plus proche du programme académique de la musique qu’il a toujours détesté, pas forcément le premier pas…

I.S. Oui… tu as raison, sauf que dans le cas d’Émilie comme dans ce cas-là, puisqu’elle a vécu sa journée et elle l’a refait. Ici, ils n’ont jamais… ils n’essayent pas quand ils font la partition de se souvenir de quelque chose qu’ils ont fait…
D.D. On n’en sait rien…
On n’en sait rien, c’est pourquoi je demandais cela…
I.S. En tous les cas on ne leur demande pas… Ils ne l’ont pas fait forcément en réalité…
Ils fabriquent un multi-objet… enfin, un objet qui quelque part devient intentionnel.
Oui, mais je me dis que pendant que l’enfant fait le codage - on va appeler cela le codage, faute d’avoir un meilleur mot… C’est des intentions quelque part, il se passera cela, puis il se passera cela
Oui, cela veut dire que il y a quelque chose qui est expérimenté à l’intérieur et qui est mis en code. Dans ce sens-là c’est quand même Émilie - mais il n’y a pas un décalage de temps. Mais aller dans l’autre sens c’est rare !
C’est absolument rare.
Est-ce qu’il a fait cette décision dans ses pensées ? Sait-il qu’il demande deux choses qui ne peuvent avoir de bénéfice didactique - si on peut dire cela en pédagogie - que différentes ?

I.S. Je ne sais pas si il aurait pu demander l’un sans demander l’autre, puisque il n’y avait pas de séance où on dirait… sinon cela aurait voulu dire vous allez faire un solo et puis vous essayerez de le noter…
D.D. Vous faites un solo et il y a des marqueurs, vous pouvez noter, noter n’importe quoi, dessiner…

Ou il peut dessiner même avant de le faire, parce que cela sort tout de même mieux que le solo, ou peut-être c’est changer dans la mise en code mais…
D.D. C’est étonnant… c’est vrai c’est une bonne piste… nous n’étions pas là quand ils ont fabriqué le Jeu des Parties et de Tout, en tout cas moi je ne l’ai pas suivi… parce que l’objet qu’ils ont fabriqué pour rendre la deuxième phase de catégorisation possible, c’est une machine avec une aiguille qui défile et qui marque le déroulement du temps, il a cherché longtemps pour trouver, il a cherché partout pour trouver ici, il a finalement trouvé un l’horloger de Genève qui a réussi à lui faire cet objet mais visiblement il a mis six mois, un an à le trouver.
Il a mis énormément de moyens dans cette deuxième phase et ce dont il parle quand il parle de la deuxième phase, il parle toujours des exceptions, en tout cas de une de celles-ci qu’il adore, qui est avec une petite fille, l’aiguille avait arrêté de défiler…
I.S. Non c’était un truc où il n’y avait pas le temps, parce que de temps en temps il met l’aiguille, de temps en temps il ne met pas l’aiguille en action…
D.D. Non… c’est différent, effectivement. Mais bon, disons qu’elle était en train de jouer, mais les autres faisaient leur trois minutes, ils avaient à peu près normé leur durée par rapport au temps habituel qui est de trois minutes. Et là n’ayant pas ce temps là, ils avaient quand même plus ou moins fait la même chose donc c’était bien intégré mais elle pas du tout…
Qu’est-ce qu’elle fait ?
Elle jouait, elle improvisait, enfin elle faisait son morceau - et elle jouait du piano je crois - elle joue, elle joue, et puis à un moment donné on lui dit "mais tu es où ? Qu’est-ce que tu fais ?" et elle répond "mais non je suis à ce moment-là". Elle savait exactement où elle était et puis cela dure vingt minutes en tout, donc juste un peu avant la fin de ces vingt minutes - dont personne ne savait que c’était la fin – quand la dame va la trouver une nouvelle fois elle dit "non je suis là". Elle avait suivi très précisément.
Elle avait quel âge ?
I.S. Sept ans… elle avait fait un monde. Et en tout cas ce qui a surpris Hervé - je l’ai déjà dit - c’est l’intensité mais pour eux-mêmes que les enfants peuvent avoir non pas à faire la partition – qu’ils font comme cela… L’effort n’est pas le même si tu veux, ici elle fait tout un effort. Quand ils font la partition apparemment, ils peuvent la faire assez vite, mais une fois qu’ils veulent le faire c’est là qu’est le problème, ce n’est pas dans l’écrire, donc ce n’est pas tout à fait parallèle avec la petite fille, parce qu’elle travaille quand tu l’entends...
Elle travaille mais elle s’amuse aussi ! Elle fait une sorte de bricolage mais avec les réparations… mais la plupart des enfants prennent les mêmes trois minutes ?
D.D. C’est une durée qu’on leur donne, elle est marquée par le défilement de l’aiguille. Mais cette fois où ils n’avaient pas utilisé le défilement, les enfants avaient tous utilisé plus ou moins trois minutes pour faire leur "solo non-normé"…
Ok mais maintenant si la première des réactions cela veut dire de l’expérience au code, cela je crois qu’on comprend mieux… on ne comprend rien mais on a l’idée qu’on comprend au moins les enjeux.
C’est cette deuxième phase qui reste mystérieuse pour moi, parce que je me dis en quelle situation humaine est-ce qu’on fait cela normalement ?

D.D. Essayer de reproduire une séquence qu’on a déjà produite nous-mêmes ? Et donc que l’on a intégré des instructions ? Est-ce que les instructions doivent être décalées ou intégrées - parce que intégrées : si je suis maçon et que je fais un mur, quelque part cela sera toujours différent mais en même temps j’aurais toujours quelque chose dans la tête qui va coder ma manière d’agir…
I.S. Quand tu as pris des notes pour faire une conférence ? Si tu n’as pas écrit le texte mais que tu as trois flèches vers une phrase bien compliquée mais c’est à cela que tu dois arriver, et après tu dois le dire et cela tiens sur deux pages mais sur ces deux pages il y a trois quart d’heure d’exposé…

Oui c’est cela mais en fait, c’est un bon exemple parce qu’en fait tu sais bien… que dans ces situations l’on fait une lecture de nous-mêmes.
Mais la partie qui rend cela créatif, c’est exactement les variations inattendues de cette deuxième version. Et en fait je sais que c’est une des grandes raisons de donner une conférence : de découvrir ce que tu as voulu dire…
Mais cela veut dire que c’est peut-être là qu’il y a l’aspect créateur de cette deuxième phase. Je ne sais pas si ils disent cela ? Parce que si c’est juste la reproduction de ce que les enfants ont noté, on a pas avancé par rapport à l’académique.

I.S. Je crois vraiment que pour Hervé quand les enfants dessinent, ils n’ont pas la mémoire musicale suffisante pour vraiment entendre ce qu’ils vont faire et donc le reproduire à l’identique.
D.D. Cela dépend, on n’a pas vu beaucoup de partitions, on n’a pas vu beaucoup d’exemples, ni de vidéos…
Parfois quand on essaye de filmer ce que les enfants font avec une partition, on filme la partition, on essaye d’avoir à l’image la partition pour voir ce qu’il y a sur la partition… On a vu parfois des extraits de vidéo où tu dis mais oui c’est très clair qu’à ce moment-là l’enfant fait ding ding ding et avec des petits sons tac tac tac et on voit que sur la partition qu’il y a des traits tchac tchac.... bon l’homologie semble patente…
Parfois il y a des choses comme cela ; mais là ce sont des trucs qu’on peut reconnaître, donc c’est simple, c’est facile et donc si on le voit on peut éventuellement dire là il y a un lien. Et au moment où l’enfant a fait cela, il devait certainement avoir quelque chose dans la tête d’assez clair, une idée assez précise de ce qu’il avait envie de faire à ce moment-là… et il le reproduit. C’est un enfant qu’on a déjà vu, que l’on voit à deux moments différents faire des choses – à mon oreille en tous les cas - assez semblables.
I.S. Oui mais une des variantes - parce qu’il est encore en expérimentation - une des variantes qu’il, je me souviens, qu’il imaginait à un moment donné… mais il s’agit de ne pas brutaliser les enfants… c’est-à-dire qu’il veut aussi que les enfants éventuellement complexifient leur partition à mesure que…
visuellement ?
Oui, visuellement et intentionnellement, et éventuellement en viennent – comme un conférencier expérimenté - que tout cela se développe… Comme nous, mais on a pas tout de suite su qu’il suffisait de trois feuilles, au début c’était beaucoup plus écrit et puis c’est après qu’on trouve la liberté d’improviser à partir… Donc tout cela, c’est cela le trajet qu’il espère je crois, mais il y a un moment par exemple où on spéculait sur le fait que la partition étant écrite l’enfant tire au sort l’instrument sur lequel il va l’exécuter, à ce moment-là tout le rapport de ressemblance… est cassé.
Oui et il n’a pas la maîtrise…
Mais ce que je me demande c’est comment il conceptualise le code visuel ? Parce que je peux bien imaginer que ce qu’écrivent les enfants…
Parenthèse : j’ai vu quelques-unes de ces partitions écrites, mais c’était il y a quatre ou cinq ans, chez lui en Belgique, je ne sais pas si cela a beaucoup évolué depuis ?

I.S. Si cela t’intéresse c’est à Bâle qu’il faut aller, parce que à Bâle il y a un conservatoire qui a adopté les partitions…
Moi je suis très peu formé dans la musique – académiquement.
En fait j’ai une connaissance de la musique qui n’est pas si mauvaise, mais ce n’est pas du tout académique, c’est simplement de… Et puis je ne peux pas composer quelque chose avec les notes, je suis peut-être comme un enfant, je ne sais pas.
Mais je peux faire des dessins libres, des dessins de compositions que j’entends en moi. En fait ce n’est pas vraiment la musique que j’entends, c’est quelque chose de différent, c’est les mouvements d’énergie, d’excitation, de tension… un tas de choses qui peuvent être sonores, qui peuvent être aussi une danse, qui peuvent être n’importe quoi.
Dans ce sens là c’est mystérieux pour moi, qu’est-ce que c’est vraiment que la mise en code ?

Un produit qui est tellement musical, il est sûr que c’est la musique ou quelque chose de sonore mais…

D.D. Il rêve de la danse… il ne trouve pas, il ne sait pas comment faire mais il aimerait vraiment beaucoup, il cherche.
C’est intéressant…Mais je sais que ce que je coderais pourrait être dansé tout aussi facilement que joué par n’importe quel instrument…
I.S. Oui, mais je crois que ce qui est aussi vrai comme contraste entre le Tohu-bohu et cet autre truc c’est que - pour reprendre "disclose" – c’est que les enfants quand on regarde du Tohu-bohu quelque part en tout cas l’observateur et chacun des enfants en tant que participants peuvent en savoir tout autant que les autres… tout existe comme déclaré. Cela va très vite, donc éventuellement il faut apprendre à regarder, mais c’est un enchevêtrement de déclarations. Tandis que dans la partition, au contraire c’est une boite noire, il n’y a rien qui déclare ce que l’enfant voit, comprend, entend dans ces signes. La seule chose qui sort, c’est son intention visuelle et sa production sonore quand il l’a lit mais là il y a quelque chose qui est opaque, que personne ne commente…
Il y a deux boites noires en fait : c’est l’expérience qui a provoqué le code et le code…

I.S. Oui mais disons que je crois qu’il y a quelque chose où l’intimité de celui qui fait des signes est produite, tandis qu’il n’y a pas de zone d’intimité dans le Tohu-bohu, on n’entre pas dans ce qu’il a voulu faire…
Oui mais ce que je me dis c’est que je trouve notre discussion maintenant assez intéressante et je ne l’ai jamais vu écrit comme cela, quand il parle de cela… Mais pour moi c’est vraiment très central, peut-être a-t-il parlé de cela différemment et je ne l’ai jamais entendu, je ne sais pas, qu’est-ce que vous en pensez ?

I.S. Moi je crois que Thys invente d’abord et puis commente après. Quand tu l’as connu par rapport aux Tohu-bohu, c’était des années après qu’il l’ait fabriqué. Donc je crois qu’il y va à l’essais/erreur et pas mal de pensées, mais ce que cela veut dire avec lui vient toujours après. Et au fond tout ce qu’on dit, si on le retranscrit, il va l’accepter ou pas : s’il l’accepte cela deviendra ce qu’il pensait ; s’il ne l’accepte pas, il va penser quelque chose contre... Mais je sais que pour lui l’idée que ce qui l’intéresse c’est la composition, mais justement une composition qui ne soit pas séparée de l’interprétation mais qui soit une composition, c’est cela qui le passionne…
D.D. Mais il faut bien entendre : pas du tout limité au monde musical. Tout ce qui est la possibilité… les gestes du quotidien… enfin la continuité entre les gestes du quotidien et des choses comme cela. Je crois quand on dit il y a une visée musicale etc., c’est vraiment très loin… parce que est-ce que c’est de la musique ou pas ce que les enfants font, c’est quelque chose qui ne l’intéresse pas fort en réalité, cela ne l’intéresse pas fort de savoir si les musicologues peuvent considérer que c’est de la musique ou pas. Cela l’a peut-être été à un moment, cela l’a peut-être intéressé, maintenant je crois que cela ne l’intéresse plus du tout et que par contre le côté… une expérience d’expressivité, que ce soit cela que les enfants aient…

Je crois que tu as raison profondément… mais dans le cas d’Hervé lui-même, c’est la musique qui est dans sa tête, c’est là qu’il vise. Peut-être ce n’est pas important, parce que peut-être cette spécificité ne joue pas à ce niveau, mais c’est toujours là pour lui…

I.S. Oui, sauf que je crois que dans sa tête il n’y a pas du tout faire réussir à refaire - même en mieux - ce que l’éducation classique faisait. Cela je crois que vraiment… lui il a été fabriqué dans l’éducation classique, il a plus lu de partitions que nous…
Oui, mais je trouve que une des choses qui est très riche ici pour échapper à l’éducation classique c’est le fait qu’il y a… je ne sais pas le mot, j’allais dire décalage, non, il y a une incertitude ou une "approximativité" très large entre l’expérience et le code, et entre le code et l’interprétation du code.
Et dans ce sens-là, il a préservé l’importance de ne pas normaliser… dans les deux sens.
Et cela c’est génial, et cela c’est bien, mais il faut le dire comme cela dans ce sens, c’est comme cela qu’il a vraiment échappé. Mais la raison pour laquelle j’avais d’emblée un peu peur de cette codification, c’est parce que je ne savais pas dans quelle mesure il veut que cela soit si imparfait… parce que j’ai toujours eu l’impression qu’il veut que cela soit mieux et mieux, c’est la manière de coder.
Et je me dis non ce n’est pas ce qu’on veut, on veut quelque chose qui garde cette imprécision… il le sait ?