I.S. Cela s’inscrit dans un cadre scolaire et comme le dit une de nos questions c’est fait par des adultes pour des jeunes donc c’est une situation classique de transmission où des adultes se préoccupent de mettre des jeunes dans une position de produire quelque chose... est-ce que cela affecte l’histoire en général de la transmission, de ce qu’est l’école... comment est-ce que l’on peut concevoir la transmission, c’est à dire le message d’adultes à des jeunes aujourd’hui.
Oui, nous sommes là dans le paradoxale, quoique justement on pourrait penser que le propre de la méthode Thys serait de ne pas produire de... d’être paradoxale dans le sens où elle ne mène pas une doxa...
Pour reprendre ce qu’Hervé vient de me dire il y a quelques jours cela se passe entre classe et cour, je pense que c’est très bien dit. C’est à dire que
l’on ne se défait pas du rapport adulte-jeune, l’adulte voulant d’une façon ou d’une autre transmettre quand même un savoir, une pensée aux jeunes. Et ce n’est pas non plus l’improvisation sans bornes, sans contraintes aucunes, la cour, le jeu absolu, c’est entre ces deux là que tente de voguer Hervé Thys, il me semble...
C’est une position bien difficile : l’intention, qu’on le veuille ou non, est quand même agogique, pédagogique... donc il faut bien là un minimum de contraintes dès le départ. Dès l’instant où on dépose devant l’enfant - même si on le laisse découvrir - un instrument de musique quel qu’il soit, c’est déjà bien sûr une très forte contrainte, même les instruments qui permettent le plus le jeu sont déjà une contrainte.
Ce sont des rationalisations apportées par une culture qui pense de manière très rationnelle - et je ne parle pas simplement des claviers : les claviers ce sont bien sûr le rationnel par excellence, on n’a même pas le moyen de taper entre les touches, il faut si on veut produire un son taper dessus. Il y a de toutes manières d’emblée contrainte... et là c’est le paradoxe dans l’autre sens du terme de cette approche Thys qui veut libérer l’enfant mais qui est obligée en tant qu’approche d’adulte envers le jeune d’imposer dès l’abord certaines contraintes.
Je ne vois pas d’ailleurs comment on pourrait faire autrement...
I.S. Mais c’est une des dimensions que certaines questions essaient de reprendre et qui me frappe avec... c’est qu’une des positions de Thys face à l’avenir, c’est un certain type de faire confiance, c’est à dire qu’un certain nombre de choses auxquelles il tient il sait que probablement elles ne survivront pas en tant que telles puisque c’est la musique construite qui l’a construit lui, et c’est pas quelque chose dont il croit que cela va construire beaucoup d’autres personnes dans l’avenir et j’ai l’impression que dans ce dispositif l’enfant reçoit un message fort de confiance.
Non pas je te fais confiance en tant qu’individu, mais dans la situation et dans le possible, pas dans les gens en tant qu’injonction mais dans le possible en tant que tel, est-ce qu’il y a quelque chose... enfin voilà, est-ce que cela vous...
Mais en allant le plus loin possible, je suis tout à fait d’accord... la méthode Thys donne confiance au jeune, en le mettant progressivement devant certaines responsabilités quand même.
Mais il reste que l’adulte est là, l’adulte est là et rien que par sa présence même si elle est très effacée, il impose nécessairement. Il n’y a donc pas exclusion du rapport impératif, il y a un amoindrissement très poussé même de ce rapport impératif mais on ne peut pas l’effacer complètement, l’adulte reste présent, il pèse de sa présence sur les enfants...
I.S. Oui mais cela on pourrait dire que c’est un invariant de tous les avenirs sauf si il y avait une épidémie qui tuait tous les adultes... les enfants auront toujours des adultes là...
Sans doute, sans doute... il n’y a pas d’autre solution biologique.
Toutes les transmissions culturelles reposent sur cette contrainte là, si il n’y a pas le moindre rapport d’autorité la pédagogie, l’andragogie n’existe plus, la transmission culturelle n’existerait plus du tout... on pourrait se demander ce à quoi cela pourrait mener ? Cela pourrait être très intéressant pour un Martien de voir cela... Par sa nature biologique, ce rapport de l’adulte au jeune sera toujours là....
I.S. Ce serait une expérience d’une assez grande cruauté que de laisser un groupe d’une quarantaine d’enfants seul sur une île déserte avec des robots nourrisseurs...
Par exemple, cela ne produirait certainement pas quarante "Robinson Crusoe".
Prenons peut-être la Question 5, ou l’interrogation...
Là, j’ai noté : l’adieu au babil enfantin peut-être ?
Il faut peut-être placer cet enfant, cet "encore enfant" auquel s’adresse la première partie de la méthode Thys entre l’enfant plus âgé qui sera donc exposé à la méthode Thys second stade et le tout jeune enfant...
Interruption...
Oui, peut-être que cet enfant auquel s’adresse Hervé Thys dans le premier stade de sa méthode c’est l’enfant qui se situe entre le plus âgé et le tout petit enfant, c’est ce qui m’a fait noter cette idée. C’est le sens de ce premier stade, de cette expérience du Tohu-bohu c’est peut-être l’adieu au babil enfantin.
On peut considérer que le stade du babil enfantin c’est un peu, dans la production de la parole, le même stade, un stade comparable que la production du Tohu-bohu...
I.S. C’est très intéressant mais cela voudrait dire... c’est un stade instauré puisque la plupart des jeunes humains ne le font pas explicitement... aussi par la méthode qui le produit et qui lui dit adieu, elle le produit et elle lui dit adieu puisque...
Voilà exactement, de la même manière que l’on apprend à l’enfant à s’exprimer de manière correcte, on lui apprend à bien prononcer les mots etc. On le fait le plus vite possible sortir du stade du babil etc.
Et là c’est sans doute comparable à ce qui se passe dans ce Tohu-bohu qui serait donc le stade l’équivalent du babil dans la production du sonore, non pas exprimé par la parole mais par l’intermédiaire de certains instruments producteurs de sons.
Et donc on peut se poser la question de savoir si ce deuxième stade de la méthode, là où j’ai exprimé certains doutes, n’est pas justement destiné à sortir le plus vite possible l’enfant de ce stade du babil sonore, du babil musical.
Voilà une réflexion que je ne prétends pas - c’est une réflexion, une interrogation comme vous dites très bien - que je ne prétends pas imposer à propos de cette approche.
Ce sont des interrogations très profondes bien sûr qui demanderaient pratiquement quelques livres...
Question 11 : c’est une question terrible bien sûr mais il me semble que oui, dans la mesure où des adultes entreraient vraiment dans le jeu et seraient disposés, prêts à effectivement se laisser transformer par le fait d’assister à ces séances Tohu-bohu, il me semble que oui, il y aurait des chances d’une plus grande ouverture peut-être, d’une plus grande tolérance dans le comportement d’adultes.
Là aussi c’est par une interrogation : on ne peut faire autrement que de répondre par une interrogation aux interrogations que vous posez. Je pense d’ailleurs, j’ai l’impression que c’est votre propos...
I.S. Mais pour relancer par rapport à l’autre question que vous avez... Est-ce que vous pensez que désormais les hommes mâles de babiller avec leurs enfants peut permettre une transformation de leur rapport aux autres ? Est-ce que la différence homme/femme... vous voyez ce que...
Ecoutez, là il faut peut-être confirmer la distinction entre système acoustique de communication par la parole et système acoustique de communication par le sonore c’est à dire parole/musique.
Et revenir à cette distinction que j’ai faite dès le début entre le système de communication par la parole qui permet de communiquer de manière rationnelle, c’est là il me semble le premier sens, ce n’est pas le seul, il y a tous les aspects analogiques disons de la communication verbale qui feraient plutôt partie du système de communication musicale...
Ce ne sont pas deux systèmes complètement à part... il y a une partie musicale, purement sonore, dans les intonations de la parole. Il y a de l’autre côté un apport digital, lexical bien sûr en musique. Mais il faut sans doute quand même la distinction entre les deux et donner au système de communication musicale tout son sens de communication de l’affect, tout ce qui n’est pas entrer de plein pied dans la parole, de fait qu’il y a là un reste biologique...
I.S. Mais je parlais de la relation mère/enfant, dans le babil mère/enfant la relation lexicale est moindre que la dimension purement musicale/affect...
Justement, justement et le premier stade de la méthode Thys est peut-être la chance d’un prolongement de ce rapport premièrement affectif qui n’est plus, qui est de plus en plus au fur et à mesure que l’enfant grandit ce côté jeu, ce côté affectif qui était présent dans le babil disparaît, est exclus par notre système culturel.
Il ne faut pas chanter une communication commerciale...
Une question assez extraordinaire, j’ai simplement mis un point d’interrogation parce que je ne vois pas d’où je pourrais sortir une réponse plus ou moins valable Question 28 là il faut... c’est votre tour de m’expliquer...
D.D. Une des parties de la pensée d’Hervé Thys se situe sur la construction d’une certaine éthique qu’il oppose clairement à la morale, quelque chose plus constitué par l’individu et où il pense voir une possibilité de ressource pour répondre justement à un discours ou à des pratiques de l’ordre de ceux de Le Pen... Voilà la question essayait de partir du côté de...
I.S. Une des choses qui apparaît très fort dans ce qu’il dit c’est que il a une confiance encore une fois que lorsque l’on a affaire à l’autre comme singulier et imprévu... on ne peut pas... le rêve de le dominer devient un mauvais rêve, il n’y a aucun sacrifice à l’abandonner et que le plus proche peut devenir le plus... autre...
Oui, dans la mesure où une méthode telle que celle d’Hervé conduit à une plus grande ouverture, une plus grande tolérance de l’autre.. oui, cela pourrait être une réponse au niveau politique, tout à fait d’accord.
Mais, mais quand on situe une approche telle que la méthode Thys dans le contexte de notre culture musicale, il y a une chose qui me frappe : c’est que même dans l’improvisation l’homme occidental - je dis bien l’homme occidental, j’entends l’adulte disons parce que c’est là le seul domaine que l’on connaisse vraiment ; l’improvisation musicale jusqu’ici c’était le domaine de l’adulte même si les enfants improvisaient musicalement, on n’y attachait aucune importance - et bien l’improvisation musicale telle que pratiquée par l’homme, l’adulte occidental, on constate que même dans l’improvisation cet homme occidental tente toujours de s’imposer... musicalement bien entendu.
Il y a des narrations, des anecdotes assez amusantes où des musiciens d’autres cultures, même des noirs américains, disent que c’est vraiment impossible de faire de l’improvisation avec des musiciens blancs parce que toujours ils tentent d’avoir la parole, de prendre la parole, musicalement parlant, mais d’être à l’avant de la scène, d’imposer son improvisation musicale, d’imposer son rythme aux autres.
Donc je pense qu’il faut poser la question "méthode Thys" dans ce contexte plus large. Sans doute, puisqu’il s’agissait jusqu’ici pratiquement d’improvisations musicales d’adultes, il est tout à fait passionnant de suivre cette expérience Thys pour voir si cela permettrait à des enfants devenus adultes de ne plus avoir ce même comportement, cette même attitude vouloir s’imposer aux autres.
Là je dois dire que j’aimerai beaucoup vivre cinquante ans de plus pour pouvoir vivre cela, ce n’est pas du jour au lendemain qu’on pourra faire un constat de cet ordre...
I.S. Et donc la culture de l’improvisation a donné ce résultat que les blancs, les culturellement blancs...
Oui, il y a tant de témoignages à ce propos que l’on ne peut pas dire que c’est une exception ou une vision erronée... non, et quand on écoute bien des improvisations faites par des blancs on constate bien souvent la même chose...
D’ailleurs qu’est-ce que cela veut dire improvisation ? Il faudrait une heure de plus bien sûr... mais une improvisation souvent ce n’est qu’une succession de solos, de gestes individualisés en musique.
L’improvisation, entre guillemets d’ailleurs, dans la musique de jazz c’est très souvent cela, une suite, une succession d’interventions musicales de musiciens qui se mettent à l’avant plan pendant un certain temps et qui écartent tous les autres. L’improvisation collective vraiment où chacun est l’égal de l’autre c’est une exception...
I.S. Et cela demanderait un grand apprentissage...
Oh oui... sans doute que là également la méthode Thys est prometteuse...
D.D. J’aurai deux questions par rapport à cela : est-ce que l’on entend cela dans la méthode Thys, quand on écoute les productions sonores des enfants en quoi est-ce que l’on voit en quoi elle est prometteuse ? Et d’un autre côté, quand on interroge des musiciens d’autres cultures qui ont fait l’expérience de jouer avec des blancs qu’est-ce qu’ils disent de où cela coince au niveau... Où cela coince ils le disent : les blancs essayent de prendre la première place etc. mais comment est-ce qu’ils analysent cela... est-ce qu’ils peuvent décrire leur manière de faire à eux, ou comment eux apprennent pour pouvoir justement ne pas tomber dans ce travers qu’ils identifient ?
J’ai l’impression, je ne connais pas toute la littérature bien sûr, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas vraiment jusqu’ici de recherche scientifique poussée pour établir les différences qu’il peut y avoir entre différentes cultures musicales.
C’est une chose dont l’anthropologie musicale ou l’ethnomusicologie se sont peu occupées jusqu’ici, je ne connais pas vraiment de textes qui soient consacrés à cela. Mais pour revenir à la première partie de votre question, oui, je crois qu’en écoutant les résultats sonores des séances Tohu-bohu on peut constater certaines amorces tout au moins qui pourraient aller dans le sens d’une improvisation collective...
Là, je crois qu’il faut avoir confiance dans l’émergence, c’est à dire que l’approche Thys doit permettre aux enfants de se créer une cognition, une connaissance musicale par l’action et l’interaction directes au niveau sonore. Il faut donc qu’une conscience de structure sonore émerge de cette approche directe. Dans la mesure où on croit que cela est possible, je pense que la méthode Thys pourrait effectivement mener à une culture où l’improvisation collective dans le sens où chacun vaudrait l’autre est possible.
I.S. Et ce serait une réponse à Le Pen...
Ah oui, cela tout à fait... certainement. Surtout si parmi ces enfants qui seraient passés par la méthode Thys il y avait des enfants de toutes provenances et qui nous viendraient d’autres cultures...
I.S. En tous cas, c’est l’une des situations où les différences de capitaux culturels familiales jouent un rôle minimal...
Tout à fait, minimal c’est cela la chance. Il n’y a pas de capital familial, pas de capital scolaire tout au moins pas dans le sens classique, il y a pas le passage par les médias - effrayant pour la culture musicale. Oui, c’est là une chance gigantesque, je pense.
D.D. Juste peut-être encore une toute petite question... qui est peut-être un peu périphérique... Mais par rapport à des propos du genre de ceux de Mauricio Kagel sur l’acte de composition qui inclurait autre chose que simplement le sonore, mais aussi le gestuel, la théâtralité... des choses comme cela, est-ce que dans les vidéos que vous avez vu vous avez vu des choses où le musicologue peut non seulement reconnaître une structure sonore ou quelque chose d’approchant mais aussi d’autres...
J’ai vu trop peu de vidéos, je n’en ai vu qu’une partie d’une seule séance, je ne peux pas vraiment vous répondre de manière sérieuse... Cela devrait effectivement être possible, peut-être faudrait-il même - comme c’est quand même le cas pour le sonore - orienter un tant soit peu le comportement des enfants dans le sens du visuel, du théâtral... cela devrait être possible.
I.S. Parce que c’est une des choses que les ethno-méthodologues comme Shima Arom disent : c’est que partout ailleurs production collective de musique et production collective de "gestualité" sont connectés... ne serait ce qu’en frappant les mains.
Oui... la musique est constituée de gestes.
Maintenant je vais devoir vous demander de m’excuser...